Silent Running : Le Sacrifice


Le botaniste Freeman Lowell ira jusqu’au bout, jusqu’au meurtre, pour protéger la forêt stellaire qu’on lui demande faire sauter. Alors que la Terre subit les affres de la pollution, il erre à proximité de Saturne en compagnie d’équipiers qu’il méprise, et qui le lui rendent bien. Révolté, dissident, criminel, il choisira l’amitié de ses drones et un ultime subterfuge pour sauvegarder une part de nature dérivant dans la nuit étoilée... 

Cette fable écologiste séduit par l’humanité de son acteur au rêve fou, à la grandeur nihiliste : sauver l’idée même de récit et de beauté dans un monde insipide et prospère. 


Au risque d’offusquer les puristes, spécialistes et autres fans du genre (qui se soucie encore de leur avis, qui débourse pour le lire dans la presse spécialisée ?), on reste dubitatif devant le niveau des effets spéciaux de ce film, réalisé pourtant par un professionnel mis à contribution sur deux cathédrales laïques : 2001, l’Odyssée de l’espace et Blade Runner. Mais le premier titre doit son ampleur à un cinéaste réellement visionnaire – épithète galvaudée, comme le reste, quand si peu le méritent, dont Lang ou Fellini – et le second tire sa perfection glacée d’un maniaque de l’image formé à la publicité. Il existe des films de scénaristes et d’acteurs, de directeurs de la photographie et de monteurs ; il n’existe pas de grands films réalisés par des spécialistes des effets spéciaux, ni par des concepteurs de génériques (qui se souvient des essais anodins du talentueux Saul Bass ?).


L’intérêt du film se situe ailleurs que dans ces maquettes mal éclairées, dans cet espace immobile en contradiction avec le titre, dans ce figement d’une intrigue lapidaire : un écologiste décide de sauvegarder une forêt artificielle contre ses supérieurs. Il faut oublier les modèles réduits de Douglas Trumbull, ses cadrages impersonnels, maladroits, son argument étiré sur quatre-vingt-cinq minutes, pour parvenir à entrevoir la vraie beauté du film, son charme et sa grandeur, qui reposent essentiellement sur les épaules d’un acteur : Bruce Dern. Celui qui débuta en marin violent chez Hitchcock, poursuivit chez le maître anglais en séduisant escroc, que l’on revit des années plus tard en ange gardien de Charlize Theron dans le surestimé Monster, trouve ici le rôle de sa carrière, comme John Garfield dans Le facteur sonne toujours deux fois, comme Malcolm McDowell dans Orange mécanique (et Caligula), comme Christophe(r) Lambert dans Greystoke, la légende de Tarzan, et tant d’autres one shots qui éclairent d’une lueur particulière la voûte étoilée du cinéma moribond.


Ce qui s’impose chez tous ces acteurs qui jamais ne devinrent des stars, qui jamais, Dieu merci, ne s’engagèrent, ne se servirent de leur image pour vendre je ne sais quoi à je ne sais qui : un même investissement, une même implication dans le jeu sérieux de la comédie, une même humilité, aussi. Il faut voir (ou revoir) le visage de Dern durant les quelques scènes dialoguées du début, dans lesquelles il fait face à ses caricatures de co-équipiers. Il faut saluer l’incroyable intensité de son visage, toute cette colère mille fois plus crédible que le vaisseau en plastique qui l’abrite. Le beau gosse de Chicago, all-American hero perverti par sa filmographie de pleutres et de seconds couteaux, vibre alors d’une énergie sidérante, toujours intacte près de quarante ans plus tard, d’une nuit intérieure qui rend d’autant plus précieuses sa douceur avec la faune et la flore en sursis et ses larmes de repentir. Dans son sacerdoce séculier, il porte d’ailleurs, en dehors de son uniforme réglementaire dont il recoud l’écusson en un geste émouvant, tentative de rester encore un peu lié à cette Terre humaine qu’il fuit en silence, une vague robe d’anachorète ou de prophète.


Car de quoi nous parle ce faux film de science-fiction mais vrai film de chambre, qui commence comme Microcosmos : Le Peuple de l’herbe, co-écrit par le Cimino d’avant Voyage au bout de l’enfer et L’Année du dragon, sinon d’une sécession, d’un exil volontaire et de la terrible solitude qui va avec ? Dans son double retrait hors du monde – un monde où ne sévissent plus ni la maladie, ni la pauvreté, ni le chômage, le monde idéal souhaité par toutes les belles âmes, triste ersatz de tous les paradis religieux, qui se gagnerait à coup de citoyenneté, d’égalitarisme et de sauvegarde de l’environnement –, le botaniste ne cherche pas tant à préserver des arbres ou des animaux qu’une certaine idée, une certaine image : celles de la beauté fragile et magique d’une nature luxuriante et lente, l’écrin végétal où s’enracinent les histoires à raconter aux enfants sages restés sur la planète plus si bleue. Cette photographie d’une gamine à laquelle il fait référence, à qui appartient-elle ? Nouvel Ulysse qui ne veut plus rentrer, elle lui tient lieu de memento, de filiation de substitution, de souvenir autobiographique rendu caduc par une société où règne enfin un bonheur insoutenable et qui se contrefout de la vie véritable, celle à trouver dans le goût de son assiette, celle qui inclut la veillée quotidienne sous une verrière révélant les constellations.


Le héros ciminesque trouvera plus tard, dans cette même conscience de l’espace naturel et de la loi inhumaine des hommes, l’amitié ou l’amour. Le personnage adamique de Dern, sa parfaite esquisse, devra se contenter d’une ruse et de la compagnie attendrissante de deux robots (incarnés par des amputés !). Pas de monolithe noir pour le faire renaître, par de porte du Ciel dont le sanglant passage débouche sur la naissance d’une nation. Seul dans sa serre, il ne pourra que transmettre ses gestes d’attention et de soins à une machine qui les reproduira fidèlement dans la dernière scène. Auparavant, pour semer ses sauveteurs devenus assaillants, pour couper définitivement ses liens avec l’espèce et avec son indéchiffrable passé, il lui faudra, littéralement, se faire exploser, recouvrant sa liberté dans le feu qui embrase un instant, un seul, les ténèbres cosmiques. Comme les héros de Tarkovski, qui détiennent le salut de l’humanité au creux de leur paume, sous la forme d’une flamme qui ne doit pas s’éteindre, ou qui offrent leur dernier foyer en holocauste et finissent internés, ce scientifique très sentimental commet un triple meurtre et un suicide pour faire le pari pascalien d’un organique futur vert.


L’ironie n’entache ni la sincérité ni la justesse du portrait ; elle témoigne d’un cinéma du soupçon, celui du Hollywood des années 70, riche en remises en cause, en dystopies toujours contemporaines (on pense ces jours-ci à Soleil vert), en fables morales récrivant les mythologies fondatrices. Dans ce film sans femme, la voix de Joan Baez appelle cependant à sourire, à se « réjouir dans le soleil », mais rien n’indique s’il s’agit d’un principe de vie ou de mort, astre du regain ou anéantissement nucléaire. Dans le silence effrayant des espaces infinis, le jardinier mécanique entretient un éden greffé, artificiel, qui lentement dérive, dans sa déréliction de haute technologie. Comme chez Voltaire, « Il faut cultiver son jardin » ? Sans doute, mais alors en chantonnant une élégie, une chanson pop mélancolique en signe d’adieu au dernier des hommes et à son rêve de luxuriance et de lenteur…

Commentaires

  1. Bruce Woolley and The Camera Club - English Garden, WW9 & Clean Clean - OGWT 1979
    https://www.youtube.com/watch?v=UXnU73Z3Sm4
    Procol Harum - The worm and the tree
    https://www.youtube.com/watch?v=iQZk8L0f4hk
    La Poison film de Sacha Guitry (1951) https://www.dailymotion.com/video/x1t00zf
    (Soit l'histoire fleurie d'un criminel en herbe, tous ces visages
    au générique disparus à jamais, les nouvelles générations ne ressemblent en rien aux précédentes et le côté robotisé gagne partout du terrain)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. https://www.youtube.com/watch?v=wCQfkEkePx8
      https://www.youtube.com/watch?v=iWnTBXWGW2Q
      https://www.youtube.com/watch?v=WbeUnuuF9X4
      https://lumieredete.wordpress.com/2017/03/01/generiques-parles/
      https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2019/05/arsenic-et-vieilles-dentelles-13.html

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Les Compagnons de la nouba : Ma femme s’appelle Maurice

La Fille du Sud : Éclat(s) de Jacqueline Pagnol

L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot : Le Trou noir