La Belle au bois dormant : Le Grand Sommeil


Ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre : petit exercice d’écoute comparée.

  • 1890

Création à Saint-Pétersbourg du ballet de Tchaïkovski, d’après La Belle au bois dormant de Perrault et Grimm. Il s’agit d’une commande du théâtre impérial ; le tsar Alexandre III, assistant à l’une des répétitions, note « très joli », échaudé peut-être par une durée de… quatre heures !        

Acte I, scène 6 : « Grande valse villageoise » (dite aussi « La valse des guirlandes ») – Kurt Masur dirige le New York Philarmonic :


  • 1959

Sortie de la version Disney en Super Technirama 70, dont l’échec relatif au box-office éloignera le studio de l’univers des contes de fées, jusqu’à La Petite Sirène, réalisé trente ans plus tard. Mary Costa, remplaçante d’Elisabeth Schwarzkopf et personnellement avertie par le « parfait américain », incarne la princesse Aurora.

Once Upon a Dream, interprété en duo avec Bill Shirley (le prince Philip), musique de Sammy Fain, paroles de Jack Lawrence et arrangements de George Bruns :


Et le même en VF (Danielle Licari et Olivier Constantin dans un doublage de 1981) :

  • 2014

Sur les écrans français au mois de mai, Maleficent relit la même histoire du point de vue de la mauvaise fée, devenue entre-temps… écologique ! (merci Miyazaki). Confié au décorateur et à la scénariste d’Alice au Pays des Merveilles de Tim Burton, le film dévoile l’inquiétant visage d’Angelina Jolie. 

Lana Del Rey, choisie par l’actrice, transforme le rêve en cauchemar, la berceuse en élégie hantée, poursuivant son sillon de « gothique hollywoodien » :


En bonus, voici ce que nous écrivions à propos de son deuxième album, Born to Die :

La Chanteuse pleure toujours deux fois

Lana susurre que l’on naît pour mourir, et qu’elle veut s’amuser entre-temps.

Elle fait le portrait de son vieil homme au cœur cocaïne ; elle cite Nabokov avec la voix de petite fille d’une starlette écarlate, sur des cordes tressées à du R’n’B.

Boudeuse, elle s’amourache d’un type rencontré en décembre, aussi malade que le cancer, qu’elle aimera jusqu’à la fin des temps.

Puis sonne le glas sur des nappes de synthétiseur ponctuées par des harpes, et cette voix blanche, de somnambule, écho d’Astrud Gilberto, avec sa réverbération spectrale et son feu glacé pour faire sa déclaration, tandis que défilent les tambours d’une marche à la fois nuptiale et funèbre – en ces jeux vidéo résonnent la magie noire des années 50 américaines et la mélancolie d’un piano qui clôt cet espace-temps sur lui-même.

Ingénue, dans un sourire, elle se demande si tu l’aimeras toujours à New York City, et elle sait bien que tu ne lui fais aucun bien, comme un soda light, mais elle te veut quand même.

Oui, nous savons tous, sous le feu d’artifice, que le succès possède pour hymne l’argent, mais qu’importe : elle veut qu’on lui dise que sa chanson vibre tel un chant national, avec du mascara et une robe de soirée.

Malgré tous les conseils de ses amies, elle aime une âme qui la hante dans un sombre paradis. La peur d’une question : l’attendra-t-il de l’autre côté ? Elle le voit jusque dans ses rêves et ne veut s’éveiller.

Le vinyle crachote mais rien ne l’arrêtera : la voici à la radio, en train de vivre un putain de rêve, et il faut la prendre comme de la vitamine, sur un mode glamour qui évoque la généreuse Kylie.

Cher Prosper, oublie donc Bizet car cette fille en train de mourir incarne à merveille ton héroïne. Tout le monde aime Carmen, tout le monde aime Lana, qui vivent face à la caméra. La reine de Coney Island, du haut de ses dix-sept ans, se permet même quelques mots en français. Prends garde à toi, cher auditeur.

Fleur la plus exotique, elle ignore ce que fait le millionnaire mais s’abandonne à lui, mais s’abandonne à Elvis, malgré son cœur cassé, dans le velours bleu de la chute infinie, d’une magnifique assomption où sa voix se casse elle aussi.

Embrasse-la avant de partir pour dissiper sa tristesse d’été, pour conjurer son refrain qui bégaie – toi, le meilleur.

Pour finir, un adieu à l’adolescence, à toutes les amies aux yeux de Bambi, qui cherchent le Ciel et mettent l’amour en premier. Mes meilleures amies que je quitte dans le train qui m’emporte sur un implacable tempo. En vain je murmure car je ne reviendrai pas. Tout ce qui fait de moi une fille et une chanteuse, le voici pour vous.                    

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