L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot : Le Trou noir
Un article « stroboscopique » pour ce titre mythique…
dire par
exemple
toutes les
histoires des films
qui ne se
sont
jamais faits
plutôt que
les autres
les autres
on peut les
voir à la télévision
n’est-ce pas
Jean-Luc Godard, Histoire(s) du cinéma, Tome 1, Toutes les histoires
constituer
soi-même son histoire
savoir
qui vient
après vous
la seule
occasion de faire
de
l’histoire
pas parce
qu’il y avait trop de films
il y en a
très peu
et de moins
en moins
Jean-Luc Godard, Histoire(s) du cinéma, Tome 2, Seul le cinéma
To search for
perfection is all very well
But to look
for heaven is to live here in hell
Sting, Consider Me Gone
Cinéphilie = nécrophilie
L’Enfer ne date pas d’hier ni de 1964 ni de
2009 ni de ce documentaire scolaire (un peu) et fragmentaire (beaucoup) sur un
mystère extraordinaire (à la folie bien sûr) Le Mystère Picasso le
mystère Clouzot le mystère du Corbeau
Une ampoule (avant l’araignée de
Cronenberg) au plafond Valse dans les ténèbres avec William
Irish pour le médecin marron entre
ombres et lumière Hitchcock s’en souviendra la momie de la maman du motel animée par les jeux d’éclairage
Retour (de Flamme) puisque cette
œuvre-ci semble surgir du générique de Sueurs froides son aura glauque d’outre-tombe sur la nudité
féminine huileuse et tentatrice condamnée à pourrir dans la chambre 237 de Shining
Retrouver les films restaurer les
pellicules fréquenter les fantômes ressusciter les morts composer à partir
d’images muettes (subtil Bruno Alexiu débutant avec Pialat sur Le
Garçu et Noé sur Seul contre tous épitaphe possible
pour HGC) négocier avec une veuve dans un ascenseur (pour le septième ciel à
souhaiter) en panne
Souvenir anecdotique (pléonasme et
limite de « l’histoire orale ») Serge Bromberg Orphée ramenant
Eurydice/Romy à la vie autrefois pianiste émérite à La Rochelle (pour Pabst
peut-être) alors que Clouzot enfant donnait des récitals
Scottie veut coucher avec une morte
disait Alfred à Truffaut son apôtre sa Bible laïque plaisante et cependant
vaste plaisanterie tout dire pour ne rien révéler
Le paradigme des
énigmes pourquoi ce projet pourquoi ce tournage pourquoi ce ratage tous
les témoins viennent raconter leur vision aveugle (l’angle mort) des événements
Car tu ne vois rien à Hiroshima Emmanuelle
Riva ou Bernard Stora Fabrice dans la brume de Waterloo avant celle d’Antonioni
à Ferrare lui aussi voulant identifier une femme à la TV les flics chargés
d’identifier des mortes (Laura de Preminger Laura Palmer)
Alors que La Vérité (oublions
Brigitte Bardot une bonne fois pour toutes) co-écrit par Véra se trouve sous nos yeux (« Vous n’en croirez
pas vos yeux » sur l’affiche française de Body Double avec un store
vénitien inversé mais sans voyeur à
lunettes ni regard caméra) depuis le début telle La Lettre volée
d’Edgar(abit) Allan Poe
D’entre les morts renaissent Romy Schneider sa beauté
solaire (Un été avec Monika) et lunaire la sensualité acidulée sel et
miel de Dany Carrel (seule absente-survivante) et Reggiani à bout de souffle à
corps perdu (contre-plongée à la Eraserhead drame conjugal qui fait
rire)
Bobines silencieuses exhumées
faussement égarées retenues prisonnières
d’un conflit juridique ayants droit droits d’auteur mémoire confisquée devoir
de mémoire
Le cinéma art né au dix-neuvième
siècle donnant forme au vingtième art funéraire où des spectres regardent des
vivants déjà morts art inflammable du feu (de la projection des projecteurs de
la rampe chaplinesque) voleur de vie et mécanique organique de mort immortelle
Marcel Prieur (patronyme diabolique)
rêve qu’un train noir comme son âme écrase sa femme prisonnière avec son « amie de cœur » (et plus si
affinités) d’un emballage en cellophane craquant confiserie charnelle colorée
ou cadavre les yeux grands ouverts dans son suaire transparent (Twin
Peaks encore)
Odette en dette avec le destin mariée
soupçonnée mère adultère (va savoir) pour un film avorté dans le sillage du « faiseur d’anges » Pierre
Fresnay
Sur le set ou durant les essais on s’amuse à s’étrangler réciproquement
exorcisme ludique pour conjurer le sort autant que présage de l’asphyxie
générale à venir
Mais Le Dernier Train (de la nuit)
pour chacun de nous et d’abord pour eux
finit toujours par arriver en avance ou en retard et Romy peut jouer en
souriant les Ophélie de province (ou gésir immaculée sur un damier petite
ballerine des Chaussons rouges dans un rose
maladif) l’attendent avec impatience d’intimes désastres pour lui faire perdre
pied elle qui ne sait pas nager malgré le ski nautique ou l’inverse
Voilà bien un film d’insomniaque
réveillant indument son équipe même
le dimanche à l’instar de l’hôtelier empêchant sa femme de dormir refuser Le
Grand Sommeil pour vivre encore un peu
Considérer l’assassinat comme un des beaux-arts à la suite de Thomas de Quincey bien
avant Argento histoire d’apprivoiser la Faucheuse de la divertir (d’autres le font avec des contes ou les échecs dans Les
Mille et Une Nuits et Le Septième Sceau) étymologiquement
la détourner de soi et du chemin
pascalien
Ou bien ne plus mourir en fixant
l’objectif et le spectateur droit dans les yeux avec un regard de Méduse afin
de renverser le charme fatal de La Machine à découdre pas seulement
celle de Mocky filmant la mort à l’œuvre le mouvement « momifié »
(encore mais Bazin) et dans ses bandelettes de nitrate putrescible
emprisonnant pour l’éternité fragile des hommes (cinéphiles) ces innombrables
corps adorés divinisés désincarnés
Chaque film dès lors s’apparente à un
sarcophage chaque amoureux du septième art aux amants funèbres de Baudelaire
amateurs de tombeaux et de ce mot létal Artaud désigna la salle de cinéma
La vraie malédiction de Clouzot cinéaste (et non celle de Clouseau
l’inspecteur de Blake Edwards quoique) nous la subissons tous in fine de l’autre côté du miroir (remarquez
l’absence réconfortante du carton « The End » depuis plusieurs
décennies et Chabrol à son tour clôt son vrai-faux remake réaliste et laborieux par les mots « Sans fin »)
L’ingénieur et le chaos
Tout découlerait donc d’une vulgaire insomnie mise en scène avec
humour noir dans le film tout se baserait sur un dysfonctionnement du corps du
créateur dupliqué amplifié dans la pathologie sentimentale du protagoniste
Clouzot du bout des lèvres et presque
par inadvertance évoque aussi sa dépression « pas celle d’une
starlette » consécutive à la perte inopinée de Véra ce deuil il partit le
faire le défaire étrangement à Tahiti le Paradis (touristique) avant l’Enfer
(cinématographique) disons
La voix de HGC profère des insultes
drolatiques (bien avant Guy Bedos) à faire rugir les féministes des années 70
(sans parler de celles d’aujourd’hui) sur les bandes de Jean-Louis Ducarme
l’ingénieur du son de plus en plus hystérique
un comble pour ces diatribes misogynes appelle la réserve la retenue de BDP (Brian
De Palma pour ceux qui ne suivent pas) en présence invisible du Dahlia
noir fané durant la séquence du casting
les hommes de cinéma se piquent aussi de mots et s’imaginent démiurges jusque
dans la parole (cf. les dents de Cadmos selon McLuhan)
Ducarme parle de fugue (musicale) au
sujet des chevauchements itérations et autres troncatures du monologue de
Reggiani nous pensons à la « fugue psychogénique » montrée par Lynch dans
Lost
Highway dans Mes nuits sont plus belles que vos jours
Dutronc perd ses mots ici point d’aphasie mais une fureur de dire (et de vivre)
de proférer des phonèmes abstraits puérils obsessionnels avant de passer à
l’acte se convaincre de la faire taire elle et son cri démultiplié de
jouissance (briser les miroirs de Rita chez Welles à Shanghai)
Le silence du film non sonorisé comme
(qué)quête du peu bavard franchouillard
Des mises en abyme méta (la maquette/le
vieillard apprenti cinéaste) par un artiste parfaitement conscient de son
inconscient à l’écoute des voix dans sa tête plus encore que le malheureux
Marcel et Bromberg lui-même de s’y autoriser avec sa voix off sur un « clap » d’époque réalisant le rêve du
narrateur de L’Invention de Morel enfin faire partie du film
Clouzot dans sa suite parisienne
onéreuse expose complaisamment story-boards
échelles découpage de séquences ou de scènes muni d’un code couleur petit
fonctionnaire du film maître d’œuvre de la bâtisse qu’il produit (de ses mains) pour dire à tout le monde je sais où je vais
je sais comment y aller je sais assurément comment vous y mener sans percevoir
l’ironie d’un tel déballage mais acceptant de battre sa coulpe sous les assauts de la Nouvelle Vague adepte de
« vie » et d’improvisation (il reniera honte à lui Les
Diaboliques)
Assez vite au bout de quelques jours
l’atmosphère (sans Arletty) de cette Nuit américaine passe du Plein
Soleil cantalien à la tempête d’un naufrage la langue bleue de Romy
avatar espiègle pour les essais d’inversion annonçaient pourtant déjà la
couleur le bleu du blues du vague à
l’âme de Klein (Yves pas Delon) recouvrant ses modèles de sa peinture marque
déposée avant de dévoiler leur empreinte physique reconnaissable et difforme
sur ses suaires
Identifier les femmes vivantes encore
en relever la marque intime sur l’écran
noir de ses nuits blanches (Nougaro et Michel Legrand pas de hasard en duo
pour la bien nommée chanson Le Cinéma) quadriller la zone
interdite du film en une Anatomie de l’enfer
Sur le plateau on s’étrangle (Frenzy)
« pour de faux » et pour rire
pour ne plus mourir pour ne pas s’écharper pour tourner en paix (et en rond)
Mais le héros et le réalisateur vont
vite s’avérer en Chute libre heureusement sans port d’arme le sol se
rapprochant sans cesse « Jusqu’ici tout va bien » murmurait Mathieu Kassovitz
(effets de souffle spectral ici et là sur la fumée ou en fondus)
Sur une boîte à bobine on lit avec
délice la thématique de l’essai Instabilité
on ne saurait mieux dire en effet la pathologie de la jalousie rencontre la rationalité
maladive du control freak
« coïncidences fatales » singeant celles entre Hitchcock et l’art
Cette « qualité française »
honnie par Truffaut and Co. Jeunet la remettra au goût du jour avec son Amélie
hennissante mais elle vaut également en tant que symbole/symptôme d’une inquiétude
métaphysique née dans les années 30 en crise et grandie dans la grisaille de la
Libération (revoyez Panique de Duvivier pour vous en assurer)
L’« Héliophore » de Dufay (1930
inspiré par les ailes iridescentes du papillon) un dispositif de plaques de
couleur métallisées complète les effets giratoires de Duvivier (Éric pas Julien
son neveu accessoirement collaborateur de Michaux) spécialiste du « film
médical » nous rappelle la « Dream machine » de Brion Gysin et Ian
Sommerville expérimentée par William S. Burroughs
La fièvre de Malte (quel joli nom
pour une maladie) ou brucellose
frappant peut-être Reggiani résonne avec le mécanisme allégorique de La
Conspiration des ténèbres cette croix de Malte du cinéma
argentique nécessaire à la caméra et au projecteur
Clouzot lit et discute avec son
psychiatre le professeur Delay ersatz du Gachet de Vincent (ah la psychanalyse
et le cinéma marché de dupes et d’imposteurs faits pour s’entendre)
Le scénario stipule un enfant
trois ans et demi et une structure en flashes-back pour tenter d’élucider un meurtre hypothétique (Le jour se lève mais
surtout Spider)
Des gifles à Suzy Delair sur Quai
des Orfèvres (Pialat corrigeant
Sophie Marceau sur Police) Prête-moi ton mari ou l’échec de
Romy Schneider à Hollywood sous l’égide de la Columbia trop jalouse de Delon puis
séparés fin 1963 un corps étranger dans
le cinéma français l’érotisme aquatique de Plein Soleil (1959 non créditée) ou La
Piscine (1968 l’année de La Prisonnière)
L’avenir du passé
Nous voici au croisement des mondes
(temporels) la France de Pouic-Pouic (1963) et d’Alphaville
(1965) dans le même film mutant transgenre
et transgénique l’éternel été
régressif rediffusé le futur sombre et glacé « Il a fait Kafka dans sa
culotte » osa Jeanson à propos des Espions la France d’aujourd’hui et
de plus tard demain déjà là dans l’œil cyclopéen de l’ordinateur cacochyme de
Godard avant celui rouge sang de Kubrick et la dernière séquence de 2001,
l’Odyssée de l’espace trip
par-delà l’infini (et le Bien et le Mal nietzschéens) paie aussi son tribut aux
recherches de Clouzot
L’IRCAM les mobiles suspendus de Calder
les robes métalliques de Paco Rabanne l’art cinétique des plasticiens Joël
Stein et Jean-Pierre Yvarral adapté pour l’occasion puisque la caméra se trouve
dépourvue de persistance rétinienne ou le souci dynamique de Vasarely Op Art auquel se frotta le jeune De
Palma filmant sagement une exposition au MoMA (The Responsive Eye 1966)
et cerise sur le gâteau (empoisonné) Huit et demi de Fellini
Certes tout ceci mais pas seulement L’Enfer
telle une centrifugeuse un chaudron expérimental où brûle le bouillon (de
culture) du sorcier (Sorcerer) Clouzot ramifications en
rhizomes en reflets en monstrueuse galerie des glaces
Les Cheveux d’or avec ce plafond de verre séparant L’Obsédé
de son (trop) beau papillon chez Hitchcock la contre-plongée « transparente »
permettait de voir les pas du suspect mieux de les écouter au sein du film muet
avec du son visuel
La scène du train (codicille à la coda de La Mort aux trousses) ressuscite
le slapstick de Sennett et consorts victime
féminine (forcément) attachée aux rails femme blanche ligotée là par ces fichus
Indiens puis Amérindiens (vocable plus juste mais politiquement correct itou) dans l’attente de la cavalerie
demoiselle en détresse offerte à la découpe du train à la coupe du montage à la
coupure du rasoir (notez que dans Quai des Orfèvres Jouvet élève un
enfant « des colonies »)
L’œil d’insecte de la caméra perçoit
les visages en mosaïque sérigraphies en série de ce farceur triste de Warhol
art devenu commerce depuis la Renaissance quand les banquiers florentins
découvrirent que le mécénat pouvait rapporter pouvoir économique politique
symbolique
Dans Chair de poule (1963) Catherine
Rouvel femme fatale provinciale d’un garagiste pour une relecture écrasée
de soleil et d’ombres (au cœur) du Facteur
sonne toujours deux fois Duvivier ou Clouzot le plus sombre le plus
sentimental des deux
L’Enfer film en couleurs spasmodiquement augure
du giallo ses jeux colorés
fétichistes forme « dégradée » pop
et sexy du maniérisme pictural dans
l’Italie des années 60 (« miracle économique » démystifié par Risi
avec son Fanfaron) Reggiani au patronyme à l’unisson de toponymes ne
porte pas d’imperméable en cuir noir mais tient bien son brillant rasoir
Et les films-cerveaux de Cronenberg le
viaduc substitué à l’usine à gaz de Spider toile de corde et toile de
tôle l’arche basse et lourde comme un couvercle (le ciel de Baudelaire) écrasant
l’assassin en devenir l’homme des foules (Poe) sur le point de succomber à sa
pulsion de mort (death wish) titre
original du Justicier dans la ville la femme et la fille de Bronson
subiront les derniers (pour l’épouse) outrages « en réunion » par un gang (bang) où l’on reconnaît Jeff
Goldblum pas encore scientifique téléporté/tressé (génétiquement à un insecte)
de La Mouche sous des plafonds à la Welles des arches aussi rondes que celle
du pendu d’Il était une fois dans l’Ouest frère faut-il le rappeler du
laconique Bronson again
Du noir et blanc également une esthétique
à la Val Lewton Rendez-vous avec la peur chez Jacques Tourneur Romy aussi Féline
que Simone (Signoret) Simon dans les Ténèbres sans fond (a contrario de La Piscine celle de
Tourneur Deray Argento in Suspiria) du désir féminin
Le naturalisme de Zola de Renoir avec
cette (pauvre, comme dit Josette Day à Jean Marais chez Cocteau) bête si
humaine la loco(motive) et el loco
(le fou d’amour et d’immaturité) l’un entraînant l’autre dans son déraillement
programmé ce grain de sable dans l’engrenage dont parle Bromberg celui qui
réduisit en poussière l’entreprise pourtant si bien planifiée
Dans L’Enfer l’expressivité « anormale »
de la couleur résonne avec Antonioni (Le Désert rouge, 1964) et le bleu profond utilisé par Kubrick pour la première
partie de Full Metal Jacket un rasoir et des mains tendues font le lien
entre Psychose et Pulsions avant que Monica Bellucci autre
italienne célèbre autre greffon fantasmatique plus morte que vive ne
s’engouffre dans un passage souterrain utérin pour y rencontrer/affronter son
destin à l’envers (comme le train de L’Enfer) dans Irréversible
Citons encore le Mario Bava méta des Trois
Visages de la peur démasquant à l’ultime plan de son Voyage
au pays de la peur la machinerie artisanale du cinéma (italien et
d’horreur mais pas que) citons toujours la tête penchée bouche entrouverte de
Romy à la Marilyn (devant les chutes de Niagara) autre icône éphémère et
suicidaire répétition célébration anticipation disparition
Clouzot semble vouloir mixer le naturel de la Nouvelle Vague
(Romy sourit sans maquillage décoiffée aux essais) et le glamour de Hollywood de Berlin (esthétique expressionniste UFA
relue par Fassbinder avec Le Secret de Veronica Voss)
Et bien sûr toute une part du X à
venir Gorge profonde (une journée à filmer le voyage d’une langue autour
de lèvres apparentes) et The
Devil in Miss Jones (une vierge suicidée réincarnée pour connaître le
paradis infernal du sexe puis l’enfer de la frustration) avec ce fil de fer
détourné en joujou pour adulte voire l’expérimentateur Gregory Dark
Un blue movie en noir et blanc et couleurs
Henri-Georges fumait la pipe mais Ceci
n’est pas une pipe de Magritte et pourtant cela le demeure d’une
certaine façon d’une façon certaine comme le nez au milieu de la figure comme
le sexe (de femme) au milieu du corps Origine du monde irreprésentable ou
alors seulement en peinture le cadrage du cinéma ne parvenant pas à reproduire
celui du cadre pictural (dixit
Chabrol) dû à Courbet qui s’échinait
en secret
Le sifflement du train suscite et se
fond dans le cri de la femme ce cri de Munch (même passerelle) de Wes Craven de
Nancy Allen dans Blow Out (to blow
agrandir exploser faire une fellation) Travolta cherchait le cri parfait pour
sonoriser postsynchroniser sa bande
horrifique de série Z la douche de Marion après le bain biblique de Suzanne le
cri amputé de Romy dans Le Vieux Fusil Robert Enrico raconte ce cri
terrifiant absent de la bande-son
Le viaduc de Garabit hier celui de Millau
aujourd’hui érection de la tour
Eiffel touristes partouzards venus voir l’édifice pénis et androgyne car
combiné à la courbe d’un sein féminin architecture d’organes génitaux avec
l’orgueil d’acier de la tour de Babel les hommes via leurs maquettes grandeur
nature leurs films pharaoniques (ta mère) se hissent vers le Ciel
William Lubtchansky parle à raison de
« coïts optiques » quelques jeux lexicaux après ceux de la lumière
savourés sans doute par Clouzot homme d’images mais d’abord de mots l’hôtel
originel se nomme Garabit ce qui donne phonétiquement gare à bites ou bien Encore (priaient les religieuses de
Lacan) gare à la bite (mais pas celle
du Querelle
de Fassbinder autre réalisateur réductible à trois initiales sainte trinité de
la cinéphilie avide de veaux d’or RWF)
Un vieillard flanqué d’un enfant filme
le couple en train de se séparer sous le viaduc les touristes le dos tourné à shooter le monument indifférents à la
tragédie de province au drame bourgeois naguère puits sans fond du vaudeville
le mari la femme l’amant ici Reggiani cumule les postes et compte pour deux
avorton se débattant avec l’homoncule de ses pulsions l’horlogerie de Feydeau
avant celle de Clouzot
Belle scène du train phallique avec
son orgasme associé au bondage art
d’aimer nippon en noir et blanc et sans tatouages le train roule à l’envers
pour ne pas risquer d’écraser l’actrice mais la projection inversée le projette
vers nous reprise et modulation du geste immobile inaugural séminal des Lumière à La
Ciotat
L’Enfer reprend aussi pour la prolonger la dilater dans le temps interminable des
essais l’oralité de Psychose avec les orifices de la bouche et de l’œil exposés
sous toutes les coutures (du montage) en plan fixe poétique et gynécologique analité
Trou
noir de Disney Blackout réflexif de Ferrara arrêt
cardiaque inachèvement du long
métrage
Bleu péjoratif de l’anglais du film pour adultes (US ou Inde) de la
satire de Terry Southern
Trois hommes et deux
femmes combinaisons multiples du triangle amoureux gymnastique
hallucinatoire de l’esprit qui panique tandis que le corps ne parvient plus à
niquer fi de la sartrienne altérité infernale (et Jean-Sol Partre défendit
Clouzot au temps du Corbeau) l’Enfer ici équivaut à la solitude à l’autarcie au
solipsisme Marcel autiste enfermé en lui-même ne peut voir le monde tel qu’il apparaît vraiment contradiction à la base de la perception individuelle autant
de réalités que de spectateurs Rashōmon et Husserl ou Philip K.
Dick (bite en anglais of course) chaque cinéaste voit Midi
Minuit (Fantastique) à sa porte
Le saphisme discret mais évident de Quai
des Orfèvres Simone Renant photographe couvant du regard et du reste le
corps dénudé de Suzy Delair se voit désormais mis en scène avec franchise dans
les fantasmes hétérosexuels de Marcel deux femmes ensemble Femmes entre elles dirait
Antonioni à ses débuts qui cela peut-il bien intéresser à part les mâles (ou les
amoureuses homosexuelles et encore) voyeurs jaloux du plaisir féminin qu’elles
seules peuvent se prodiguer ainsi sans notre concours pauvres utilités rejetés
à la marge du miracle scabreux de leur extase salace et sacrée toujours
spectateurs toujours témoins
La face grotesque ou risible
(Reggiani en « marron recuit » selon le décorateur Jacques Douy) de
l’homme qui éjacule le visage radieux douloureux merveilleux de la femme qui
jouit comblée remplie par le don blanc (couleur et tir à vide) de
l’amant ce vide immense et proche à combler sans relâche Sisyphe transformé en
étalon le vide du corps du cœur avec ses orifices à obstruer la pornographie s’épuise à vouloir enregistrer cet acte
insensé ce tonneau des Danaïdes jamais rassasié
Odette caresse La Moustache du bellâtre Jean-Claude
Bercq tout droit sorti de Partie de campagne de Renoir
traduisant la sensualité rustique de Maupassant fascinée par cette pilosité en
signe extérieur de virilité dans Casque d’or Reggiani arborait aussi
cet attribut masculin (comparez avec l’infinité de sexes glabres des actrices
de X mode et réification de Mannequins vraiment nus)
De l’eau tiède sous un pont rouge d’Imamura avec sa « femme-fontaine »
pourrait servir en titre alternatif à L’Enfer architecture poétique
servant à désigner le graal vaginal
Dans la scène cité supra sous le viaduc (le duc du vier) observez bien
l’arrière-plan Reggiani et ses parasols ouvert ou fermé face à Romy et sa croix
en pendentif sexes levés ou en berne homme nu et martyrisé agonisant sur une
croix Marcel Christ du Cantal impuissant sa femme sainte et traînée maman et
putain (Eustache pas loin)
Un plan d’essai fait sourire on y
voit de l’eau déborder d’un verre tenu par une Romy hilare sa main mouillée
celle des performeuses de la San
Fernando Valley dans le manga Crying
Freeman une bouteille de champagne éjaculatoire une publicité pour
Perrier
Innocent ressort (des enfants adultes
ou morts à présent jouent avec) devenu sex
toy entre les mains de l’actrice autrichienne
pour une scène de masturbation plus pathétique chez Lynch (Mulholland Drive ou le fantasme
d’une femme se rêvant star)
Hubris ou matrice ?
On loue une suite au George V Clouzot
ami de Montand (Catherine Allégret ne prononce pas son prénom) s’abandonne sans
remords à La Folie des grandeurs alors qu’auparavant une simple chambre
ou un bureau suffisaient pour abriter la création (souvenir de Douy)
On embauche 150 techniciens répartis
en trois équipes de prise de vues qui prendront surtout le soleil (souvenir de
la scripte Thi Lan Nguyen)
Le garage se nomme Adam Esso le
premier homme la tentation d’Ève la première femme la première firme de pétrole
à l’époque pour enflammer un scénario de 300 pages sur un argument de trois
mots Marcel est jaloux
Avec L’Enfer Clouzot relit La Psychanalyse
du feu de Bachelard bien avant Bowie et la gasoline de La Féline cherchant à éteindre le
feu (Putting
Out the Fire) avec de l’essence caméléon cette fois incendiaire (et
zoophile bigre)
Les Filles du feu de Nerval font retour chez Lynch cinéaste
et photographe mais aussi dans la niche
du X numérique ce qui nous vaut des fellations enfumées fumer nuit à la santé
du sexe Clouzot ne se lasse pas de filmer Romy ou Dany « cigarette au bec »
cette dernière avec ses faux airs de Perdita Durango (Sailor et Lula) il s’agit aussi de ranimer les braises de la mythologie
hollywoodienne avec ses femmes fatales fumeuses (Lauren Bacall pour faire vite)
avant que ne s’imposent les Gitanes (la marque) tabagiques de Sautet
Un essai associe masculin et féminin
(Godard ?) pour une chimère optique un Janus androgyne scission sexuée en
miroir de l’esprit schizophrène de Marcel
Par ailleurs on ne peut que
s’interroger sur la virginité incertaine de la mariée soulevant son voile comme
d’autres ôtent leur (petite) culotte Hitchcock encore quand Kim Novak fait son
chignon à la demande expresse à la supplique de Stewart elle enlève ses sous-vêtements elle qui détestait ses escarpins gris à la Buñuel (fétichisme podologique)
Traditionnellement (culture et
peinture) l’eau comme élément féminin celle où l’on se noie (Romy sur ses skis
tombe à l’eau) telle Ophélie celle dont on se lave (Suzanne et les vieillards
libidineux les jeunes premières du cinéma français déflorées par la caméra)
celle de Venise sous l’ère fasciste (La Clé de Brass magnifique Stefania
Sandrelli de Noyade interdite) celle des Larmes (amères de Petra von Kant)
versées face à l’adversité aveu et ruse signe double à décrypter en métonymie
de l’effusion des eaux du plaisir ou de l’enfantement
Pourquoi Clouzot perd-il autant de
temps sur ce foutu lac artificiel bientôt asséché vidé (comme toute l’équipe et le cinéaste en premier) parce qu’il habite enfin le territoire mirifique du
« continent noir de la sexualité féminine » (Freud) aveuglé sidéré
terrassé
Et s’il fallait trouver le
« vrai » sujet de L’Enfer plutôt que dans la jalousie
du mari dans le plaisir de sa femme dans son mystère toujours dérobé imaginé
ruminé
HGC nanti de la carte blanche (écran de cinéma suaire des fantasmes) inconsidérée
des Américains peut sembler « désemparé » (Jacques Douy) vu du dehors
mais dans son for intérieur son démon
grec lui souffle de s’attarder encore sur la « scène (du crime) primitive »
idéale à portée de main de brasse de caméra
Antonioni repeint les pelouses
(attention Gazon maudit nous dit Josiane Balasko sur un mot de Bertrand
Blier) Demy les rues de Rochefort (et les bites
du port) Clouzot grâce à l’inversion
donne au lac la couleur rouge sang des menstrues (Carrie au bal du diable recevra
sur sa robe immaculée un plein seau de liquide porcin sous le pinceau puritain)
Le lac espace pacifié convient
parfaitement et par contraste graphique et symbolique avec le déchaînement des passions
pour une petite séance (« un petit film » disaient-ils) de torture
intime sans cachettes ni menottes sous le soleil et sur l’eau plate tout va
advenir en plein jour la vie imitant l’art (Wilde) impuissances croisées
(Fellini Prieur Clouzot)
Que donne à voir cette
version tronquée du film sinon La Tragédie d’un homme ridicule
Tognazzi chez Bertolucci Reggiani ici de même on peut lire aisément Fenêtre
sur cour en comédie amère et Body Double en comédie noire
tragédies sarcastiques du regard qui voit mal pas assez pas tout qui remplit
les blancs (et les noirs) avec Toutes les couleurs du vice de l’Enfer
privé (Jean Rollin) des sévices masochistes ah ce que cette petite salope m’excite dans son surréalisme de garce
(et les raciniens serpents qui sifflent sur sa tête avec ses yeux de Gorgone
retentissent aussi dans l’esprit esclave de Marcel)
L’enfant et le vieillard (pas ceux de
Berri) découvrir et vieillir la vie et le couple entre les deux la maison (ou
l’hôtel) la voiture la progéniture le chien deux bornes deux repères visuels
pour encadrer une existence une malédiction celle de l’espèce depuis ses débuts
obscurs que Clouzot peint film après
film à l’eau-forte sans pitié mais pas sans tendresse plus proche de Céline que
de Dostoïevski amusé par ses monstres sur une scène de foire si française et profane
Clouzot à son tour se jette à l’eau
abandonné par mégarde sur son île de Robinson atrabilaire au centre du lac
immortalisé par une photographie de Claude Renoir il ne s’effraie pas mais
jubile pipe au bec dans l’océan primordial le liquide amniotique maternel ravi
de revenir dans la matrice bien plus que d’exercer son hubris
Recalé à l’école navale de Brest pour
myopie fils d’un père libraire puis commissaire-priseur suivant des cours de sciences
politiques à Paris ensuite la pauvreté l’aubaine du contrat avec la Continental
(payé à la Libération comme Guitry) et maintenant le fric de la Columbia
Les Choses de la vie avec ironie donnent à tout ce petit monde
une leçon de capitalisme artistique et sexuel nul jamais ne saurait
posséder une femme (un homme) ni un film
Courir, puis mourir…
Time is money
comme disent les financiers en l’occurrence l’argent vert du dollar budget illimité offert par des hommes d’affaires
séduits par ce qu’ils virent tels les producteurs de la United Artists
énamourés par les rushes de La
Porte du paradis malheur à eux Cimino en fossoyeur de studio
Courir contre la montre contre la pression
du tournage (ménage) à trois contre les gens inactifs pas même fichus de manger
à la même heure plusieurs services et un seul film un tournage en forme de
naufrage viaduc et Titanic (your mother)
Plus sérieusement il s’agit de la nécessité
d’épuiser les acteurs surtout le ricanant et « taiseux » Reggiani dans
sa quarantaine (Miss Schneider vocifère) fesser ces grands enfants jusqu’à ce
que leur charmant postérieur devienne bleu (pauvre Dany Carrel) et leur front
rouge (pauvre Mario David sans de Funès) à force de coups de talon sadisme
paternaliste et perfectionniste
Sur les images rescapées deux hommes ferment les yeux le réalisateur et l’acteur (principal) Eyes
Wide Shut so l’oxymoron de tout
cinéaste le geste instinctif et théâtral face à La Vérité insupportable
témoigner en cour d’assises ou bien se crever les yeux à la suite d’Œdipe celui
de Sophocle de Pasolini (PPP)
Ne pas oublier que La Vérité
d’un personnage diffère de celle d’un autre sables (é)mouvants des sentiments
incertitude vertigineuse du réel Clouzot cinéaste existentiel qui le
croirait
Deux faits avérés toutefois l’amour
des enfants (Quai des Orfèvres ou la promenade du landau et ce regard de
Romy au nourrisson) et la mort inexorable
L’Enfer d’ici et maintenant celui de Rimbaud
de Strindberg le fantastique trivial du quotidien et revient le camion
maléfique du Salaire de la peur (justement baptisé Sorcerer par Friedkin
dans Le
Convoi de la peur) et surnage en apesanteur ce viaduc fantomatique (Marianne
de ma jeunesse et son romantisme allemand) et s’impose la vision
subjective (point de vue avec cigarette et briquet encore Sailor) d’un homme malade
greffée sur le regard du spectateur vieux truc remontant au moins à Mamoulian
pour son Docteur Jekyll et M. Hyde puis repris par Carpenter et la
cohorte des pratiquants du slasher
aux tueurs habitués à sévir au bord d’un lac (remember Vendredi 13)
Rien d’étonnant à cela puisque
Clouzot travailla à Babelsberg dans les années 30 y supervisa les versions
françaises des tournages teutons vit les
films de Murnau et Lang (Romy aux anneaux lumineux en Maria de Metropolis)
comme Hitchcock dont la mise en abyme inquiète
(les abîmes de la mort filmée) ne vise rien moins qu’à l’immortalité
L’infarctus de Clouzot (face à
l’étreinte de Romy et Dany) la dépression supposée de Reggiani un mois avant le
tournage en juin 1964 Henri-Georges perd sa mère prénommée Suzanne la crise
cardiaque (fatale) de Véra Clouzot comme dans Les Diaboliques et avant
cela tuberculose sanatorium en Suisse (ambiance Thomas Mann) de 1935 à 1939
filmer contre la mort filmer la mort à son côté dans La Solitude du coureur de fond et du
cinéaste capitaine cerné par les écueils les stars les techniciens les producteurs les parasites et les chutes du film
Tout s’arrête au bout de trois
semaines de tournage avec pour reliquat de l’aventure 185 boîtes et 13 heures
de film et un documentaire de 95 minutes sans compter les 57 de supplément DVD
Autre coitus interruptus de Clouzot avec son propre « docu » inachevé
au Brésil (ah les favelas) durant la lune
de miel avec Véra (coûts trop élevés hostilité des autorités)
Et l’interruption de tournage de La
Prisonnière
SM photographié par Andréas
Winding avec une musique de Gilbert Amy (+ Webern Mahler et Xenakis) et la
participation de Dany Carrel trois survivants infernaux pour cette nouvelle histoire de passion d’obsession de Soumission
(pas celle de Houellebecq arpenteur sardonique des Enfers modernes)
Inès Clouzot meurt en 2011 deux ans
après le film de Serge Bromberg et Ruxandra Medrea Annonier récipiendaires d’un
César (La nostalgie n’est plus ce qu’elle était vraiment Simone) et Henri-Georges en 1977 écoutant La Damnation de Faust de Berlioz d’après Goethe dans la traduction
de Nerval dernier embrasement des Filles du feu et boucle bouclée
Dans les cartons des films à faire
des films à rêver des films sur lesquels écrire cinquante ans plus tard ce
projet sur Mandrake (Resnais ?) celui sur l’Indochine (Régis
Wargnier ?) cet autre sur Thérèse de Lisieux (retour à Duvivier en passant
par Cavalier) ou un bandant film
pornographique pour Francis Micheline (pape
du cul inconnu)
Les commentateurs soulignent
l’érotisme l’originalité la nostalgie de ces images quelque part entre le film
de vacances et le film d’archives making-of
d’un film en train de ne pas se faire et qui ne se fera plus (gardons un
silence charitable sur les « pièces rapportées » façon MJC avec
Bérénice Bejo et Jacques Gamblin)
Nous préférons parler de mélancolie
et d’humour d’insurrection (Les Révoltés du Bounty à Garabit) et
de complicité de désir et de mort d’anecdote et de mythe de maîtrise et
d’abandon
Les prénoms proustiens (Marcel et
Odette, la « cocotte » de
Crécy) le titre chipé à Dante (cité littéralement dans Peur sur la ville tentative
franco-italienne de giallo délocalisé)
la plaque professionnelle (en fait un
gâteau turgescent comme la TV de Vidéodrome brûlé par derrière au chalumeau) ornée du
patronyme Strauss (valse ou Zarathoustra fais ton choix) et La
Môme vert-de-gris (Eddie Constantine always déjà Carlotta) des essais transmis Clouzot mélomane littéraire
(en bout de course il filmera Karajan pour le petit écran) connaissait ses
classiques son art sa mort
Alors rendons grâce aux sympathiques profanateurs de sépultures L’Enfer
sur terre et sur mer respire à notre rythme dans ce dialogue fertile
fantomatique et fatal
Une correspondance inattendue en guise de post-scriptum...
Reçu en date du 28 avril 2015 ce courriel :
« Bonsoir.
Voici ce que je
m'apprêtais à écrire dans la conversation, mais je dois avouer ne pas avoir su
m'y prendre. Si vous y arrivez, n'hésitez pas.
Merci pour votre
intérêt et pour cet article qui me laisse partagé.
Bien cordialement
Serge.
Je me joins en passager
clandestin à cette conversation. Personne ne saura ce que nous nous sommes dit
avec Inès Clouzot dans cet ascenseur bloqué entre deux étages, et cela restera
notre petit secret. Ceci dit, je vous trouve bien sévère avec le film que j'ai
produit et réalisé. Si vous n'avez pas saisi que la reconstitution avec
Bérénice Bejo et Jacques Gamblin est VOLONTAIREMENT simplifiée, c'est que vous
n'avez pas vraiment saisi ce que ce film essaie de faire : entrecroiser une
histoire fictionnelle (écrite par Clouzot) et le piège dans lequel Clouzot
s'est lui-même enfermé, sans ne jamais rien inventer. Ce n'est pas de l'analyse
écrite, dans laquelle vous excellez : c'est du cinéma, qui est destiné à un
public nombreux et divers, pour lui faire vivre une aventure à la première
personne. Notre film a tenté de ne pas profaner une sépulture, mais de raconter
ces deux histoires en essayant de ne pas donner de réponse là où personne ne
peut rien affirmer. Reste la beauté incandescente de Romy Schneider, et le grand
bonheur que nous avons eu à faire ce film dans le respect modeste du génie
incomparable qu'était Clouzot. A bientôt pour de nouvelles aventures. Serge BROMBERG »
Adressé ceci aujourd’hui :
Cher Serge Bromberg,
Merci beaucoup pour cette réponse rapide et sincère (à l'image de l’article,
donc).
Permettez-moi de revenir un instant sur le reproche de sévérité car,
d'une part – le texte le souligne à plusieurs reprises –, je respecte et
apprécie depuis longtemps votre travail, pas seulement sur L'Enfer et, d'autre part, « Sans la liberté de
blâmer... » : vous connaissez la suite, due à Beaumarchais (pas au Figaro !). D’ailleurs ne figurent sur ce blog que des films de valeur, à des
degrés parfois divers, certes, mais toujours abordés non avec bienveillance (je
laisse cela aux pratiquant du catéchisme critique, aux publicitaires et autres
adeptes du politiquement correct) ni
médisance (trop peu de temps et d’envie devant moi pour cela) mais
reconnaissance, confiance, indépendance. Chaque mot se voudrait à la hauteur
des images, parfois contre, jamais à leurs dépens ; chaque critique se
situe du côté de la célébration, ardente ou mesurée, adressée itou à « un public nombreux et
divers », plus celui de la salle, sans doute, ou alors délocalisé, pour
ainsi dire, sur l’écran numérique.
Rassurez-vous : je saisis PARFAITEMENT l’esprit des séquences de « reconstitution »
qui, même dans l'humilité de leur dépouillement, cette volonté de ne pas
interférer, ou à peine, avec le « génie incomparable » de Clouzot
(que j'admire, mais moins, cependant, que Duvivier), me paraissent dispensables.
Vous souhaitez « ne jamais rien inventer » mais – je me garderai bien
de vous l’apprendre, de simple cinéphile à réalisateur au parcours éclectique –
le cinéma fonctionne à la façon de la théorique quantique : les conditions
d’observation modifient l’expérience elle-même, le sujet dialogue avec l’objet,
la personnalité finit par créer sa propre réalité (vous dites très
justement : « faire vivre une aventure à la première
personne »).
D’autant plus ici, où les régimes d’images se tressent les uns aux
autres, pour aboutir à une chimère qui n’existe pas, qui ne peut pas exister –
le film de Clouzot – et qui cependant existe, à travers ce documentaire que vous
co-signez, à travers notre regard sur lui (on cède volontiers l’analyse
filmique/écrite aux écoles de cinéma, pour donner à lire une subjectivité
clairement assumée, avec ses défauts et ses qualités). Rencontrer les
survivants de l’aventure, solliciter leur mémoire, joindre par le montage les
époques et les lieux – tout ceci constitue déjà un acte artistique en soi (là
encore, j’enfonce des portes ouvertes, mais tant pis) que l’on peut estimer un
peu trop sage, un tantinet corseté par un trop grand « respect
modeste » du matériau d’origine. Vous rejoignez ainsi, presque par
inadvertance, le cœur du long métrage inachevé, sa tension entre folie et
rationalité, stratégie et naufrage, puisque Clouzot, à son échelle auvergnate,
vécut sa version d’Apocalypse Now (ténèbres du scénario et du tournage)…
Pour finir, je vous rejoins mille fois sur la beauté « incandescente »
de Romy Schneider (sans oublier celle, plus piquante, de Dany Carrel), sur le
« grand bonheur » à voir enfin ces images d’outre-tombe, dénichées
par de précieux profanateurs (il s’agissait d’un clin d’œil à Don
Siegel, pas d’une remontrance) pour la joie (morbide ?) de nécrophiles
(comptez-moi dans vos rangs), sur tous les mystères liés à ce titre (nos pistes
un peu provocatrices ne les épuisent pas, heureusement).
Au vrai plaisir de vous lire, voir ou écouter à nouveau,
Jean-Pascal MATTEI
Ce documentaire et votre article à sa suite donnent envie de voir les heures et les heures de rushes comme Blomberg en a eu le privilège. Il semble que l'on puisse être emporté dans cette circonvolution d'essais, d'expériences infinies, un reliquat absolument fascinant, une relique sulfureuse et impie. Et pour prolonger le fétichisme, l'initiative de Bromberg a permis en 2009 la parution du très beau Romy dans l'enfer chez Albin Michel.
RépondreSupprimerIl entre en effet une grande part de fétichisme dans la nécrophilie, et Clouzot prit sans doute beaucoup de plaisir (fatal !) à jouer à la poupée avec Romy et Dany ; au-delà de l'album, que l'on peut rapprocher, avec une pointe de perversité, du Sex signé Madonna, un mystère supplémentaire demeure : comment diable Serge Bromberg, cinéphile claustrophobe (un comble !), s'y prit-il pour convaincre la veuve du cinéaste, coincé avec elle dans un ascenseur (mais pas pour l'échafaud) ?
SupprimerLire aussi notre dialogue "virtuel" avec Serge Bromberg, rajouté en PS (trop de caractères pour le champ Commentaires)...
RépondreSupprimerCocasse et toujours plaisant (d'attirer ainsi le regard, mouvement rare que celui des yeux qui se tournent non plus du grand écran des cinéastes et des spectateurs vers le tout petit écran des simples -et bien souvent seuls- cinéphiles, mais l'inverse).
SupprimerL'enfer d'un cauchemar filmé, les enfants survivants de l'après-guerre, tous pêcheurs de naissance, échouent à recréer un monde nouveau puisque le monde est à jamais entaché par la Shoah. La langue bleue de Romy Schneider en dit long sur l'étalonnage symbolique du film à demi voilé : Une chambre à gaz du camp d'extermination de Majdanek affiche encore de nos jours sur ses murs l'ombre bleuté des bien fantômes qui hantent l'inconscient collectif, celle pourtant bien réelle de gens exterminés dans le cadre du programme génocidaire des nazis. Que dire des fameux corps bleus d'Yves Klein, mort d'une crise cardiaque, qui
Supprimerjuste avant de mourir, confiait à un ami : "Je vais entrer dans le plus grand atelier du monde. Et je n'y ferai que des œuvres immatérielles."
En fin de carrière, Romy Schneider se spécialisera dans le registre doloriste de la souvenance, de la repentance, comme pour rédimer de sa maman les affreuses fréquentations, bien sûr l’insanité, de manière mondiale partagée, de sa nation d’abjection (Rivette & Pontecorvo, duo sado-maso) : choix respectable, pourtant regrettable…
Supprimerhttps://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2019/01/kitty-und-die-groe-welt-hitler-connais.html