Osterman week-end : De la vie des marionnettes
Que signifie l’assassinat de
cette espionne francophone ? Que veulent vraiment les amis du présentateur
vedette invités dans sa villa ? Qui se cache derrière le groupuscule
Oméga ? Et si toutes les réponses aboutissaient à d’autres questions,
durant un mémorable week-end ?
Plus de trente ans après, que trouve-t-on dans le testament de Sam
Peckinpah ? Un grand film tragique, redécouvert à travers ses masques identitaires :
réflexif, politique, funèbre, prophétique, féminin, mythologique, satirique et mélancolique.
Se démultiplier telle une tumeur
(Rutger Hauer & Burt Lancaster)
Baiser/se faire baiser
(John Hurt & Merete Van Kamp)
Vous n’en croirez pas vos yeux :
ouverture sur un porno soft bien vite transformé en snuff hardcore, incipit
d’images sales contemporaines de l’avènement domestique du X (floutées par le
cinéaste dans son montage original), pour présenter un monde plus sale encore,
voyeuriste et glacé, où le cinéma tente vainement de contaminer la vidéo par le
découpage des angles, et scène primitive/traumatique accouchant d’une terrible
vengeance, avec un zeste d’humour noir et vaudevillesque, puisque les tueurs
sortent… d’une armoire, rejouée en boucle sur les écrans individuels, des
services secrets ou de la cuisine d’un présentateur aisé, fantoche de la
citoyenneté médiatique : aucune
échappatoire à l’empire des images et de la chair triste (d’autres
scènes de baise à venir, entre le grotesque et les rapports de force, imagerie
familière catalysant l’ire féministe) – mettre ou se faire mettre, disait
Gainsbourg…
Truquer les photos de vacances
(Chris Sarandon, Jan Tríska, Craig T.
Nelson, Dennis Hopper)
Le médiocre photomontage ne trompe
que ceux qui veulent s’aveugler, le chef de la CIA qui compte sur les
conspirateurs pour accéder au pouvoir, le présentateur de talk-show qui fait
avant tout parler de lui, et l’image affirme sa nature de simulacre avec l’outrecuidance
d’une putain : ce décor de chalet enneigé, ces toques noires sur fond
blanc, reliques fétichistes issues de la guerre froide, ce regard droit dans
l’objectif, ne font qu’affirmer l’illusion du complot – « La vérité ?
Un mensonge pas encore découvert », déclare l’ami dont le nom baptise les
week-ends – seulement ourdi par trois exilés fiscaux, que manipule une taupe au
patronyme russe, en guise de passeur d’argent aussi sale que le reste, et la
neige en deuil de l’idéologie rime avec celle de la télévision, dans un sursaut
désespéré pour endiguer son flot d’obscénités commerciales, unissant l’agent
orange au savon antibactérien…
S’adresser aux morts qui s’ignorent
(Burt Lancaster)
Conversation (pas si) secrète au
téléphone, devant un cimetière, comme pour souligner, avec le poids du marbre
d’une nécropole militaire, la qualité funèbre et létale de l’œuvre : oui,
vraiment, personne ne sortira d’ici vivant, le jeu se finira très mal pour les
grands enfants qui s’y livrent (pieds et poings et yeux liés), pour le
spectateur aussi, renvoyé à sa propre lâcheté, à son aveuglement pascalien dans
le divertissement du cul et de la violence ; ce week-end sinistre prend
acte de la mort d’un certain cinéma, du politique (remplacé par le commerce des
images, de toutes les images et rien qu’elles), des légendes cinéphiles et de
la carrière du cinéaste, lui-même épuisé par trop d’alcool, de drogues, de
combats perdus d’avance (au montage, toujours), qui s’en va définitivement,
délaissant le cauchemar subjectif à la recherche d’une tête mexicaine, pour
l’enfer aseptisé d’un studio de télévision à l’échelle globale, agora
mercantile sans réel face à face, scène dérisoire où dansent Ginger et Fred, et
machine à fabriquer de l’oubli quand le cinéma fabrique des souvenirs, pour
citer Godard…
Bander selon la hausse des indices
(Chris Sarandon & Cassie Yates)
Les écrans formatent la sexualité des
personnages, les cours de la bourse réfléchissant les acmés ou les déflations
de leur libido ; dans la baignoire aussi étriquée que leur vie et leurs
rêves, un couple se dispute entre un service oriental et un mur de miroirs,
dans l’anamorphose de l’objectif qui les épingle à la façon d’un
entomologiste : le film comporte un jeu macabre autour de la (fausse) tête
d’un chien décapité, écho du sort félin parmi les chiens de paille, mais la
faune humaine ne vaut guère mieux que les fourmis dévorant le scorpion en
exergue de la marche funèbre d’une horde sauvage, zoologie pessimiste qui
structure les récits en luttes de territoire, en affrontements bestiaux sublimés
par le temps dilaté du témoin, qui à la fois les élève jusqu’au mythe et les
enfonce dans leur misérable déréliction, leur corporalité explosive, toutes
tripes dehors, éructées par un téléviseur dans la cale d’un cargo
désaffecté…
Traquer avec un œil divin
Un western urbain vu d’en haut, de
ces hélicos patrouillant désormais le ciel nocturne hollywoodien, avec des
caméras embarquées relayant le réel devenu fiction convenue, pour des
spectateurs lobotomisés qui demandent leur pitance de stimuli sous l’égide
d’Éros et Thanatos ; le gunfight se déroule dans une décharge, bien sûr,
lieu emblématique de l’économie de marché poussée dans les derniers
retranchements de sa logique polluante (d’environnement et de consciences), qui
accueillait déjà la chute des amants criminels, à la ville et à l’écran, fuyant
un guet-apens avant leur renaissance sur une route de fortune, mais ici plus
d’horizon, seulement un écrasement de la perspective, qui renverse la pendaison
d’un nervi au bout de sa corde attachée à un autre hélico, mise en scène pour
impressionner ce parfait petit capitaliste de Tony Montana – le monde
t’appartient peut-être, mais il s’agit d’une porcherie, comme le chante
Morrissey sans l’ombre d’un doute…
Croire/ne pas croire aux images
(Rutger Hauer)
Accréditer ou pas les home
movies : l’arroseur arrosé mate le film de sa vie, la trahison de ses meilleurs
amis, homme de télévision plongé dans une histoire aussi abracadabrante que
celle qui embarquait le publicitaire avec la mort aux trousses, petite leçon
morale donnée à ces professionnels de la profession (encore JLG), narcissiques
et coupés du monde hors des images, de la mimesis reconstruite et programmée en
vendetta intime ; il peut bien manipuler son bouton de défilement, avachi
dans un fauteuil qu’il finira par quitter à l’ultime plan, cet expert ne sait
pas lire une image, un montage, une juxtaposition de moments volés, spectateur
des ombres diurnes de la caverne (le studio ou sa villa) platonicienne,
démocratisée depuis en niches numériques où tout un chacun peut satisfaire sa
scoptophilie particulière, prisonnier volontaire d’un film en forme d’acte de
décès d’une certaine Amérique et du journalisme qui va avec…
Regretter le passé dans le piège du
présent
(Cassie Yates, Rutger Hauer, Meg
Foster, Chris Sarandon,
Dennis
Hopper, Craig T. Nelson, Helen Shaver)
Dans l’aquarium de la villa sadienne
(« Vous êtes déjà mortes au monde », prévenait le libertin en
introduction aux cent vingt journées du château clos de Sodome), les
personnages ne cherchent pas à fuir, mais s’abîment dans la contemplation des
beaux jours qui ne reviendront plus, de leur amitié solaire évanouie dans le
doute et le ressentiment, en proie à une nostalgie consubstantielle au
cinéaste, malgré tout trop lucide pour croire à un quelconque âge d’or – « L’Amérique
n’a jamais été innocente », affirmait William S. Burroughs, et chaque
convive va en faire la cruelle expérience, l’impitoyable démonstration, pantins
pirandelliens piégés avant tout par eux-mêmes, cette force d’inertie qui les
enchaîne à hier, se croyant à l’abri des caméras dans un vaste parking au
crépuscule (autre topos de notre réalisateur), spectres vivants pour peu de
temps encore, ombres perdues derrière une vitre de la chambre verte…
Regarder les hommes tomber (et se
noyer)
(Helen
Shaver, Meg Foster, Cassie Yates)
Les femmes au bord de la crise de
nerfs contemplent les maris et les amants en train de faire les imbéciles dans
la piscine où coulera bientôt leur venin, à l’occasion d’un match dégénérant en
volonté de noyade – il faut que la testostérone trouve un exutoire, se déverse
comme autrefois le sang au ralenti (même si ce week-end très violent ne
comporte pas une seule goutte de sang !), et que leur reste-t-il sinon des
rôles de chienne en chaleur, d’épouse tendue ou de baiseuse maternelle, quand
elle ne se font pas violer au silence complice de leur premier amour qui
détourne les yeux ? Dans l’univers de « Bloody Sam », l’un des
surnoms les plus ridicules jamais donné à un cinéaste, presque aussi injurieux
que l’expression « western spaghetti », les femmes essaient de
survivre, y arrivent parfois, ni meilleures ni pires que celles dont
s’amouracha le réalisateur, qui fait incarner par sa propre fille une messagère
forcément fatale, donnant au chirurgien plastique, qui n’exerce pas cette
activité au hasard, la photo compromettante étudiée plus haut : aimer tue,
mais comment vivre sans femme ?
Toujours satisfaire le client
(Craig T. Nelson)
Ravir le producteur, le faire
applaudir en respectant le cahier des charges, quitte à en faire trop (la
poursuite surdécoupée, caricaturale, du début, double mise en scène, du
cinéaste et de l’agent renégat), à donner dans la parodie ou la subtilité métissée
(amours du présentateur avec une collègue noire, dans le sillon des étreintes
interraciales des westerns historiques ou modernes, là encore coupées par des
mains réactionnaires), comme une dernière chance de se refaire, de reconquérir
le droit de filmer à nouveau, après un passage par la deuxième équipe d’un
cinéaste reconnu lui aussi passé de mode, le corps amoindri, l’esprit plus
alerte que jamais, puis ne plus adresser la parole aux commanditaires, aux
financiers nouveaux rois de la fiction, et, finalement, mettre en acte le
précepte libérateur de Baudelaire : « On a le droit de se contredire
et de s’en aller »…
Surveiller pour punir bientôt
(Dennis Hopper, Craig T. Nelson, Chris Sarandon)
La vidéo-surveillance se généralise
dans l’espace public avant d’envahir la sphère privée, la claustrophobie du
cadrage renforce le caractère anxiogène du huis clos, et la troupe de comédiens
et comédiennes, tous excellents, se voit verrouillée par le tour d’écrou d’une
fiction gigogne, pour mieux révéler l’artifice de l’économie des images qui se
met en place au tournant des années 80 ; pour contrer les séductions
faciles du clip et de la publicité, le metteur en scène (comme on dit au
théâtre), formé, ne l’oublions pas, à la TV, opte pour une forme volontairement
appauvrie, plein cadre, faussement objective, trahissant autant les limites
financières et narratives (script détesté à partir d’un roman honni) que celles
de l’homme derrière la caméra, notre cinéaste mais encore le manipulateur
inconsolable de l’assassinat de sa compagne, revenu de toutes les illusions,
notamment celle de la chair aimée que l’on caresse après l’amour, et tout
entier dévoué à l’observation goguenarde ou affligée de sa collection
d’insectes humains…
Couper à loisir les fils des marionnettes
(John Hurt)
Le voici donc, celui qui tire les
ficelles et tisse sa toile tout autour des mouches vivantes prisonnières de
multiples vitres – il possède un rictus sardonique, il porte un masque de folie
après celui d’un homme-éléphant, il fera office de victime dans la parabole
politique sise en 1984 ; si l’on devait chercher l’alter ego du cinéaste,
sans doute faudrait-il aller voir de son côté, dans cet anonyme camion de régie
où le Mabuse au petit pied s’amuse comme un (vrai) petit fou avec ses sujets de
chair et de sang, n’hésitant pas à les faire sauter dans une gerbe de feu
saisie sous plusieurs axes différents, orgie visuelle et sonore sur la
complainte mystique de l’une des victimes, cette pécheresse rencontrant in fine
son Sauveur, elle qui, autrefois, pratiquait le téléphone rose, en prolongement
de la masturbation mortellement écourtée de la compagne francophone, figée
entre les draps encore chauds dans son masque de gisante…
Suivre plusieurs matches/réalités en
simultané
Le baseball équivaut à la traque du
gibier, le sport national se suit sur la mosaïque des écrans en simultané avec
le jeu le plus dangereux, celui qui met dans la balance inéquitable la vie du
chasseur et de sa proie, l’algèbre du besoin scopique établit de nouvelles
valeurs (d’image et de sens) entre des lieux et des acteurs disparates, tous
réunis dans la même trame névrotique de la vengeance, tous au cœur du patchwork
médiatique, motif violent et populaire au centre de la tapisserie visuelle du
film : agents secrets, présentateur, boursicoteur, chirurgien plastique,
producteur, compagne, amantes, spectateurs de ce long week-end éliminatoire,
tous nous consommons cette violence, son spectacle, la scénarisation du
massacre et de la vie passive qui va avec, en se retrouvant face à cette
évidence inconnue de tous les censeurs, et notamment ceux de l’auteur – au
cinéma, la violence et la sexualité n’existent pas, uniquement leur
représentation, et dans l’imitation virtuelle de la vie réside un vide abyssal
mis à nu par le film…
Sortir de la fiction : mission
impossible
(Rutger Hauer & Craig T. Nelson)
Ils voudraient bien déborder du
cadre, s’extraire du bocal à écran pas encore plat, ils n’aspirent qu’à quitter
le jeu, à faire sécession, tous ces prisonniers complices, mais où s’enfuir
quand le monde entier se réduit à un décor quadrillé par la nasse des caméras
de surveillance, quand le scénario ne mène qu’à une hécatombe, quand le jeu ne
cesse pas une fois franchie la frontière invisible entre les espaces ? Il
ne reste plus qu’à tendre inutilement des panneaux en majuscules, en écho à un
clip de Bob Dylan, apparu jadis au pays de Garrett et du Kid, appels à l’aide
aux injonctions trop tardives, et l’une des filles, elle-même piégée dans un
véhicule symbole de liberté – un camping-car –, énonce la triste vérité du
devenir qui les attend : « On va tous mourir » ; en effet,
et des deux côtés de l’écran, réalisateur et acteurs, spectateurs et
personnages, parce que tous nous jouons au jeu de l’existence, en tenant un
rôle prédéterminé, tandis que la mort nous déplace sur son échiquier en bord de
plage…
Viser juste le cœur de cible
(Meg Foster)
L’épouse aux yeux incroyablement
bleus, qui accrochent la lumière nocturne à l’instar de son alliance, bande son
arc pour châtier les assassins de profession : le film abonde en clins
d’œil aux grands mythes originels et à leur hérauts décimés, relégués à l’oubli
des livres fermés et des civilisations orales (ici et maintenant, plus personne ne
lit de textes, on se contente de lire des images ressassées, et mal, de surcroît) –
défilent donc Diane chasseresse, Amazone parmi d’autres, mais aussi son époux,
Thésée, perdu dans le labyrinthe des apparences autant qu’Icare sur le point de
chuter à vouloir s’approcher trop près de la vérité ; l’agent retourné,
qui s’en prend à ses anciens employeurs, fait figure d’Orphée à jamais inconsolable
de la perte de sa blonde Eurydice, alors que le vieillissant Minotaure les
attend tous pour la confrontation finale, dont il se sortira une fois de plus,
vieux sage pervers qui utilise tous les travestissements du faux direct pour
assouvir sa soif de pouvoir en prime time et devant la nation entière, dans ce
crépuscule des idoles embourgeoisées réunies pour un dernier et littéral baroud
d’honneur…
Traverser les flammes mais sans renaître
De la piscine en feu n’émergera
aucune renaissance, et le bestiaire ne dénombre nulle salamandre ; on dira
plutôt qu’elle illustre l’inversion de toutes les valeurs, les noces nocturnes
d’éléments contradictoires en collision tout au long du film : mensonges
et vérité, images et corps, trahison et amitié, famille et public, villa et
studio, fuite et immobilité, volonté des producteurs de délivrer un bon
produit, sous la forme d’un thriller d’espionnage, et volonté du réalisateur de
transcender celui-ci en réflexion politique sur les images, sur la
représentation de la violence et du sexe au cinéma et en dehors, en legs sur sa
carrière, sa vie tumultueuse, son univers une dernière fois saccagé, avant de
prendre la tangente à l’écart de toutes les images pour affronter celle de son
trépas, qui ne se filme pas ; dans le brasier contre nature, dans
l’holocauste niché au creux d’un accessoire de parvenu (signe extérieur de
réussite, pas seulement propre au champ de l’industrie du divertissement), le
cinéaste incendie sa brûlante filmographie…
Déloger le père de substitution
(Christopher Starr, John Hurt, Meg Foster)
Le père truqué pose avec sa fausse
famille : il faudra pour le vrai géniteur/époux retrouver non seulement sa
femme et son fils – la cellule familiale en lieu et place de la cellule
médiatique des images, et le gamin vrai fils de l’actrice –, mais encore et
surtout l’héroïsme de sa paternité ; pour un cinéaste qui ne croit plus
aux héros, pas seulement ceux du western, le grand courage passe par le simple
fait de survivre, de sauver sa peau, malgré le complot existentiel qui ruine le
corps et altère l’esprit, et le présentateur falot appelle cette épreuve, la
redoute et l’espère, devenant, durant l’épilogue de son roman familial rêvé, le
sauveur de sa progéniture, de sa compagne, et même du chien malmené par l’un
des invités, tous bâillonnés dans la tour sombre du transfuge sans cause, bien
piètre chevalier blanc (et blond aux yeux bleus) qui ne fait qu’accomplir la
volonté de suicide du ravisseur, ce sauvetage rendu possible par un tour de
passe-passe temporel avec le direct et l’enregistrement – vivre demain équivaut
à mentir aujourd’hui…
Faire la guerre comme un jeu vidéo
Le directeur des programmes de la
chaîne canadienne du câble, spécialisée dans la pornographie et la violence,
désignée par le doux euphémisme de Civic TV, cherchait l’origine de l’étrange
signal émetteur de non moins étranges images virales, pour découvrir finalement
une proximité géographique inattendue (l’Amérique plutôt que l’Asie) ;
ici, aussi, l’ennemi paraît bien proche, émettant depuis le toit d’un building
à proximité d’un aéroport, et le présentateur descend de l’hélicoptère
gouvernemental pour occire l’hydre télévisuelle, avatar walkyrien de saint Michel qui terrasse sur son destrier le dragon de la légende dorée, le pilote
suivant sur son écran martial la localisation de sa tanière, sous la forme
d’une image polarisée tout droit sortie d’un jeu vidéo – bientôt, des soldats
utiliseront cet artefact ludique pour s’entraîner avant leur parachutage sur le
vrai « théâtre des opérations », aussi troublés que le spectateur
amené à considérer les différents plans de réalité dans la même unique robe
audiovisuelle sans couture, dans l’entrelacement coercitif des régimes d’images
privés de hiérarchie, placés sur le seul plan du contrôle individuel…
Défier le spectateur avec un sourire
(Rutger Hauer)
Dans les vapeurs de l’opium et du
souvenir, en regard caméra, Noodles souriait au dernier plan de son odyssée
américaine intérieure, pris derrière le grillage d’un plafond qui
l’emprisonnait à la façon d’un sarcophage ajouré, corps alité perdu dans le
labyrinthe des passions, des trahisons, des obsessions et du passé reformulé en
voyage proustien ; le présentateur de télé, déjà parti pour sauver ce qui
peut encore l’être, son foyer à défaut de son âme – comment une image
pourrait-elle en posséder une ? –, adresse un sourire équivalent au spectateur,
et le met au défi d’éteindre la boîte à images (l’ordinateur aujourd’hui, avec
ses mirifiques promesses de réseau social international, unanimiste), miroir
parfait tendu depuis l’autre côté, de l’écran et de la vie, tel un fantôme à la
mise en garde ironique, jovialement désespérée : il sait très bien (et
nous avec) que le sevrage nécessite plus que le poids d’un doigt ou le reste de
libre arbitre dont on dispose – il faudrait redécouvrir le monde sensible,
sentimental et symbolique, en se détournant une fois pour toutes de la surface
plane et sans fond, abyssale comme la bêtise, ténébreuse comme la mort… Après
le cinéma, quel regard et quel destin ?
Puis disparaître enfin
Le film s’achève sur une double
disparition, celle du présentateur et du réalisateur, mise en abyme ultime d’un
effacement en stéréo : sur la bande image apparaissent une chaise en toile
et un fauteuil en cuir abandonnés, des caméras éteintes aux têtes pointant vers
les spots ou le sol du studio, une régie désertée, à peine séparée du proscenium
sans public par une vitre – spectacle de fin et fin du spectacle, enfin, et
quelque chose d’étonnamment serein, achevé, vraiment, s’élève de cette ultime
image, dans le mouvement de recul, d’éloignement, du regard : ce futur
d’outre-tombe, notre présent à tous, désormais, s’accompagne des notes jazzy,
doucement élégiaques, de Lalo Schifrin, et la mélancolie profonde du film et de
l’œuvre entière de notre cinéaste se déploie, prend son envol dans
l’accomplissement de sa réussite, plus émouvante dans son impureté que la
perfection d’autres titres, à l’unisson des ballades de Cable Hogue, Junior
Bonner ou Rubber Duck, tandis que défile le générique de fin, nécrologie
collective, à chaque fois et celle-ci plus encore – éteignez la boîte de
Pandore, et commencez à vivre…
https://www.lefigaro.fr/histoire/archives/2018/02/23/26010-20180223ARTFIG00322-tennessee-williams-repond-a-ceux-qui-lui-reprochent-de-se-complaire-dans-le-morbide-1968.php
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