L’Hirondelle d’or : Le Prince et la Danseuse


Sous la dynastie Ming, une jeune femme recherche son frère, enlevé par des bandits que dirige un moine apostat ; un mendiant ivre va l’aider dans sa mission et la révéler à elle-même.

Voici, en douze tableaux d’une exposition exotique et familière, le duo d’un prince et d’une danseuse asiatiques, pris entre les caresses de la soie et les arabesques du sang. 
  


Sur la vitre au verre dépoli, lac immobile aux nervures iridescentes, apparaît le logo de la célèbre société de production des frères de cinéma, qui en rappelle un autre[1], dans sa forme triangulaire de coquillage ou de bouclier portant deux initiales occidentales et un soleil central, pour éclairer le public populaire de Hong Kong et d’ailleurs, avec des adaptations d’opéras chinois puis le renouveau du film de sabre[2], lancé par un hirondelle d’argent sonnant et trébuchant, même si, agacé par la lenteur pointilleuse de son réalisateur, le studio ne fera plus appel à lui, transformant cet essai en œuvre unique à plus d’un titre, ce qui ne l’empêchera nullement de lui donner une suite, deux ans plus tard, en 1968, avec l’actrice révélée[3] reprenant son rôle éponyme, au côté d’un acteur lui volant la vedette, sous la direction d’un cinéaste[4] connu, entre autres, pour son univers de bruit et de fureur homoérotique et masochiste, en sus de la formation d’un grand nom de l’industrie locale[5] découvert à la fin des années 80, assistant puis continuateur du maître, auteur de mélodrames virils et d’un opéra filmé sur les malheurs d’une princesse, ne cachant pas son admiration pour le père du premier titre, auquel la Cinémathèque française consacra par ailleurs une rétrospective l’an dernier, avec, autour de la trilogie fondatrice de l’hirondelle, d’un soupçon de zen et de la pluie dans la montagne[6], une constellation de raretés[7].


Il ne pleut pas dans la montagne[8], ou bien alors des cadavres, ceux des soldats de l’Empire et des brigands, venus libérer les prisonniers d’un cortège conduit par le fils d’un général, accessoirement frère de l’héroïne[9], lors du premier combat mémorable par son cadre et sa violence[10] : entre terre et ciel, des hommes se battent à la hauteur des dieux, emportés dans l’élan des forces naturelles qui les surplombent, les dépassent et les traversent en flux d’énergie (dans une scène admirable, le mendiant ivre capturera la puissance d’une cascade au creux de sa paume), inscrits avec précision par la réalisation dans un cadre pictural qui joue du centre (la chaise à porteurs où se terre le rejeton) et de la périphérie (les bandits armés sur le point d’attaquer le piètre rempart d’un corps sacrifié, avec la pointe phallique d’un sabre encore rougie du sang de l’hymen de cette étreinte purement masculine), sans oublier la présence essentielle des nuages, symboles du vide dans la peinture chinoise[11], à l’égal de la brume cinématographique utilisée par le réalisateur qui fit les Beaux-Arts et filme comme d’autres calligraphient (dans l’auberge, les impacts d’armes blanches tracent littéralement l’idéogramme servant à désigner la justicière déguisée en lettrée) : l’œuvre entière, à la fois ce film et le reste de la filmographie, se tient dans cette tension féconde entre le sacré, figuré par la montagne ou la forêt traversée par l’eau, localisé dans le temple rempli de sutras, et le trivial, incarné dans les figures patibulaires des nervis, la mendicité joyeuse (et chantante) de l’ivrogne – qui synthétise les deux courants en sa fonction d’ange gardien –, situé dans l’auberge, lieu de vie et de mort, point de rencontre cosmopolite des destins et des départs.                  


Voici l’hirondelle du titre français (l’original anglais[12] et international fait référence au penchant du mendiant pour la dive bouteille et résonne avec d’autres aventures martiales, initiatiques et nationalistes à venir[13]), qui ne fait pas le printemps mais apporte la mort et la destruction sous son visage d’ange tourné vers le ciel, en une interrogation muette des dieux sur le bon chemin à prendre, devant un pont symbolique qu’elle va devoir franchir, fille de l’eau comme d’autres du feu, sous les nuages gris qui annoncent la tempête intérieure bientôt déchaînée dans l’auberge, les hommes voltigeant telles des feuilles soufflées par ce petit bout de femme devenu star grâce au film, à l’avant-plan très composé d’une image qui rappelle le tableau d’un autre amputé[14], mis en scène par un cinéaste japonais illustrateur d’un genre nippon[15] dont le film présent reproduit parfois le hiératisme ; elle attend quelques secondes, vêtue de gris clair dans la pénombre du jour d’orage et de colère, cachant un morceau d’étoffe rouge entrevu, en écho aux flots de sang tachant les habits des bandits ou le visage du mendiant – dans cette histoire romanesque s’interdisant le romantisme, la jeune première s’avance masquée, telle un actrice de l’opéra régional jouant les deux sexes (dans le kabuki, les comédiens interprètent des figures féminines[16]), femme libre répondant aux liens du sang, impitoyable, inflexible, pourtant capable de s’étonner, bouche arrondie en O,  telle une petite fille, lorsqu’elle comprend que les paroles de la chanson des enfants lui indique la voie du temple où les bandits retiennent son frère prisonnier.            


Si un coup de dés jamais n’abolira le hasard[17], un simple déploiement d’éventail provoque un déchaînement de violence, équivalent adouci des « lettres d’amour[18] » envoyées par les truands américains, objet pratique détourné, possiblement fatal, geste élégant de la main fine pour contrôler les nervis et disposer de l’adversaire, l’effaroucher du vent des sabres en lieu et place des feulements du tigre[19] apparu en noir sur l’accordéon blanc, animal royal lui-même strié, emblème de celui qui tient et manipule le bibelot mortel, ce Tigre Souriant qui ne sourit pas, le visage tendu par un appel au meurtre silencieux, l’assemblage féminin de bois et de papier parlant pour lui, en bon vilain de mélodrame[20] qui s’en prend à la jeune héroïne apparemment sans défense, évoquant un autre ennemi de cinéma[21], opposé à l’immortel petit dragon dans une pièce aux miroirs narcissiques en un final déjà conçu presque trente ans plus tôt[22] : le reflet annonce la chute, la dépossession de soi-même, et l’arrogance du chef de la meute se retournera bien évidemment contre son portrait animal. 
       

Huit hommes encerclent une femme dans une auberge et le monde se met danser un ballet de mort[23], chorégraphié par un fidèle collaborateur[24], dans l’espace exigu, tout en bois, la salle où l’on boit, où l’on mange, au-dessus de laquelle on dort, devenant une arène sanglante, le lieu non plus des mots et des saluts mais encore celui des rencontres et du discours : à une époque réaliste désormais révolue[25] dominée, lestée par le poids des corps réels, saisis par la caméra dans leur vérité de puissance et de fragilité, aussi aériens qu’un pinceau sur la toile nue, autant déliés que les figures tracées par le courant d’une rivière, les combattants se font face longtemps, échange de regards, de menaces tues, de défiances aux conséquences du prix d’une vie, comme bientôt les cow-boys sales de la nouvelle mythologie italienne[26], car l’attente représente la part la plus importante du combat, la plus délicieusement insupportable aussi, préliminaires qui n’en finissent pas avant l’étreinte mortelle, foudroyante, décuplée par des jeux de montage, celle, disons, d’un cobra fondant sur sa proie après l’hypnose de ses yeux glacés, et la fille porte un habit dont le haut blanc et la ceinture rouge attirent les bandits mieux qu’une muleta[27], et l’on peut lire, avec une once de perversité, dans cette répartition circulaire, dune perfection géométrique, dans cette constellation humaine reflétant le cosmos, une position à la mode dans les films pour adultes des années 90[28], où les femmes, au lieu de combattre vaillamment leurs assaillants masculins, s’offraient à eux, innombrables et interchangeables, dans le culte de la performance…       


Les enfants pourraient constituer le chœur de cette aventure entre adultes[29], de ce conte moral sur les apparences, mais ils restent à la marge du cercle des combats qui rapproche les protagonistes comme celui du bushido[30], dit-on, réunit les hommes seuls dans un destin commun, et à la fin du récit, quand l’Hirondelle partira vers de nouvelles chevauchées, si solitaire dans son cœur, ils la salueront de leurs mains levées et de leurs sourires, ainsi qu’à présent ils rient et s’offrent en spectacle aux clients de l’auberge, mendiant quelques sous, avec leurs instruments de musique, leur coiffures improbables et leur joie de vivre en contraste avec le ton funèbre de l’ensemble ; enfants d’ailleurs et d’aujourd’hui, si proches et abritant peut-être une future star du cinéma asiatique[31], ils révèlent et confirment la nature musicale du film[32], déjà là dans la chorégraphie des combats, dans les rimes des décors et des personnages, riche réseau calligraphique de symboles culturels et de schémas narratifs universels[33], tressés dans l’infrastructure du studio et l’ampleur des paysages naturels, avec leur chanson incompréhensible[34] mais si gaie, si entraînante, moment de pause ingénue dans un drame de grandes personnes, clos par des adieux et des rires, le mendiant accompagné de sa chère et tendre enfin trouvée au milieu de la ribambelle joyeuse et vive, joueur de flûte[35] revenu chez lui, ogre bonhomme[36] et père de tous ces petits bâtards[37], dans une parabole sur les liens individuels, ceux du sang, entre une sœur et son frère, ceux de l’éducation, entre condisciples, ceux d’une famille constituée in fine, en écho à l’épilogue des contes occidentaux.       


Que porte l’Hirondelle dans son panier d’osier – un pot de confiture comme la gamine du conte[38] marchant vers le Grand méchant loup, ou plutôt les rouleaux rouges de sutras destinés à la psalmodie du temple, dont elle franchit l’arche en demi-cercle[39] plongée dans sa propre ombre, et se retrouve dans le soleil de la cour centrale, encadrée par deux lourds piliers dressés en hommage à sa féminité, à sa virginité drapée dans la soie, un chignon sage en guise de couronne, placée là sur le fond d’un paysage d’arbres verts et de ciel bleu – incroyablement clairs – où filent les nuages tendres, une estampe[40] de l'innocence, de l’enfance, de l’humilité, illusoire comme ce monde ici-bas, qui nous condamne au vain désir[41], à sa recherche épuisante et stérile, mais le regard de la belle enfant exprime une détermination et presque une sauvagerie qui ne s’accordent guère avec la paix et le recueillement du lieu sacré, bientôt siège d’un combat entre sabre et poignard, l’Hirondelle immortelle dans sa posture de statue ou de ballerine au pied d’un bouddha[42], avatar chinois de la vengeresse grecque[43], icône reprise plus tard et travaillée parmi les guerriers de la montagne magique[44], celle-ci, qui sait, où se tient le sanctuaire profané par les bandits et leur otage, car souvent le mal prend les habits de la sainteté[45], et il faut beaucoup de courage et de foi pour venir le défier dans son repaire[46], toute seule, armée seulement de lames courtes et d’un semblant de pureté, mais l’oiseau se moque des chiens qui aboient à sa venue, et elle s’avance dans la lumière des révélations et des derniers jours[47], cherchant de ses yeux inflexibles l’intensité d’une double délivrance.  


Elle court dans la forêt, elle tente d’échapper à ses poursuivants entre les feuilles irréelles et les troncs de la forteresse végétale, qui sur elle se referment en frôlements, en caresses, en secrets chuchotés au creux de l’oreille où pend un bijou bleu, mais elle se fiche de cette enlacement, de l’écrin aussi artificiel qu’un décor minutieux[48], troublant l’œil et les sens, mêlant le vrai avec le faux dans la grande vérité des contes et des histoires pour adultes[49], mais cette jeune femme ne pense plus à rien d’autre qu’à la douleur aiguë comme une flèche qui la déchire au niveau de l’épaule[50], la transperce sur toute la largeur, fichée en elle ainsi qu’une parure mortelle, rougissant l’entrée béante de la blessure, faisant s’ouvrir sa bouche sur un cri silencieux de peine inarticulable, les yeux clos sur le ciel intérieur de sa souffrance[51], l’esprit accaparé par les affres du corps, entièrement résumée dans ce point physique attirant à lui les tourments extrêmes de l’Orient en un faisceau superbe et asphyxiant, symphonie en vert, gris et blanc ornée du point d’orgue de la tache rouge[52], plus sombre de seconde en seconde et s’élargissant à chaque pas, à chaque mètre mis ou gagné entre l’Hirondelle blessée et les chasseurs à terre, fille royale qui en rappelle une autre[53] chassée par un veneur au grand cœur, et aussi cette princesse adolescente[54] dans sa forêt japonaise, toute bruissante de l’esprit des animaux et de la nature, essuyant sa joue et sa bouche pour y laisser une traînée rouge à son tour, et la guerrière chinoise trouvera elle aussi son homme des bois[55].     


Une cabane au cœur de la forêt reconstituée[56] abritera la convalescence[57] de la guerrière blessée, hirondelle fauchée par lâcheté masculine et remise sur pied par un homme à présent seul, sans les enfants[58] qui lui servaient d’escorte dans l’auberge, qui chantaient avec lui (ils reviendront pour le final en belle tribu adoptive), un homme au fond du cadre, accroupi auprès de l’eau dévalant une cascade sur deux niveaux[59], sous un ciel orangé hallucinant[60], entre le rêve et la toile peinte des premiers temps du cinéma, un arbre aux allures de bonsaï servant de pivot à la composition, reposant audacieusement sur l’eau calme qui court sous la maison de bois, avec le personnage féminin au regard tourné vers le hors-champ, une main à la hauteur de son propre cœur, ses longs cheveux noirs dénoués, défaits, en rime visuelle avec l’écharpe blanche qui maintient son bras encore douloureux, et que voit-elle au loin[61], qu’attend-elle sinon son salut et la reprise des hostilités pour libérer enfin le frère qui ne la mérite pas, couard caché dans sa chaise à porteur, pantin pendu dans le temple, alors que tout ici respire le calme et la contemplation, le havre de paix d’une nature civilisée, méditant sur elle-même et invitant ses hôtes à faire pareillement[62], à se ressourcer, au sens littéral, avant le grand duel, l’ultime combat qui décidera de leurs sorts et de leurs chemins unis ou divergents. 


Le mauvais moine prend la pose[63], un pied sur la branche d’un arbre noueux tombé à terre[64], immobile monstre gris doté de tentacules et de cornes, à l’avant-plan de montagnes lointaines, majestueux dans son habit rouge et noir à la bande jaune en liseré[65], une cape de sang[66] sur l’épaule retenue par une invisible main tandis que la droite tient fièrement le sceptre religieux en forme de croix romaine, son crâne ras souligné dans son dénuement par la beauté du costume, le désastre figé à ses pieds qu’il semble surplomber, dominer avec négligence, un collier autour du cou, mannequin martial[67] qui attend son adversaire, dans le calme de la forêt pétrifiée, au soleil qui tresse entre les bras morts la dentelle d’une brume d’été, et il jauge le mendiant ivre auquel il donna sa chance enfant[68], orphelin autorisé à intégrer l’école du Bambou vert, dont lui-même fit partie, dont il tua le maître en forme de parricide, et le hasard (ou la destinée) réunit les deux hommes qui ne s’affrontaient pas encore, en raison des scrupules de l’ancien élève, associés à son opinion de posséder un kung-fu moins élaboré, inférieur à celui du traître, qui trouve là sa chance d’acquérir le précieux bambou, comme d’autres espèrent le Graal aussi sanglant que sa tunique parsemée d’or. 
      

Sur le chemin du retour, un groupe d’Amazones[69] défend l’otage récupéré, et l’incident, la péripétie attendue[70] – les bandits ne vont pas s’avouer vaincus de sitôt –, débouchent sur un face-à-face qui renouvelle et ravive l’éternelle guerre des sexes[71], chaque armée se fixant en chiens de jade, sabres contre épées, armes sexuées à l’instar des couvre-chefs, chapeau contre bonnet, dans la lumière crépusculaire d’une fin d’après-midi dans la montagne chinoise, lieu de combat, de séduction, de défi et de rencontre sous le signe de l’acier mêlé au sang, car le film parle aussi de cela, des sexes respectifs et des rôles qu’on leur attribue, des ambiguïtés et des identités précaires, interrogeant le cœur des personnages, leur vérité intime, sous le lustre traditionnel et archétypal de leur déguisements et parures, et toutes ces femmes, dont on ne devine pas même une once de chair sous les panoplies verrouillées d’une ceinture[72] (noire), représentent aussi des proies de choix, la poursuite de la guerre par d’autres moyens[73], l’illustration d’un amour qui ne se dit pas, qui reste à lire entre les lignes de la calligraphie, et sur lequel plane l’ombre charnelle des amours entre hommes[74] au sein des confréries martiales. 


Dans l’imagerie religieuse occidentale et chrétienne, un homme sanctifié terrassait un dragon forcément diabolique[75] ; ici, l’élève vient à bout de son condisciple et rival, figure paternelle[76] mortifère qui faisait peser sur lui le poids de la culpabilité : se savoir en dette auprès d’un ennemi[77], d’un homme passé de la lumière de la philosophie martiale aux ténèbres du pouvoir exercé dans ce bas monde en défi aux autorités politiques transitoires, et le conflit moral se résout par un transpercement, le visage méconnaissable sous la peinture de guerre du sang chaud jailli en source vive, comme lors du tout premier combat, façon de boucler la boucle et de dire qu’il faut trancher les liens avec son passé, son histoire, sa biographie temporelle pour suivre d’autres routes, à l’étranger[78], hors de soi-même, afin  de se redéfinir, se confronter au monde pour mieux s’en détacher, à la fois dans la vie à son plus haut point, celui où elle bascule et s’assimile à la mort[79], dans la création d’une famille recomposée avant l’heure, et tout autant dans le repli vers sa propre intériorité, qui communie avec l’univers, son cadre cosmique, décor majestueux et âpre, magnifiquement découpé par les cadres picturaux d’une caméra en mouvement et en arrêt, elle-même danseuse souple, aérienne et enracinée dans la tourbe écarlate de la folie des hommes[80] et des ramifications familiales – venez boire avec nous, paraissent dire dans leur ronde de vie et de mort ces personnages profondément nobles, et l’ivresse visuelle et sonore qu’ils nous procurent vaut tous les alcools de riz.  



[1] Celui de la Warner, autre compagnie « fraternelle » mais plus « sociale » dans sa filmographie que son homologue chinois.
[2] Ou wu xia pian, littéralement « film de chevalier errant », apparu dans les années 20, interdit par la Chine de Mao puis métamorphosé par les Shaw et ressuscité par The Blade de Tsui Hark en 1995.   
[3] Cheng Pei-pei, danseuse de formation, qui enseignera le ballet à New York et qu’Ang Lee engagera plus tard en forme d’hommage pour Tigre et Dragon.
[4] Chang Cheh, immortalisant David Chiang à la place de Jimmy Wang Yu dans La Rage du tigre, dont s’inspire The Blade
[5] John Woo, qui adaptera Les Trois Royaumes, roman patrimonial de la littérature chinoise, l’un des « quatre livres extraordinaires » de la dynastie Ming au début du dix-septième siècle et contemporain d’Au bord de l’eau, auquel puise L’Hirondelle d’or.   
[6] A Touch Of Zen (1971, primé à Cannes) et Raining in the Mountain (1979) ; King Hu réalisera seize films en trente ans, seul ou en collaboration (avec par exemple Hark et Ann Hui, représentants de la Nouvelle Vague).
[8] Cf. supra.
[9] Lucas, qui doit aussi beaucoup à Kurosawa, retravaillera ce lien incestueux dans Star Wars, dont la Princesse Leia emprunte la force et la détermination de l’Hirondelle. 
[10] Amputation de l’avant-bras, geyser de sang issu d’un ventre perforé (pénétré ?) hors-champ, infanticide (sur un Ching Siu-tung adolescent, futur chorégraphe martial, auteur de la trilogie Histoire de fantômes chinois et co-réalisateur de Swordsman, avec Hu, Hark et Anne Hui) : L’Hirondelle d’or abonde en éclats excessifs bientôt systématisés par Chang Cheh dans La Rage du tigre.  
[11] « J’emploie beaucoup de brouillards, de fumées, c’est le vide. Au cinéma, pas moyen d’avoir du vide sans cela, tous ces procédés tendent à créer le vide », King Hu cité sans source dans une biographie de Christophe Falin en ligne sur : http://www.chinacinema.fr/2007/05/realisateur-king-hu.html 
[12] Come Drink with Me. Dans la scène de l’auberge, l’Hirondelle demande à boire du lait de tigre.
[13] La saga des Drunken Master, initiée par Yuen Woo-ping et Jackie Chan, reprise sur un mode plus sérieux par Tsui Hark (et Jet Li) dans sa série Il était une fois en Chine, dont il dirige quatre segments sur cinq, revisite la figure du révolutionnaire Wong Fei-hung.
[14] Le pont de Langlois, à Arles, peint par van Gogh en 1888, revu en Rêves chez Kurosawa, avec Scorsese dans le rôle de l’homme au chapeau d’osier. Notons que l’orientalisme fascina un temps Vincent.   
[15] Le chambara, construit à partir d’onomatopées mimant la chair tranchée par le sabre, dont on peut citer Yojimbo, traduit par Leone en Pour une poignée de dollars.
[16] Ce type de personnage, dénommé onnagata, doit ses origines à l’interdiction faite aux femmes de jouer (de jouir ?) sur scène au dix-septième siècle ; il sert de titre à une nouvelle de Mishima, parue dans le recueil La Mort en été, tragique histoire d’amour entre un acteur de kabuki et son metteur en scène. David Cronenberg, dans M. Butterfly, reprendra ce motif de la féminité illusoire et de ses conséquences, à partir d’un fait d’espionnage impliquant un diplomate français.        
[17] Poème de Mallarmé, paru en 1897, l’un des premiers dits « typographiques », bien avant les calligrammes d’Apollinaire, très oriental par sa façon de convoquer le vide, de sertir les vers libres dans la blancheur de la page imprimée, par une correspondance graphique avec la peinture chinoise, elle-même lieu d’élection de l’absence fertile (cf. note 11).     
[18] Dans Blue Velvet, Lynch donne à entendre le hit homonyme de Ketty Lester, dont Frank Booth traduit le titre avec son style inimitable : « Do you know what a love letter is? It's a bullet from a fuckin' gun, fucker. If you receive a love letter from me, you are fucked forever. »  
[19] L’importance du tigre dans la culture chinoise mériterait un long développement ; on se contentera de dire que le pays s’identifie par l’adage « tigre volant et dragon bondissant », auquel le titre du médiocre film d’Ang Lee (qui révéla le genre au public américain bien plus qu’occidental) fait référence – cf. note 3.  
[20] Le mélodrame, genre populaire par essence, au niveau du lectorat et de sa réception critique, provient de la littérature du dix-neuvième siècle. Au cinéma, Griffith (avec notamment Le Lys brisé, qui met en scène l’amour impossible entre un Chinois et une jeune Anglaise battue par son père) ou Sirk en demeurent les maîtres incontestables, auxquels on peut ajouter Borzage ou Minnelli.        
[21] Shih Kien, l’adversaire de Bruce Lee dans Opération Dragon, nanti de sa patte griffue ; pour mémoire, la concurrente de la Shaw Brothers, la Golden Harvest, dirigée par Raymond Chow, co-produisit le film, union habile d’éléments occidentaux et orientaux harmonisés par le corps, l’esprit et les origines de Lee, ancien danseur, comme chacun ne le sait pas...   
[22] Dans La Dame de Shanghai, Welles casse doublement l’image de Rita Hayworth, sacrifiant sa belle chevelure rousse parmi des miroirs brisés.
[23] Hu transforme les arts martiaux, qu’il avoue ne pas trouver beaux ni comprendre, en danse pure, cf. S. Grasso, The Artistry of King Hu, en ligne sur http://www.offscreen.com/index.php/phile/essays/wuxia_masks/
[24] Han Ying-chieh, qui bossa sur Big Boss ; autre chorégraphe d’art martiaux illustre, passé à la réalisation à la fin des années 70 : Yuen Woo-ping, qui travaillera avec les Wachowski, Tarantino mais aussi Wong Kar-wai sur son mélancolique The Grandmaster.
[25] Le cinéma d’action hongkongais opère une mue à la fin des années 80 avec l’emploi massif, voire généralisé, des câbles : les acteurs deviennent capables de prouesses autrefois dévolues au montage, mais conservent encore cette dimension physique gommée par l’avènement du numérique. 
[26] Leone (avec Visconti et Tarkovski) aborde le temps de manière proustienne, étirant ses scènes au maximum.
[27] Almodóvar, dans Matador, célèbre les noces d’Éros et Thanatos, tel Ōshima dans L’Empire des sens (titre original : Ai no korīda).
[28] La figure du gang bang, reprise dans l’ultime (et poignant) plan du Syndrome de Stendhal.
[29] Dans la tragédie grecque, le chœur, traditionnellement, commente l’action sans y participer ; les pièces d’Eschyle comptent parmi les usages les plus aboutis de cette convention.
[30] Cf. la citation apocryphe du bushido mise en exergue du Cercle rouge de Melville, qui influença, entre autres, le cinéma de John Woo (particulièrement The Killer, relecture mélodramatique du Samouraï).
[31] D’après diverses sources, Jackie Chan ferait partie de la troupe des enfants, ce que dénie Cheng Pei-pei.
[32] La musique de Lan-Ping Chow fait jouer un rôle majeur aux percussions durant les scènes de combat.
[33] Les arts narratifs retravaillent en permanence des motifs fondateurs, ici, celui de la vengeance.
[34] La version éditée par Wild Side ne comporte pas de VOSTFR, ni de sous-titres des paroles de la chanson.
[35] En référence au conte des frères Grimm, Le Joueur de flûte de Hamelin, adapté par Demy en 1972 sous le titre Le Joueur de flûte.
[36] Par opposition à un autre conte : Le Petit Poucet de Perrault.
[37] La figure récurrente de l’orphelin formé aux arts martiaux et trouvant dans l’école sa vraie famille.
[38] L’Hirondelle fait ici indéniablement penser au Petit Chaperon rouge de Perrault.
[39] Il existe toute une symbolique architecturale, et doublement pour des bâtiments sacrés comme les temples ; le pont recèle aussi de nombreux sens, avec l’idée-force de passage des territoires et des frontières.
[40] L’art de l’estampe, historiquement lié au bouddhisme ; en Occident, on connaît surtout les œuvres de Hokusai.
[41] Le nirvāṇa représente l’aboutissement de la pratique bouddhique, l'Éveil enfin délivré des trois soifs.
[42] Cf. l’image d’en-tête d’article.
[43] Électre, bien sûr, mythe brillamment reformulé par Strauss et... Frank Miller avec sa série Elektra.
[44] Zu, les guerriers de la montagne magique, de Tsui Hark (le titre français résonne avec Thomas Mann !)
[45] Dans La Nuit du chasseur, Mitchum porte l’habit du prêcheur pour mieux libérer sa part d’ombre.
[46] Le final de La Fureur du dragon se déroule au Colisée, lieu mythique d’autres combats, ceux des gladiateurs.
[47] Le seppuku dans la culture japonaise ; l’éblouissement des derniers gestes dans A Single Man de Tom Ford.
[48] L’Hirondelle d’or présente un mélange harmonieux entre les artifices du studio et la beauté des paysages naturels magnifiés en ShawScope. 
[49] Les contes de fées permettent aux enfants d’assimiler les règles du jeu adulte, ainsi que le démontra Bettelheim dans un célèbre essai psychanalytique.
[50] On trouve ici la figure inversée de Diane chasseresse, présente aussi, littéralement, chez Truffaut adaptant Irish avec La mariée était en noir.
[51] Les mangas, Ōshima (Furyo, quand Sakamoto « craque » face au baiser de Bowie) ou Miike (jusqu’à la caricature, dans Ichii the Killer), enfreignent les lois de la bienséance orientale sur la pudeur des sentiments.  
[52]  Œuvre d’un peintre ou d’un coloriste raffiné, le film séduit par chacun de ses plans.
[53]  Blanche-Neige, évidemment, dans le conte des Grimm, récemment relu par Pablo Berger avec Blancanieves.   
[54]  La Princesse Mononoké de Miyazaki, elle-même fille des bois, qui recrache aussi le poison d’une blessure.
[55]  Lady Chatterley et l’Homme des bois, version remaniée filmée par Pascale Ferran. 
[56] On doit une fois encore souligner la qualité de la direction artistique appliquée au genre martial, et notamment celle de la photographie, signée Tadashi Nishimoto, qui éclaira aussi La Fureur du dragon.
[57] Suivant la tradition narrative, la scène de la forêt propose un temps de repos, une pause dans le récit, un pont dramaturgique vers l’espace neutre, ouvert et pacifié de l’épilogue, avec les troncs d’arbres immergés reliant les deux rives.
[58] Mais la romance n’aboutira pas ; à mettre en parallèle avec les propos de Melville sur la pornographie, jugée « puérile ».
[59]  Le thème du double structure le film : deux genres/deux personnages/deux destins.
[60] Cette jungle de studio provient de King Kong (l’original et la version dégradée du remake de Guillermin) et annonce son ersatz dans Le Colosse de Hong Kong
[61] Qui ne se souvient de cette question panique dans La Barbe bleue : « Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? »
[62] Le Cottage Landor et Le Domaine d’Arnheim de Poe peignent une nature domestiquée, assimilable à l’inspiration horticole japonaise, seule détentrice de beauté : « L’eau cristalline glissait sur le granit lisse ou sur la mousse immaculée avec une acuité de ligne qui effarait l’œil et le ravissait en même temps. »
[63] Le film abonde en « arrêts sur image » qui assoient le caractère iconique des postures anoblies par leur immobilité (ce qui facilite grandement la capture d’écran pour cet article !). Le procédé trouve sa source dans la peinture – le portrait en pied – puis revient dans la bande dessinée.
[64] Le cinéma asiatique, celui, disons, de Kurosawa ou Miyazaki, propose une vision panthéiste de l’univers, cadre de rapports conflictuels entre les forces humaines et obscures à l’assaut de la nature (d’où la dimension écologique des deux œuvres, évidente dans Dersou Ouzala ou Princesse Mononoké) ; ici, la forêt sert de refuge et d’hôpital naturel au couple principal (un peu comme dans Medicine Man de Mc Tiernan).
[65] Contrairement au dicton, l’habit royal fait bien le moine (cf. la pourpre des gynécos dans Faux-semblants).
[66] On pense au tissu christique, ce qui ferait du vêtement la métaphore d’une inversion de valeurs. Par ailleurs, le sceptre chrétien participe de ce détournement des symboles religieux occidentaux, démarche poussée à l’extrême dans Le Couvent de la bête sacrée de Suzuki, collection d’érotiques blasphèmes visuels parfaitement impensables de ce côté du globe.
[67] Le film déploie une galerie d’archétypes plutôt que de « vrais » personnages, mais heureusement humanisés par le jeu des acteurs et les subtilités ou les surprises de leurs relations : la vie anime le tableau.
[68] D’où le dilemme moral, la lutte dans la culture japonaise entre giri et ninjo, que l’on pourrait traduire par sens du devoir et volonté ou sentiments personnels. Le Yakuza de Pollack fonctionne intégralement sur cette opposition, et sur sa résolution ultime.
[69] Les Amazones appartiennent à la mythologie grecque, et l’une des étymologies de leur nom évoque le fameux sein amputé pour améliorer le tir à l’arc.
[70] Le film déjoue constamment l’attente du spectateur, dans la dramaturgie ou la définition des protagonistes, ce qui ajoute au plaisir de sa vision : chaque personnage s’évade du type en l’incarnant au mieux, chaque acteur (ou actrice) apporte sa personnalité couplée au langage de son corps à des figures ancestrales.
[71] King Hu fait preuve d’originalité en affirmant le sexe de l’Hirondelle, ce qui revient à choisir une héroïne aux dépens d’un héros, déplaçant ainsi les enjeux du film vers une parabole sexuée, un récit initiatique portant aussi sur la sexualité de son personnage féminin principal.
[72] On pense à la ceinture de chasteté médiévale qui emprisonnait la partie du corps féminin « possédé » par le seigneur de la même façon qu’il « possédait » son troupeau de serfs… De nos jours, ironiquement, l’outil de rétention appartient à la panoplie des jouets sexuels pour couples aventureux (ou blasés).
[73] Comme le disait Clausewitz dans son traité de stratégie militaire, venant longtemps après le séminal Art de la guerre de Sun Tzu, « la guerre est le prolongement de la politique par d’autres moyens ».
[74] Voir le sublime dernier film d’Ōshima, Tabou, qui portait cette problématique à la perfection, avec un thème musical inoubliable de Sakamoto. Plus encore que l’homosexualité, le grand tabou s’incarne dans l’abandon, aux corps et aux sentiments, impliqué par la passion (point de rencontre entre les cultures et les conceptions de l’amour occidentales et orientales). Les « romans pornos » de la Nikkatsu reposent sur le contrôle, le bondage de femmes (souvent consentantes) par des hommes (souvent soumis) victimes de leur obsession pour un bel objet du désir, ligoté et tatoué.  
[75] Ce plan évoque un transpercement identique, l’empalement moral et religieux de saint Michel terrassant le Dragon ; « terrassant » signifie littéralement « mettre à terre », et le mendiant se débarrasse de son ennemi en l’immobilisant dans les airs, en le faisant devenir un poids mort qui retournera au limon primordial.
[76] Le film peut se lire aussi comme une version asiatique de la résolution d’un double œdipe, entre le mendiant et le moine, entre l’héroïne et son frère. Honorer une dette ou un lien familial trouve son accomplissement dans une libération de ces liens, une émancipation de toutes les entraves dues au sexe, à la morale d’un temps et d’un lieu, aux codes narratifs et plastiques d’un genre – l’hirondelle prend son envol… 
[77] Problématique du Yakuza de Pollack, compliquée par le passé proche (la guerre entre Américains et Japonais, aux conséquences atomiques que l’on sait), qui fait subitement retour dans l’étrangère modernité.
[78] King Hu parcourut les différentes composantes, géographiques et culturelles, de la Chine, quittant Pékin pour Hong Kong puis Taïwan ; il s’éteindra à Taipei.
[79] Bataille pensait l’érotisme comme « approbation de la vie jusque dans la mort ». L’Empire des sens illustre cette philosophie.
[80] Comme un torrent de Minnelli combine à l’identique grâce de ballerine de la caméra et mélodrame.

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