O.H.M.S. : Reviens Jimmy Dean, reviens
Servir ses envies ou les patries, vivre en individualiste ou mourir en
solidaire.
Trois films en un seul : un film
noir, un film d’armée, un film d’action, et en sus une romance à quatre,
agrémentée d’un soupçon de comédie musicale, sinon sentimentale – par conséquent, œuvre
généreuse, même désargentée, aux trois actes et espaces bien
délimités. Jimmy Tracy, « racketteur à la petite semaine », se
résume-t-il lucidement lui-même lors de l’extrême-onction, usurpe à New York
l’identité d’un comparse canadien de tripot, au couteau planté dans le dos.
Désormais dénommé James Dean, le voici illico
sous les drapeaux londoniens. Enfin, en Chine, il secourt des Européens
assaillis par des « pirates » et se sacrifie pour son nouvel ami. Entré
contre son plein gré au service de Sa Majesté, d’où le titre sigle, Jimmy le
malfrat cosmopolite se transforme ainsi, au cours des quatre-vingt-huit minutes
du visionnage, en modèle d’héroïsme au racisme inoffensif, « niakoués »
de dés clandestins + pillards anonymes, presque abstraits, mais les autorités
locales restent intactes, contemporaines du début du conflit sino-japonais. En
1937, cinquante ans avant le Stanley Kubrick de Full Metal Jacket, Raoul
Walsh reconstitue l’Asie en Angleterre et précède de vingt années l’explosion
du pont de David Lean sur la rivière Kwaï. Si les deux items précités peuvent s’interpréter en parangons
d’antimilitarisme, en double mise à nu ironique et tragique d’une fabrique à
psychotiques, O.H.M.S. ne verse pas dans la perspective sarcastique,
privilégie la concorde internationale, et la caserne insulaire ressemble à une
colonie de vacances familiale, au sergent-major paternel, dont on fait le mur,
que l’on déserte bourré, sans trop de sanction ni de danger. Tracy/Dean &
Bert Dawson s’éprennent de la même fille, Sally Briggs, progéniture très pure,
quoique, peut-être point rétive à du triolisme entre camarades, de son papounet
en uniforme.
Cela ne suffit pas et le scénario,
par un hasard en forme de coup de Trafalgar, ramène sur le devant de la scène
la chanteuse et danseuse Jean Burdett, « poupée » de Grosse Pomme de
notre homme guère fidèle. Sur scène, littéralement, puisque le couple ensemble
effectuera un numéro d’adieu à Albion. Candidement méta, O.H.M.S. multiplie les
spectacles et se délecte à saisir avec les siennes leur énergie, leur rapidité,
leur expressivité physique. Walsh, New-Yorkais volontiers exilé, ici au service
de la diplomate Gaumont-British, retrouve les origines de ses géniteurs et
filme du cabaret, du défilé, de la boxe, du survival,
des manœuvres, des épreuves, un mec en constante représentation, jusqu’à ce
qu’il trouve la vérité de sa nature au sein de celle des événements vivants.
L’avatar de la guerre, défense en huis clos de colons rassemblés à la Rio
Bravo, son trépas de profil, quasiment en pietà, lui permettent de mesurer le chemin parcouru, d’adresser un
ultime salut à son ancien moi enterré par le courage et le partage. Au terme du
métrage, Jimmy Tracy n’existe plus, remplacé par James Dean, un fugitif sous
pseudonyme à la William Irish qui n’épouse plus une ombre, plutôt son destin,
qui reçoit à l’épilogue cérémoniel une médaille posthume, que contemplent Bert
& Sally réunis, amoureux, heureux, Jean déjà retournée aux USA, mariée avec
pragmatisme à un « bouche-trou » magnanime (et deviné aisé). À défaut
de se dérouler en Birmanie, ces aventures carburent parfois aux images
d’archives, d’avenues américaines, de troupes britanniques, montées assez
harmonieusement avec le reste de la diégèse. Bryan Edgar Wallace, pas encore à
l’ouvrage sur Il gatto a nove code du caro Dario Argento, écrit aussi à
l’économie et la trame de rédemption d’occasion se permet un humour discrètement
sexuel (la litote explicite en réponse à la réplique à propos des jambes
engourdies), un amour gentiment SM (gifle jalouse, bras tordu, amitiés aux
féministes).
L’opus
superficiel et cependant plaisant s’apprécie en grande partie pour sa
distribution, alors nous citerons au son du clairon les noms de Grace Bradley,
abonnée à Broadway, active au ciné, avec succès, durant les années 30 ; d’Anna
Lee, amicale immaculée, régulière de Ford, aperçue dans The
Ghost and Mrs. Muir et The Sound of Music ; de Wallace
Ford, performeur polyvalent certes moins charismatique que James Cagney,
surtout au sommet littéral, embrasé, de l’incandescent White Heat, Phroso de Freaks,
au générique de Shadow of a Doubt + Spellbound du compatriote Hitchcock,
de The
Set-Up de Wise et Warlock de Dmytryk ; de John
Mills, l’émouvant ravi (sens provençal) de Ryan’s Daughter. Stakhanoviste formé
par Griffith, Walsh ne se soucie pas de psychologie, de sociologie, il ne
présage ni Jules et Jim ni 55 Days at Peking, il pratique les surimpressions
de saison, les transparences peu dépensières, la transparence hollywoodienne
sans paresse et son classicisme, même dépourvu de la somptueuse plénitude d’un John Ford,
d’un Howard Hawks, séduit par sa modestie, par son sérieux amusé, souvent amusant.
Sa filmographie demeure à (re)découvrir et O.H.M.S., avec ses réussites et ses
faiblesses, mérite le détour d’un samedi soir estival, peut servir de porte (ou de
fenêtre franchie en duo par le héros) d’entrée décontractée, dynamique, ludique
et (un brin) dramatique, au corpus
naguère vénéré par la cinéphilie hexagonale, en témoigne le supplément
sympathique et anecdotique de la galette en plastique, dans lequel Dominique
Rabourdin, exégète alerte interviewé par Noël Simsolo en 2007, se souvient de
son cher passé, passé dans les salles parisiennes, anglaises, d’une mémorable
rencontre avec Raoul. Devoir(s) de mémoire ? Invitation de raison(s).
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