The Toxic Avenger : Trauma


Du balai ? De l’intégrité. De l’écologie ? De la poésie. Des ordures ? Une signature.


I’m addicted to you
Don’t you know that you’re toxic?
And I love what you do
Don’t you know that you’re toxic?

Britney Spears

Après celle de James Gunn & Greg McLean, voici l’Amérique de Lloyd Kaufman, qui nous réconcilie avec les USA et leur cinéma. Film drolatique et politique, The Toxic Avenger s’intéresse à la vie au sein de la Cité, d’une cité précise, Tromaville. La société presque homonyme, pas anonyme, proposa, on le sait, un autre modèle d’économie cinématographique. Sise à New York, et non plus à Hollywood, elle se caractérisa par son indépendance (désargentée), par sa conscience (sociale), elle sut s’inscrire à l’intérieur d’une imagerie (horrifique) elle-même en partie définie par ses échos sociétaux, surtout durant les années 30, cf. le bestiaire littéraire de la Universal, alors divertissement et miroir pour/de son temps. Sorti in situ en 1984, le film témoigne parfaitement, caricaturalement, du présent et supporte très bien le poids des ans. On peut certes trouver la réalisation fonctionnelle, mais rien ici ne trahit la paresse, la bassesse, l’amateurisme, le je-m’en-foutisme. Pauvre en moyens et riche en idées, en énergie, en envies, The Toxic Avenger s’apprécie telle une parabole laïque sur le corps (individuel et collectif), les désaccords, la différence et la reconnaissance. Joyeux balayeur souffre-douleur des habitués d’une salle de sport – health club renseigne l’enseigne –, Melvin échappe à leur lynchage, déguisé en danseuse (en sissy, se lamente-t-il), traverse une fenêtre et tombe dans l’un des bidons radioactifs du camion conduit par un tandem de camés à la coke. De retour chez lui, sa maman se méprend sur sa souffrance enflammée, littéralement, lui prête la panoplie de la puberté. Quand il se regarde dans la glace de la salle de bains, Melvin avise un terrible étranger, comme bientôt Seth Brundle relooké par Cronenberg en Mouche des années SIDA. Illico métamorphosé en colosse méconnaissable, le nettoyeur d’autrefois devient donc le justicier d’aujourd’hui.


Il fait le ménage communal, il débarrasse la municipalité au triste record de déchets atomiques de sa saleté, de sa racaille pas si sarkozyste, il finit par éventrer le maire obèse et corrompu qui voulait le tuer, cerné par la Garde nationale appelée en renfort (la plus grande part du budget dut y passer, tanks en mouvement et plans à la grue inclus). Auparavant, une belle aveugle rescapée de resto s’éprend du perdant magnifique, hideux, sauveur à ne plus faire peur, à faire la une des journaux locaux. Même l’assassinat irrésistible d’une naine âgée au pressing, instant de doute, de déroute, obscurité personnelle à envisager, se voit vite conjuré par le passé pas clair de la sexagénaire. Tout se termine pour le mieux à Tromaville pour Melvin, avant qu’il ne revienne pour un second épisode paternel et japonais, pour un troisième placé sous le signe scorsesien d’une « dernière tentation » – se réinventer en yuppie (pas vu le quatrième opus, apparemment extra-terrestre et schizophrène). Si les volets 2 (co-produit par Lorimar) et 3, survolés dans la foulée, s’avèrent sympathiques, anecdotiques, rallongés, dotés d’une distribution renouvelée, le début des aventures de « Toxie » conserve sa séduction subversive et sa saveur de nouveauté. Dissimulé sous le pseudonyme de Samuel Weil, Kaufman co-réalisateur (et co-scénariste, et directeur de la photographie) connaît ses classiques et The Toxic Avenger se souvient de Frankenstein (Whale, 1931), La Belle et la Bête (Cocteau, 1946), Un justicier dans la ville (Winner, 1974), Carrie au bal du diable (De Palma, 1976) ou anticipe Perfect (Bridges, 1985), Street Trash (Muro, 1987) et Crash (Cronenberg, 1996). Mélodrame ludique et film d’effroi favori des enfants, amateurs de glace ou non, le métrage diagnostique clairement, sans pontifier, les vraies maladies du pays : le narcissisme, le racisme, le capitalisme, et dans sa générosité il dépasse la dimension disons discutable, conservatrice, a priori expéditive, de son argument de vigilante movie déviant.


Ancien étudiant à Yale tenté par le métier de travailleur social, employé de la Cannon et partenaire de John Avildsen période Rocky (1976, le rêve américain à portée de main gantée), désormais adoubé par le MoMA, Kaufman se moque et propose autre chose, il ne fait pas du cinéma engagé, il engage une vision du cinéma, de la société (US, pas seulement), il met en pratique une morale du don, de la solidarité. Il donne à voir (à imaginer) une communauté rétive aux communautarismes, une utopie tressée de contrastes, et cela rapproche évidemment The Toxic Avenger de Bronco Billy (1980). Clint Eastwood tramait sa tente de chapiteau méta et mémoriel au moyen du drapeau étoilé démultiplié. Lloyd Kaufman (toute l’équipe de Troma, ensemble solidaire à l’instar du petit peuple populaire de la diégèse, mentionnons l’alter ego Michael Herz crédité co-director) préfère les toxiques à l’aérobic et sa créature, foncièrement pure, comporte une candeur communicative, incite à la concorde. Succès lucratif de la décennie reaganienne, relecture des exploits orientés de Stallone & Norris, dorénavant disponible en ligne en 480 p, en VO non sous-titrée ou en VF vintage, son papa avocat du partage, The Toxic Avenger mérite sa (re)découverte, pas uniquement pour une scène de sexe stimulante, marrante et troublante, dont les escarpins écarlates évoquent la paire mortifère de Ténèbres (Argento, 1982) (entre l’attachante Andree Maranda et la transgenre Eva Robin’s, mon cœur hétéro balance). Il montre des tours jumelles encore debout, à proximité (de panoramique) d’une décharge (symbolique), il offre deux ou trois raisons de ne pas désespérer de cette nation, il ne se soucie ni de course au fric, ni d’ingérence internationale (« Toxie » assainit à domicile).


Davantage qu’en débrouillard rigolard-nullard, Lloyd Kaufman apparaît ainsi en héritier de Frank Capra, en élève allaité au Grand-Guignol (beau boulot d’effets spéciaux de Jennifer Aspinall), en sentimental sachant être sarcastique, sinon (gentiment) impitoyable, avec ses têtes à claques à la Travolta ou bimbos à la Traci Lords (actrice talentueuse célébrée par mes soins à l’occasion de Not of this Earth, Black Mask 2: City of Masks + Excision). L’Amérique de Troma, provinciale et amicale, excessive (d’infanticide, de canicide) et lucide, légère et sincère, me convient vraiment et Melvin, loin d’être un imbécile, un fasciste, s’interprète en gardien (pas de l’Ordre, pas de la galaxie à la Marvel, à la Gunn, pourtant auteur de l’autobiographie orale de LK intitulée All I Needed To Know About Filmmaking I Learned From The Toxic Avenger, parue en 1998, introduction de Roger Corman comprise) d’un état d’esprit altruiste, fraternel, en détenteur de valeurs tout sauf passéistes, nostalgiques ou régressives. Avec sa face défigurée, il figure à sa façon l’Amérique des mavericks, des marginaux, des solitaires, de Cassavetes & Carpenter, un monstre fréquentable, bien plus que les VRP de la sinistre normalité. Moralité du conte urbain : la beauté n’existe pas, il n’existe que des beautés, immédiates ou cachées, à chercher tout au fond du bidon infesté, rempli de mélasse verdâtre tel le chewing-gum mémorable des Aventures de Rabbi Jacob (Oury, 1973), fable similaire et différenciée à propos d’antisémitisme et de rapports de classes, à savoir saluer, à travers la crasse d’un foyer décoré en cécité, la poussière à la fois éphémère et pérenne des années ou du ciné.


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