The Old Dark House : Le Majordome


 « Prenez une patate » ? Le repas frise l’insipide et le festin nous laisse sur notre faim.


Œuvre effroyablement bavarde et faussement fantastique, The Old Dark House (1933) semble vouloir conjurer à chaque réplique les spectres mutiques. Que fit le cinéma une fois qu’il se mit à parler, une fois qu’on lui imposa la parole, reformulent les défenseurs de la supposée pureté silencieuse du muet ? Il papota, il immobilisa ses caméras, il adapta du théâtre, des romans. Ici, les dramaturges Levy & Sherriff transposent un titre de Mister Priestley, la Grande Guerre et son désenchantement apparemment à l’arrière-plan. Laemmle produit, Edeson éclaire, Hall décore et Whale réalise, dans le sillage de Frankenstein (1931). Même équipe mais résultat différent, car Une soirée étrange, intitulé français d’un film visionné en VO non sous-titrée, ne vise pas le frisson, pratique plutôt la décontraction. Sis au Pays de Galles, doté d’un casting en majorité anglais, à l’instar du cinéaste, ce huis clos gérontophile, à base de rencontres improbables et de pyromanie familiale, mélange épouvante et romance, drame et comédie, vaudeville et folie. Jim s’amuse et tant pis s’il nous amuse moins. Côté dames, on apercevra la Londonienne Lilian Bond dans Le Portrait de Dorian Gray (Lewin, 1945), on reverra la Californienne Gloria Stuart dans L’Homme invisible (Whale, 1933) ou Je n’ai pas tué Lincoln (Ford, 1936) ; elle reviendra ensuite, longtemps après, à bord du Titanic (Cameron, 1997) puis en cliente de The Million Dollar Hotel (Wenders, 2000). Côté messieurs, Douglas attend encore Greta Garbo, Polanski & Hashby, Laughton débute à Hollywood, sinon y cachetonne, et Massey, originaire du Canada, se fera surtout connaître pour ses collaborations avec Powell, en solo ou en Archer. Tous ces gens de talent et de sympathie donnent un semblant de vie au court cadavre d’une heure dix, cru perdu, retrouvé/restauré par Curtis Harrington, intime de Jim, remaké par Castle en 1963 avant Francis en 1975.



Cependant sa vraie valeur, voire la seule, réside ailleurs, dans la présence taciturne de Boris balafré, bourré, dans une scène de poursuite à domicile avinée, olé. Whale voulut vêtir Mademoiselle Stuart d’une robe du soir en satin rose, transformer la demoiselle (mariée) en détresse en « flamme » de beauté contre l’obscurité. En noir et blanc, l’effet s’amenuise et demeure attractif. Karloff ouvre une porte, sert à boire, renverse une table, sert dans ses bras, en pietà, la dépouille de Saul, secret incendiaire. Karloff inquiète, divertit, secourt, émeut, et si ses sourcils outranciers, peignés par Pierce, participent de la tonalité drolatique d’ensemble, ses borborygmes disent quelque chose d’autre, deviennent presque un acte de résistance inarticulé, éloquent. L’acteur s’exprime avec son visage, son corps, il remémore la mémorable créature du baron atteint d’hubris et de Mary Shelley sa génitrice. La pluie (chantée, pas par Kelly), le péché, la fausse identité, le marivaudage et le naufrage, le lendemain serein qui survient comme à la fin d’un mauvais rêve, d’une médiocre plaisanterie, tout ceci s’efface face à lui, à sa densité sous-utilisée. Avec The Old Dark House, échec commercial aux USA, succès insulaire, James Whale désirait à l’évidence prendre ses distances avec une imagerie en partie construite par ses soins, la retravailler sur un mode ironique, très britannique, à la limite du pilotage automatique, présageant à ses dépens la dimension méta de Scream (Craven & Williamson, 1996). À ce petit jeu-là, au fond foncièrement stérile, davantage anecdotique qu’un renouveau du mélodramatique, terreau naturel de l’horreur, on peut lui préférer La Marque du vampire (1935) de Tod Browning. Ni diamant méconnu ni ratage absolu, Une soirée étrange manque cruellement d’étrangeté, de nécessité, se découvre en curiosité dispensable. Peu importe, pardonnons le surplace, puisque Whale signera bientôt un chef-d’œuvre, le distrayant et poignant La Fiancée de Frankenstein (1935).


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