La Maladie du dimanche : Annabelle


Se faire tuer, redoute la redoutable – elle t’immergera, vous purifiera, voilà.  


Ce Sonate d’automne (Bergman, 1978) à la sauce espagnole se supporte puis s’apprécie principalement pour ses deux belles et talentueuses actrices, déjà enrôlées en duo par le Almodóvar de La piel que habito (2011), citons donc Susi Sánchez & Bárbara Lennie. La première interprète une hôtelière altière, la seconde une moribonde. Chiara, ainsi prénommée en hommage délocalisé à la gamine de Marcello Mastroianni par des parents cinéphiles, même si la génitrice oublie le patronyme du réalisateur de Amarcord (Fellini, 1973), semble un bloc d’obscurité dès qu’elle apparaît au cœur d’une forêt sépulcrale, son visage livide surcadré à travers un orifice point vaginal, quoique, davantage d’édifice tombal végétal. Longtemps après, elle vient demander à sa mère, qui l’abandonna au bout de huit ans, de passer quelques jours ensemble, dans sa maison presque à l’abandon. Des molosses d’angoisse, un compagnon procédurier, une chienne boueuse, un voisin amoureux, des touristes funestes, composent le casting du téléfilm (de luxe) Netflix, au style et à la tonalité auteuristes. N’omettons pas de pointer un caméo crucial de notre Richard Bohringer national, ex-mari enterré, aussitôt ressuscité, attablé à un bistrot vide, supposé parisien, la conversation débutée à distance, au moyen d’un long zoom avant énervant. Cela posé, cette lenteur létale convient tout à fait au sujet, argument de mélodrame maternel et médical dépourvu de pathos, de larmes et d’états d’âme. Pour dire les choses avec crudité, Chiara va crever, un dimanche ou tout autre jour de la semaine, atteinte d’une mystérieuse maladie dont elle conjure la douleur à l’aide d’une ventrale piqûre. Bien sûr, il s’agissait de jeter au visage de la mère si (in)digne, arriviste, épuisée, ses trois ou quatre vérités, accessoirement, d’un ton cassant, une tasse de thé coupante, promesse de cicatrice au front, passons.



Mais pas seulement, car la réunion, le pardon, la compréhension, in extremis entrent en piste. Film en effet sur la « mémoire immobile », celle qui « stagne » et vous envase, vous détourne d’avancer, La Maladie du dimanche (2017) paie son tribut à la culture catholique hispanique et dévoile sa vraie valeur de film d’amour entre femmes durant la coda cohérente, assez audacieuse et gracieuse. Anabel emmène Chiara, désormais incapable de bouger, de se mouvoir, sur une brouette au bord d’un lac, tant le sacré, de toute éternité, sut côtoyer le trivial. Le spectateur athée se retrouve face à un baptême terminal, à une euthanasie humide, à une noyade assistée, désirée, dans le sillage d’un déshabillage attristé, d’une embrassade enfin dénudée, chair contre chair, austère, émouvante, désarmante, comme au premier jour de la naissance. Peut-on tuer en preuve d’aimer ? Oscar Wilde emprisonné l’assurait, Ramón Salazar le confirme. Le climat anémié de l’ouvrage, son filigrane fantastique, ses « bidouillages » de diapositives d’un autre âge, expression de double acception, confondus par la maman hallucinante avec un paradoxe spatio-temporel surnaturel, vampirique, concourent à porter au carré la nature morbide d’un art par définition funéraire, je ne cesse de le répéter depuis quatre années. Cependant, le cinéaste décide de conclure son aventure mutique, étique, comportementaliste et mélancolique, par un plan rédimant, rassurant. Revenue, de nuit, à la masure, Anabel y avise une fenêtre allumée, son sourire apposé sur l’épilogue en ultime élégance. Kubrick, à raison, percevait les fantômes, à l’Overlook (Shining, 1980) ou ailleurs, en manifestations méta d’optimisme, en images miroitées, inversées. Pour aller de redrum à murder, il faut lire à l’envers, en passer par mother, au propre, au figuré, dans la diégèse et au-delà, puisque nos mères, toujours, qu’elles constituent des modèles ou des mégères, des inspirations ou des abominations, n’en finissent pas de nous donner la vie en nous condamnant à la mort.



Avec ses limites et sa modeste réussite, avec son écho thématique de La Maison du lac (Rydell, 1981, Fonda x 2, Jane & Henry), La Maladie du dimanche laisse apercevoir ceci, se lit en allégorie existentielle bien plus qu’en règlement de comptes personnel. Et quand Chiara, pauvre petite fille camée, courageuse, haineuse, baiseuse, danseuse sur les ballons teutons de Nena (ça ne nous rajeunit pas !), tellement malheureuse, murmure « Maman » au milieu des bras de son bourreau in fine venu l’assassiner avec une tendresse à retardement, une détermination héritée de sa profession, le film se hisse, au moins une poignée de secondes, au sommet des sentiments, au creux des corps, porteurs d’avenir et de mort. Une cheville foulée en robe immaculée, un volatile au sol achevé avec une douce brutalité, une face terreuse, par conséquent prophétique, une cabine téléphonique de soutien, de révélation, d’aliénation, un bras soudain insensible, menace et métaphore, une virée en bolide sur rail, hivernale, vertigineuse, nauséeuse, comateuse, un secret chuchoté, emporté par le vent, les éléments guère cléments : autant de motifs figuratifs et narratifs au cours de l’ouvrage pas totalement convaincant, parfois poseur, sauvé, avis certain, par son tandem féminin, méritant sa découverte à déconseiller aux dépressifs, aux suicidaires, aux adeptes du divertissement. Un grand film, même malade, pour reprendre le vocable discutable d’un falot François Truffaut à propos de Pas de printemps pour Marnie (Hitchcock, 1964), similaire histoire, certes plus envoûtante, poignante, de désamour entre une mère et sa fille ? Non, néanmoins, un brouillon soigné, un cadre millimétré pour deux actrices, j’assume me répéter, talentueuses et belles, Bárbara & Susi, vous vous en souviendrez aussi, ne les oublierez pas après les avoir vues et entendues un mercredi, à défaut du dimanche que la tradition accorde au repos (éternel) et à Dieu, remarquable absent (ou pas, admirez la pietà humide, transgenre) de cet opus taiseux, douloureux, désespérant, curieusement apaisant.

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