Paganini Horror : Nero veneziano
La musique adoucit les meurtres et le Diable organise une danse macabre.
Luigi Cozzi le confesse en VO :
le slasher l’indiffère, l’horreur le
révulse, la science-fiction le fascine. Paganini Horror (1989) confirme tout
ceci et s’apprécie par-delà ses oripeaux stéréotypés, séduit par son artisanale
singularité. Mine de rien, avec la somme de ses riens, on se retrouve plus près
de L’Année
dernière à Marienbad (Resnais, 1961) que de Phantom of the Paradise
(De Palma, 1974). Après un prologue vénitien évocateur, où une gamine (Giada, ragazza
de son papa), ses gammes effectuées sur son instrument, s’en va électrocuter sa
maman dans sa baignoire à sabot de salle de bains repeinte profondo rosso,
grazie au cher sèche-cheveux, la même villa
patricienne abrite d’abord le tournage d’un clip ensanglanté puis une hécatombe
sous influence quantique. Un avatar transalpin des Bangles se fait recadrer par
une productrice impitoyable, prisant peu leur manque d’originalité, de
potentiel succès. Qu’à cela ne tienne, les trois filles + la quatrième
investissent la demeure rémunérée de Sylvia, c’est-à-dire Daria Nicolodi, sosie
d’une certaine Asia Argento, nul ne s’en étonne. L’actrice co-scénariste
adresse un clin d’œil à son Dario via
le personnage de Singer, master of horror
péninsulaire tout sauf à court d’idées, de mannequins immaculés, orchestraux, enfumés,
pour pallier le manque de budget, ou de participante disparue, sorte de sœur de
Sabrina Salerno éventrée par un violon équipé d’une pointe pénétrante, à faire
saliver le Mark Lewis du Voyeur (Michael Powell, 1960),
lui-même doté d’une caméra-épée, olé. L’assassin se dissimule sous un masque
doré, manie l’archet autant que l’objet précité, spectre musical d’un musicien
célèbre qui vendit son âme (et sacrifia sa chérie) au démon mélomane, en
échange d’une gloire éternelle, pérenne, amen.
Le batteur du groupe tente de rééditer
l’exploit, plutôt le contrat, il achète un morceau inédit de Paganini, réservé
à un culte occulte. Donald Pleasence, âgé, fatigué, lui alloue un étui ouvert
au moyen de la combinaison préférée de Damien (La Malédiction, Donner,
1976), à savoir, bien sûr, 666. Avec malice, voici le vieillard voguant à
Venise, cité des morts et non des amoureux, on renvoie à nouveau vers Visconti
(Mort
à Venise, 1971), Lado (Chi l’ha vista morire?, 1972), Roeg
(Ne
vous retournez pas, 1973) et Ugo Liberatore (Nero veneziano, 1978),
puis arpentant une tour afin d’essaimer à l’horizon les biftons, salaire du
péché d’un monde pourri sur pied, supposée innocence enfantine incluse. La
matricide Sylvia, au prénom nervalien, fille-femme du feu damnée pour sa folie
passée, accueille ainsi la ronde incessante des victimes condamnées à périr
dans sa piaule, piètre groupe de rock
ou famille ad hoc, déjà tous
coupables, hors la gosse virginale. Les arrivants navrants n’avisent pas le dialogue
didactique ni le meurtre à la clé de sol de l’épilogue, puisqu’ils se déplacent
au sein d’une seconde dimension, franchissent la barrière invisible tendue
entre le salut et nos pestiférées. Sur un mur apparurent auparavant la fameuse
formule d’Einstein, son portrait, et Paganini Horror se déroule en huis
clos non euclidien, relativise et associe les espaces, les époques. Il le fait
fissa, sans argent, sans beaucoup de temps, et Cozzi, bien épaulé par le DP Franco
Lecca, s’en sort avec les honneurs, parvient à laisser entrevoir le conte
moral, voire moralisateur, surtout au pays de la sacro-sainte mamma, que l’on
ne tue pas, que l’on respecte, y compris par procuration (du manager Maria Cristina Mastrangeli, aperçue
la même année dans le beau Merry per sempre de Marco Risi), à
peine dissimulé sous le whodunit
méphistophélique.
Le métrage enregistre itou, en duo,
dans la diégèse et en studio, la médiocrité, la vulgarité, pas uniquement sur
disque, sur film, de l’Italie berlusconienne, son amnésie démultipliée à la TV,
son autarcie de saison, dans le sillage du diptyque Démons (Lamberto Bava, 1985-1986),
comme si l’hédoniste flashy suffisait
à effacer les souillures historiques, tant pis pour Pasolini, à Salò ou Ostie.
Chantons, commerçons, économisons, et merde à l’univers, à la « musique
des sphères », aux jours d’hier. Mais ici aussi, prisonnier d’une maison
(mal) enchantée, qui vous enchantera (précise l’ironique coda), tu dois payer
les arriérés, te souvenir du pire, explorer le décor circulaire à la Alice de
Lewis (adressons nos amitiés à l’académie utérine de Suspiria, Argento, 1977).
Sylvia raconte que les intestins de la fiancée du violoniste lui servirent de
cordes et sans atteindre la cohérence de Contamination (1980), titre sur
lequel je ne reviens pas, allez me lire ou pas, Paganini Horror permet
d’entendre sa mélodie mélancolique, sarcastique, fantastique. Tourné en
anglais, durement doublé en italien, l’opus
méta (cinématographique ou physique) mérite mieux que le mépris en surplomb ou
l’amusement spécialisé, il décrit avec une poésie paupérisée un enfer privé (remember l’homonyme bouquin de Jean
Rollin), carburant en boucle bouclée à la culpabilité, il rend hommage à
Murnau, lorsque l’ange exterminateur en costume succombe au soleil levé à sept
heures, n’en déplaise à l’horloge genevoise, envolé en volute à l’instar de Nosferatu
le vampire (1922), il ose en sus coiffer l’Adversaire sincère du
chapeau melon de John Steed, chic britannique oblige. Film hanté par son propre
film fantôme, ce Paganini-ci valait bien une découverte nocturne et une
critique amicale, assumée, point seulement sous le charme cinéphile de la cara
Daria, voilà.
Bel hommage, merci !
RépondreSupprimerHommage mérité ; merci à vous !
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