L’Armée des ombres : Notes sur Lotte
Suite à leur visionnage sur le site d’ARTE, retour sur quatre titres de
Lotte Reiniger.
1
Les Aventures du prince Ahmed (1926)
Davantage qu’aux Mille et Une Nuits, pensez
à l’Odyssée,
car la nostalgie anime, littéralement, Ahmed & Aladin. Chacun cherche à
rentrer chez soi, au cher Heimat, thème culturel teuton malgré Homère, donc, +
un Pégase musulman. Bien entourée, notamment par Walter Ruttmann sur le point
de diriger Berlin, symphonie d’une grande ville, et Wolfgang Zeller, compositeur
de valeur compromis avec les nazis, réécoutez Le Juif Süss, Reiniger,
réelle réalisatrice, fait fi de la frontalité, signe un chef-d’œuvre enchanteur,
en couleurs, à la Frank Miller, dont le labeur s’efface devant la grâce. Admirée
par Renoir ou Jouvet, la variation orientaliste arbore une chauve-souris stokeresque,
un bestiaire présageant King Kong, un affrontement final digne
de Zu,
les guerriers de la montagne magique. Mélodrame surnaturel, film de
classes exotique, l’alerte Lotte ose/remporte tous les défis, rééquilibre le
motif dédoublé de la « demoiselle en détresse », fureur féministe, du
portrait poignant d’une sorcière de bonheur, véritable héroïne de fable à
succès, guère âgée.
2
Arlequin (1931), Carmen (1933), Papageno
(1935)
Cinq ans après, l’arlequinade anglophone
commence par une main méta et une chute ici-bas, s’accompagne au clavecin
d’airs de célèbres musiciens. Elle-même toujours accompagnée de son Carl Koch
préféré, Lotte s’essaie à l’érotisme à l’ombre d’un cimetière. Jugé pour crime
d’amour presque sadien, Arlequin finit exécuté par les policiers, il se
démembre proprement contre un mur blanc puis retombe, dépouille ranimée par
Cupidon, proie du Diable, que congédie à l’aide d’un boulet sa Colombine
adorée. Les panoramiques mimétiques dupliquent les passages entre les
personnages, un âne annonce Bresson, monture pour virer un rival reprise
d’Ahmed, et la flûte reviendra vers Papagena. Le théâtre d’ombres apparaît
selon le Bizet en accéléré, clé de sol à gauche, paire de ciseaux à droite.
Retour à l’Allemagne, via l’évocation
d’une femme forte, danseuse, vendeuse et in
extremis acrobate, à dos de taureau ! La cigarière conquiert deux
cœurs, échappe au couteau, se réinvente en torero, olé, Ariane gitane au Minotaure
de matador mis à ses pieds. Dans sa jungle
édénique, l’oiseleur espère rencontrer une colombe à aimer. Il lui faudra
affronter un serpent géant à la Conan, repousser la tentation du suicide suite
à la perte de sa compagne et ramener celle-ci au moyen de clochettes
enchantées. Au sein du « monde sournois », une autruche sert de taxi
et des volatiles se métamorphosent en sylphides. Enfin réuni, en écho à Pari
Banu & Ahmed, Dinarsade & Aladin, le couple croît et se multiplie,
marmaille aussitôt enfantée à partir d’œufs craqués. Plein de petits Papageno
& Papagena prolongent les parents charmants, le père Bergman, à l’occasion d’humeur
folâtre, déjà largement distancé.
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