Hunting Emma : Mortelle randonnée
Dormir ou mourir, mieux viser avant de nous aviser.
Emma Le Roux ne « balance »
pas ses « porcs », elle les poignarde, dans le ventre ou le dos, elle
leur lâche un gros rocher sur la tronche, elle les embroche, elle les plante, elle
les envoie à terre à coup de fer (à repasser, à trépasser), elle les descend de
ses deux mains armées, olé, le duel à la Sergio Leone survolé par une guitare
espagnole. Après la fille de militaire et de chasseurs de Downrange (Ryuhei
Kitamura, 2017), voici celle d’un ancien des forces spéciales spécialisé dans
la reconnaissance. Afin d’éviter qu’elle les reconnaisse, qu’elle les dénonce à
la police en tant que témoin de l’exécution initiatique d’un flic épris de ketchup, six lascars trafiquants de came,
amateurs et professionnels, la traquent une centaine de minutes durant, au sein
d’un désert sud-africain valant bien l’australien, éolienne de Razorback
(Russell Mulcahy, 1984) en commun. Certes plus souple et plus blonde que Dustin
Hoffman pas encore soupçonné pour mauvaises mœurs, pour l’instant déguisé en
petit mathématicien inoffensif puis impitoyable par le Sam Peckinpah des Chiens
de paille (1971), notre héroïne se voudrait pacifiste, arrêta de
s’entraîner à seize ans auprès de son papa blessé, adolescente orpheline de sa
maman défaite par un cancer. Au début de l’histoire, elle se dispute par SMS
avec son amoureux agressé, agresseur, et l’ensemble de la chasse réversible,
les prédateurs aussitôt devenus proies, se résume à une triple morale misanthrope,
conservatrice et vindicative : mon papounet disait vrai, le monde immonde
s’apparente à l’enfer, il faut répondre à la violence par la violence et rien
ne vaut un gros couteau à la Rambo, y compris planqué à l’intérieur du tiroir
de sa chambre d’hosto.
Sportive et gracile, forte et
enfantine, épouse dans la vraie vie de l’un de ses poursuivants, celui à
cicatrice et postiche, Leandie du Randt s’impose en sœurette d’Anne Parillaud
& Milla Jovovich relookées naguère en guerrière urbaine (Nikita,
1990) ou historique (Jeanne d’Arc, 1999) par leur
pygmalion Luc Besson, aujourd’hui poursuivi pour comportement indécent,
appréciez l’ironie. Malgré sa bagnole pas drôle, épave achevée par un voyage
karmique en Inde, en dépit de sa tendance à tenir ses jumelles à l’envers, de
son unique point faible, puisqu’elle « tire comme une jouvencelle »,
un salut à la Pucelle, on ne frémit jamais vraiment pour Emma, même âgée de
vingt-six ans juvéniles, même menacée d’être violée, on sait qu’elle délaisse
la vaisselle, qu’elle s’en sortira, qu’elle rejoindra, in extremis et amochée, la grande allée de la propriété reculée où
l’attend son paternel éternel. Hunting Emma (2017), titre assez
sympa, titre (international) explicite, se termine par une étreinte émouvante,
larmes de funérailles et de retrouvailles, de souffrance et de soulagement.
Réalisateur, monteur, compositeur et musicien, issu de la TV, Byron Davis
emballe sa fable féministe avec un soin certain, tant pis pour l’absence de
transcendance et de consistance. Saisi en Scope, en drone, en grue, l’espace évocateur constitue le second protagoniste
du métrage sage, exempt de surprise mais point de plaisir, même à la limite du
régressif. Sans égaler la dimension anxiogène et la sauvagerie auteuriste d’un
Bruno Dumont (Twentynine Palms, 2003) se prenant pour John Boorman (Délivrance,
1972), ce terrain de jeu dangereux séduit par sa modestie, son humour,
volontaire ou non, et sa nature de survival
en pleine nature, en plein air, plein jour, plein soleil, de love story
à distance.
Dotée d’une éducation à la Kung
Fu, moins glabre que David Carradine, la citadine retrouve toutes ses
capacités enterrées, mises de côté, car le corps n’oublie pas, car la maîtrise
du corps à corps la sauvera, en sus d’une citerne d’eau insalubre. Comme un
hommage inconscient à la kleptomane traumatisée d’Alfred Hitchcock (Pas
de printemps pour Marnie, 1964), le plan localisé la place juste devant le vaste bassin, baignée par un rouge profond à rendre jaloux les Dario Argento &
Luigi Kuveiller des Frissons de l’angoisse (1975). Divertissement dépaysant, au
niveau géographique et linguistique, écrit par le producteur Deon Meyer, Hunting
Emma remplit son contrat et dessine la silhouette d’une femme
fréquentable, à la fois institutrice en vacances et némésis de vengeance,
flanquée d’un frère invisible et assortie de son sac de randonnée utile. Si notre
Isabelle Adjani nationale joua pour Claude Miller les tueuses en série selon la
sienne (Mortelle randonnée, 1983), cette balade sanglante et amusante
méritait sa découverte clémente un soir estival et quelques lignes ensuite. Ma
chère et résiliente Emma, je crapahute au Cap avec toi quand tu voudras…
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