The Belko Experiment : La Loi des armes


À bout portant dans le dos des salauds + l’épi de Claire Denis.


There can be only one.

Highlander

Expérience comportementaliste pour massacre en huis clos – on espérait peu, on ne reçut rien, ou plutôt un petit traité de trumpisme appliqué. Même réalisé par un Australien en Colombie, The Belko Experiment (2016) constitue un pur produit étasunien, qui ne pouvait pas être produit ailleurs qu’au pays de l’Oncle Sam, celui des armes en vente libre, des tueries lycéennes, des meurtres surmultipliés au ciné, à la TV. Que cependant les adeptes bien-pensants de l’antiaméricanisme européen passent leur chemin, car j’aime ce cinéma, même aujourd’hui, car je me garde d’identifier une nation à ses citoyens détestables, à son gouvernement pitoyable. En outre, la situation en France, sur l’écran, au-delà, ne permettrait point pareille arrogance. Quant à la violence évidente du métrage, choquante a priori, rappelons qu’elle procède d’une représentation, jamais d’une réalité, a fortiori traitée de cette façon fastidieuse. La massification entraîne la neutralisation, l’accumulation aménage l’abstraction, et quatre-vingt-quatre cadavres émeuvent moins qu’un seul, d’autant plus s’il s’agit de pantins à la psychologie de soap piégés par un vain survival. Greg McLean réalisa jadis le réussi Wolf Creek (2005), le raté Eaux troubles (2007). Il troque le tueur en série et le crocodile numérique contre un « Dieu » diabolique et machiavélique, qu’incarne en caméo de deus ex machina  le bouffi Gregg Henry, régulier de Brian De Palma. Voix off à la Loft Story, face défigurée à la Dorian Gray, notre scientifique cruel dégomme sans remords le personnel d’une entreprise de paille spécialisée dans le travail des ressortissants US à Bogota, voilà, voilà. L’argument réactionnaire – science sans conscience, etc. – ne suffisait pas au bien nommé scénariste/producteur James Gunn (son frérot cadet campe un camé), autrefois auteur du sympathique et anecdotique Horribilis (2006), histoire de limace extra-terrestre encore avec Mister Henry.


Après un prologue expéditif, prophétique, muni de minots aux masques squelettiques, doté d’un talisman en maïs manufacturé, olé, le divorcé un brin révulsé par sa prose morose dispose d’une heure trente pour entasser les macchabées, adresser un clin d’œil à L’Ascenseur (1983) de Maas, refaire à sa mesure le fameux test de Stanley Milgram, obéissance versus souffrance, moralisme ou pragmatisme, déjà matrice du longuet Battle Royale (Fukasaku, 2000), avec un Kitano en croque-mitaine d’ados rebelles, et du dispensable The Experiment (Scheuring, 2010), avec un Brody incarcéré loin du Pianiste de Polanski. Le diptyque expérimental, à transformer fissa Agatha Christie en égale de Madame de La Fayette, voudrait bien nous éclairer sur notre noirceur intérieure, nous démontrer à quelles extrémités l’individu se résout vite s’il en va de sa propre survie. Hélas, il manque aux épiciers du sang versé une éthique cinématographique, une déontologie du regard irréductible aux convenances castratrices du politiquement correct et à la paresse cynique du scandale rassis. Filmé comme un téléfilm de luxe, Scope compris, The Belko Experiment essaie de dissimuler son statisme et son surplace sous des reprises hispaniques ou des citations classiques voulues dynamiques, ironiques. California Dreamin', I Will Survive, Dvořák, Saint-Saëns et Tchaïkovski font donc de la figuration sur la bande-son, à la manière mélomane de Quentin Tarantino, ex-gérant de vidéo-club adoubé à Cannes, triste sire nécrophile du recyclage, de l’hommage, de la tchatche, de l’Histoire décérébrée, de la dite musique de film exhumée. Ces gens-là, un salut à Jacques Brel, non seulement ne savent pas de quoi ils parlent – qu’ils aillent faire un stage en établissement scolaire, pénitentiaire, aux urgences, en soins palliatifs, qu’ils viennent ensuite nous reparler de violence au premier degré –, une insupportable suffisance caractérise de surcroît leurs bandes rances.


Devant Reservoir Dogs (1992) et The Belko Experiment, le spectateur se retrouve dans une position similaire à celle des personnages ineptes, il devient le cobaye du cinéaste tout-puissant, qui lui assène en mode SM une variante navrante du traitement Ludovico inventé par Burgess & Kubrick selon Orange mécanique (1971). José Giovanni, ancien milicien, accusait Jean-Pierre Melville d’être un mec faible, par conséquent excité par la force fournie par la crosse. Distribué par les scélérats de Blumhouse, (mal) porté par un casting de TV (Owen Yeoman s’émancipe de Mentalist), The Belko Experiment se situe à ce niveau de compensation puérile, d’hécatombe stérile, et personne, pas une seconde, ne le confondra avec du Sam Peckinpah. Tarantino, Gunn et McLean nous serinent ad nauseam le fun du flingage, la jouissance du génocide (WASP, musulmane au voile incluse), et leurs œuvres végétatives, récréatives, de cour d’école pas drôle, s’apparentent à du jeu vidéo de degré zéro, où trucider en POV un adversaire évidemment abstrait, privé de visage, d’identité, de CV. On sait que l’armée de Washington utilise ce ludisme homicide et virtualisé pour (dé)former sa jeunesse distancée, aliénée. On sait aussi que le cinéma de là-bas ose parfois aborder l’insanité de sa mentalité, que Kubrick signa Full Metal Jacket (1987) et De Palma Outrages (1989) puis Redacted (2007), antidotes sarcastiques et tragiques, impliqués et enragés, à la démagogie d’un Michael Moore allant casser les couilles de Charlton Heston à l’occasion de l’écœurant Bowling for Columbine (2002), photo de mélo encadrée d’une victime déposée sur son seuil en sus. Le pseudo-documentariste en surcharge pondérale, à la petitesse de pensée, à la maigreur du raisonnement, ne semblait pas (vouloir) voir que le problème excédait le lobbyisme de la NRA, prenant le symptôme pour la pathologie.


Le principal ennemi aux mille noms, à la Légion (biblique, pas cosmopolite), du peuple d’outre-Atlantique s’appelle la peur, la paranoïa, la stupidité, la xénophobie et l’hypocrisie, la défense d’un territoire de petit propriétaire auparavant spolié, on sait à qui et on sait comment, la prétention à se prendre pour les « gendarmes du monde » (Les Gardiens de la galaxie, corrige Gunn converti à l’univers Marvel) dès 1945, malgré le double effondrement de sa superbe en 2001. On laisse la rancœur redevable de la Libération à ceux qui la connurent, et l’apologie placide du terrorisme islamiste aux asservis de la « morale du ressentiment », dirait Nietzsche. Il n’empêche que le cinéma américain contemporain, après sa phase dépressive et « révisionniste » des années 70, renoue depuis quelque temps avec sa part la plus déplaisante, notamment à coup de comics nationalistes à la castagne décomplexée, auprès desquels les Bronson, Stallone et Norris de naguère paraissent presque des modèles de diplomatie. The Belko Experiment synthétise cette mouvance et représente un sommet de vacuité, ne se risquant à aucun moment à étoffer son zigouillage généralisé d’un quelconque sous-texte sociétal, à l’instar d’un George A. Romero (Zombie, 1978) ou même d’un Lionel Bailliu (Fair Play, 2006). Une satire de la compétitivité en entreprise ? Un portrait vitriolé des « cols blancs » ? Une romance « interraciale » ? Non, non et non, Monsieur McLean en reste à son Cluedo hardcore, à ses farces et attrapes sinistres, onanistes, de mise à mort arithmétique, à son gore régressif, à son simulacre eugéniste d’Auschwitz, cf. la répartition des victimes de toute façon promises à périr dans un court avenir (Michael Rooker ne s’attarde pas en réparateur à chalumeau fâcheux).


Dommage pour lui, heureusement pour nous, Pasolini le précéda, avec la farce terrifiante de Salò ou les 120 Journées de Sodome (1976), acmé historique, cinématographique, politique et drolatique. Chez Sade, la nécrologie relève de la compatibilité, relisez les dernières pages ; chez McLean, le body count révèle une irresponsabilité. Rassurons les « grenouilles de bénitier », les « humanistes » refroidis par ce type de films, ces « films de genre », les psys confondant le ciné et la réalité – The Belko Experiment n’incite pas le voyeur à occire son voisin sitôt le visionnage achevé, il empeste juste le contentement de soi et le surplomb de déraison. Il ne prend pas la violence au sérieux, il ne propose rien de neuf, d’offensant, de réellement troublant, il se contente d’aligner les silhouettes et aussitôt de les descendre sans cérémonie, merci au traceur explosif implanté sous l’occiput des fils (et filles) de pute pouvant être pris en otage. Hitchcock, notoire contempteur d’acteurs, surtout tourmenteur d’une actrice, enviait à Disney la possibilité de déchirer ses dessins. McLean, à défaut de réaliser un film adulte, de tumulte, de cinéma lucide et stimulant, vraiment dérangeant, clinique et métaphorique, réalise son fantasme et met en scène sa tuerie jolie au bord de l’obscène. À l’ultime plan, sur le mur de moniteurs à la Mabuse surcadré en zoom arrière, la partie se poursuit, désormais mondialisée, remémore le split screen du prologue tétanisant de Hostel, chapitre II (Roth, 2007), remarquable témoignage imaginaire et pourtant pertinent sur l’étape suivante du capitalisme, le consumérisme poussé jusqu’à la torture, entonnons l’Internationale du Mal, preuve inspirée que l’on peut dépeindre le pire sans le servir, a contrario du duo falot Gunn & McLean, sadiques de Prisunic et cerveaux (tré)passés à la loboto.


Un film foncièrement fasciste fabriqué par des fascistes afin de satisfaire des fascistes : ainsi se résume, se réduit à ça, l’expérimentation à la con, à peine digne d’une rapide exécution, par exemple en cinq paragraphes en effet calibrés.

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