The Lesson : Le Coût de la vie
Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Kristina
Grozeva & Petar Valchanov.
Tout sauf leçon de cinéma, hélas, la
faute à une caméra portée permanente, presque envahissante, jamais stimulante, The Lesson
(2014) semble d’abord une sorte de Rosetta (1999) sis du côté de Sofia.
Comme la médiocre, pas modique, Marion Cotillard déguisée en employée sur le
point d’être licenciée dans le contemporain Deux jours, une nuit par
les dispensables Dardenne, dont on ignore ce qu’ils filmeraient, de quoi ils
vivraient, si la pauvreté ne sévissait pas, si Cannes ne les hébergeait pas, Margita
Gosheva, issue du théâtre, vraiment mariée à Ivan Barnev, se bat contre la montre, un compte à rebours
de trois jours. Time is money, money is time (libre) et l’enseignante
d’anglais en collège, par ailleurs traductrice exploitée, de faillite
essoufflée, va recevoir en accéléré une leçon de morale et d’économie en
Bulgarie, elle qui promettait d’en donner une au petit voleur, un salut à Érick
Zonca, identifié in extremis. Interprété
par un convaincant clone local
d’Ariane Ascaride, ce (premier) film évite les écueils du didactisme et du
misérabilisme, il ne donne pas de leçon au spectateur, et si le scénario
accumule les malheurs, il s’autorise des respirations d’humour noir.
Tragi-comédie de son temps, du capitalisme mondialisé, sous influence du fait
divers, de prix recouvert, The Lesson portraiture une femme
fréquentable, modèle exemplaire au bord de la crise de nerfs, et démontre de
manière un peu longue, rallongée disons d’un quart d’heure, ce que n’importe
quel citoyen un peu lucide, a fortiori
endetté, sait déjà – que l’honnêteté ne paie pas, que la propriété s’apparente
au vol, voire à la spoliation, que les banques ne font pas dans la
bienfaisance, la bienveillance, profitent du déficit, qu’un braquage peut
provisoirement repousser un naufrage.
Kristina Grozeva & Petar
Valchanov ne pratiquent pas le cynisme, n’esquissent pas des salauds, puisque
même le misérable prêteur sur gages, enclin au chantage et aux menaces,
accessoirement à la fellation d’occasion, acoquiné à la flicaille du coin, sait
déchirer un contrat une fois son dû rendu, rendre un acte de propriétaire et
des bijoux familiaux. Nadia devait devenir avocate, sa mère, inhumée loin des mausolées,
« humiliée » par son père friqué, se « sacrifia » pour ça,
l’envoya vers la capitale, en vain, CV dévoilé lors d’un règlement de comptes expéditif
et impitoyable à la Pialat. En réalité, elle épousa un poivrot dépourvu de
boulot, pas même fichu de refourguer un camping-car
usagé à tort baptisé Félix. Le « connard » refuse de faire la
vaisselle, ne trouve rien de mieux à faire, alibi
pourri, qu’acheter une « boîte de transmission » au lieu de régler le
crédit de la maison. Menacée d’expulsion malgré sa fille juvénile, à l’état de
santé suspect, l’héroïne ne succombe pas à la déprime, ni à une panne d’essence
en pleine campagne, ni à la fermeture minutée de son établissement bancaire préféré,
bientôt dévalisé par ses soins, son collant d’apprentie prostituée finalement
enfilé sur la tête. Tel l’insecte sombre prisonnier du store immaculé de sa
salle de cours, Nadia ressent la pression de toutes parts et cependant survit,
soutenue par un contrôleur d’autocar point
apollinien et une guichetière réglementaire, un brin fêtarde à défaut d’être
généreuse. La générosité, elle refuse de la mendier auprès de son paternel
maqué avec une « tante » plus tard qualifiée de « pute », sa
photo « griffonnée » au feutre infantile, excuses à la clé, aussi
obsédée par ses chakras que notre Arielle Dombasle nationale selon Un
indien dans la ville (Palud, 1994). Elle préfère repêcher au fond d’une
fontaine pas fellinienne de la monnaie inespérée.
Pas de place, de gaspillage, pour la
désespérance, pour l’errance, Nadia se démène, n’accuse personne, se fait
masser les pieds par son boulet à domicile, l’incite à se taire, écoute, dos
tourné, le récit à la TV de son crime commis au moyen d’un pistolet à eau
confisqué aux marmots. La moralité douce-amère, au happy ending ironique, mutique, s’achève en boucle bouclée par une
victoire à la Pyrrhus et implique que la déontologie jolie comporte des
compromis, que l’absolu des valeurs se relativise, que face à la vérité, le
silence en dit long. Survival sans
forêt, sans cris, sans tueur en série, sinon le fric et ses trafics, The
Lesson, même bancal, mérite sa découverte estivale. Avec ses limites,
il s’apprécie en réussite à opposer au ratage putassier de La Loi du marché (Brizé,
2015), immonde mélo par/pour bobos. Il dépeint le quotidien certes raccourci,
ramassé dans le temps et l’espace, de millions d’anonymes, en France et
au-delà, une situation européenne et planétaire ne troublant a priori pas plus que cela Monsieur Emmanuel
Macron et ses homologues à la con, le président transparent actuellement à la
page en raison de son pitoyable entourage. Du 6 démocratique, pragmatique, en
réponse à l’inique, d’un cahier d’écolier, au 666 de l’enfer banal, trivial, de
retour chaque fin de mois, souvent avant, il n’existe qu’une fable physique,
salée de sueur, nourrie de rancœur, consacrée à une femme de maintenant, une
résistante résiliente, à célébrer modérément, au présent.
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