Mary et la Fleur de la sorcière : Le Château dans le ciel
Fin d’été, ennui poli, apprentie sorcière pas assez vénère.
Après le plantage public du pneu
politique et méta de Blow Out (1981), Brian De Palma
revisita ses classiques et livra, dans le sillage de Phantom of the Paradise (1974),
épaulé par le peu subtil Oliver Stone au scénario, une nouvelle fable opératique,
cette fois-ci mafieuse, sur le capitalisme atteint d’hubris, promise à un culte
pérenne et de contresens parmi la « jeunesse défavorisée », expression
misérabiliste de journalistes, de sociologues, le scandaleux et lucratif Scarface
(1983). Après l’échec commercial du réussi Souvenirs de Marnie (2014), un salut
à Tippi Hedren & Melanie Griffith, surtout selon Body Double (1984), Hiromasa
Yonebayashi se tourne à nouveau vers la littérature fichée enfantine et
transpose une œuvre non traduite de la Britannique Mary Stewart, apparemment
spécialiste de l’imagerie liée à Merlin. Paru en 1971, six ans à la suite de la
naissance d’une certaine Joanne Rowling, sa compatriote pas encore médiatique
et milliardaire, merci à l’interminable série des Harry Potter (1997-2007),
le roman original, à l’intitulé explicite, The Little Broomstick, cartographie déjà une académie de magie et
des mioches mis à mal par le Mal. Voldemort ? Vol de nuit, oui, pas celui de
Saint-Exupéry, celui d’une fleur bleue aux pouvoirs convoités, ah ouais. Partie
en avance, en période de vacances, en éclaireuse rurale chez sa chère Charlotte,
grand-tante à gouvernante, Mary attend ses parents occupés, s’emmerde à mourir,
solitaire maladroite et rousse au miroir. Heureusement, deux chats sympas, une
forêt défendue et un balai enchanté vont vite la tirer hors de sa routine d’oisiveté,
tandis que des cartons immaculés attendent leur déballage retardé dans sa
chambre ensoleillée. Niché au sein d’un gros nuage, Endor College ressemble
davantage à Las Vegas qu’au pays de Dorothy, célèbre Oz qui tant traumatisa
outre-Atlantique.
Sur ce royaume du kitsch œcuménique en
apesanteur règnent une directrice aux faux airs de Simone Veil et un professeur
de chimie amputé de sa mimine droite. On se doute bien que le couple
accueillant et malsain, subjugué par ses possibilités empruntées, temporaires, réserve à
notre héroïne une obscure combine, à défaut du médiéval bûcher destiné à sa
couleur de capillarité détestée. En réalité, résumons, Madame Mumbletchuk et le
docteur Di, émules du similairement insulaire et médecin marteau Moreau,
pratiquent l’expérimentation à la con et à haute dose sur la faune et les
enfants, aspirent à la gloire en tant que maîtres incontestés, incontestables,
de la sorcellerie mondiale, quitte à faire usage de cobayes récalcitrants,
tripatouillés en suspension à la Ghost in the Shell (Oshii, 1995).
Son pote Peter pris en otage, Mary se retrouve dans un cottage où son ancêtre lui révèle, via une psyché chipée à Cocteau, son identité d’ancienne sorcière,
d’ex-étudiante de l’établissement
navrant. Le prologue nocturne, évocateur, embrasé, montrait sa fuite aérienne
munie des fameuses graines. Tombées sur terre, elles provoquaient la pousse
accélérée de la verdure et des volatiles voisins, métonymie du récit, analogie en
modèle réduit du passage à l’âge adulte démontré par le métrage bien trop sage.
Les animaux en troupeau, à l’assaut, en écho à Princesse Mononoké
(Miyazaki, 1997), l’entité en transit de Planète interdite (Wilcox, 1956)
matée, le labo bazardé, le tandem terrassé,
Mary et son (petit) ami regagnent leurs pénates et le chemin de l’école, la
vraie, pas celle des marioles en survol. Le lecteur et le spectateur le
constatent : Mary et la Fleur de la sorcière (2017) ne possède pas, hélas,
une once de la beauté, de l’originalité, de la mélancolie de Souvenirs
de Marnie, ici même loué par mes soins, la faute à un argument anémié, cependant
co-signé par Riko Sakaguchi, auteur de valeur du Conte de la princesse Kaguya
(Takahata, 2013), à des personnages privés d’épaisseur, à un sentiment de
déjà-vu (dirait le De Palma de Femme fatale, 2002) ailleurs et de
manière supérieure.
Miyazaki, convié par son héritier
supposé à une projection en modeste comité, absent félicitant, reste souriant, puisque
l’effort soigné, aseptisé, ne sait rivaliser avec Le Voyage de Chihiro
(2000), escapade thématiquement parallèle, animée par Hiromasa Yonebayashi
lui-même, ni avec l’humidité féminine de Ponyo sur la falaise (2008),
Grandmammare en matrice mémorielle de la liquide Mumbletchuk. Plus grave, tout
ceci, joli, gentil, inoffensif, jamais intrusif, toujours à bonne distance de
bienséance des conventions d’Albion, repose sur un fond réactionnaire et
presque suicidaire. Science sans conscience, etc., disait Rabelais, ou une seconde Mary, Shelley, la maman de
Frankenstein – cette moralité scolaire,
qui plaira aux adeptes de la SPA, même un littéraire comme moi ne va pas l’avaler,
dommage pour les miracles monstrueux désormais cogités, sinon réalisés, par la
recherche eugéniste à destination des couches les plus riches de la population
planétaire, misère du transhumanisme de saison, passons. Sous ce premier niveau
de mise en garde rassie, assortie d’une dimension freudienne à filer la
migraine, père et mère indignes provisoirement substitués aux géniteurs
hors-champ, se tient une curieuse leçon adressée en démenti, en déni de la
magie. Contrairement au Stephen King de Ça (1986), pour lequel non seulement
elle existe mais incite à grandir, à guérir, à se souvenir, davantage de la
damnation de Derry que des réminiscences de Marnie, certes, Hiromasa
Yonebayashi la congédie, la remet à sa place, au cœur d’un éther à fuir fissa.
Le monde réel, si vert, si serein, si sénile, ne vaudrait donc que par et pour
lui-même, adieu aux puissances de la transcendance, à la profusion de la
création, à sa capacité de découverte guère suspecte.
Alors que Poe établissait un distinguo cartésien entre la fancy, maladie mentale de Usher, et l’imagination,
santé cérébrale de Dupin ou du rédacteur mi-sérieux, mi-blagueur, de la
cosmogonie poétique de Eurêka (1848), le Japonais paraît se
tirer en kamikaze une balle dans le pied, déchirer doucement ses dessins
manquant d’âme, néanmoins rédimés par des scènes célestes que caractérisent l’ivresse
de la vitesse, l’énergie précise de la furie. Là, vraiment, uniquement, Mary
et la Fleur de la sorcière se hisse à la hauteur des hauteurs de Porco
Rosso (1992) ou du Vent se lève (2013), avions d’animation
délestés de leur lourde tristesse intime, de leur contexte historique sinistre,
afin de donner cours affolant,
vertigineux, à une pure voltige graphique, à une extase de cadrages, de
rythmes, d’élan de grand enfant. Voler, y compris sur un balai, instrument à
horrifier les féministes, s’avère une victoire, même quand on s’appelle Icare,
même quand on ne prise pas la carrure de Superman, je pense à une séquence
sensuelle, duelle, du film de Richard Donner sorti en 1978, je voudrais bien
croire que Margot Kidder & Christopher Reeve la rejouent dorénavant
ensemble, à l’infini, en improbable paradis. Voler, à l’instar de danser, constitue
de fait une émancipation, féminine ou non, une conquête de liberté, de
légèreté, de jovialité, et le réalisateur retrouve durant ces minutes l’éclat d’autrefois,
le souffle d’une féminité déployée, apeurée, déterminée, digne d’être aimée. Au
lieu de rester terre-à-terre, au ras du sol d’une parabole laïque, asiatique,
misant sur un réalisme et une socialisation a
priori lucides, défendables, préférables,
a posteriori point excitants,
stimulants, pétris d’un conservatisme zen foncièrement épris d’inertie – ne
rêvons pas, ne nous révoltons pas, ne changeons rien, contentons-nous d’apprécier
ce qui se trouve à portée de main, aujourd’hui, pas demain, protégeons nos
progénitures, les fourrures et la nature, amen
–, partez explorer le troublant et poignant Souvenirs de Marnie,
ouvrage bien moins floral, décoratif, régressif et plus sorcier que les
aventures trop pures de la médiocre Mary, tant pis.
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