Jazz on a Summer’s Day : ll était une fois en Amérique


Festival et trivial, consacrés et sacré, d’excellentes raisons d’aimer l’Oncle Sam.


Connu pour ses photos, en particulier la session in extremis d’un certaine Marilyn Monroe, Bert Stern shoota itou Audrey Hepburn, Kylie Minogue, Liz Taylor et la Sue Lyon de Stanley Kubrick déguisée en Lolita de Nabokov, débuts adolescents à Look en commun. Mode, publicité, ciné, donc, mais aussi musique, surtout du côté de Newport, Rhode Island, un salut à la Providence de Lovecraft, of course. En 1958, en plein été, point de créatures indicibles et innommables à l’horizon, plutôt un concert de jazz aux invités renversants et même une succincte course de yachts, fameuse America’s Cup. Accompagné d’un habile tandem de DP/cadreurs (Courtney Hafela & Raymond Phelan), Stern tient à son tour la caméra et documente plusieurs choses à la fois. Tout d’abord, évidemment, la performance per se, au long cours, passage de samedi à dimanche avec prestation poignante de Mahalia Jackson Autour de minuit, expression connotée, pas seulement pour Bertrand Tavernier, au son d’un Notre Père de toute beauté, de coda délectable, y compris pour un athée, suivez mon regard au miroir. Je résiste à l’énumération, je me limite à citer celles et ceux que je connais, que j’apprécie : Anita O’Day, Dinah Washington, Louis Armstrong, Chuck Berry, Thelonious Monk, Gerry Mulligan, George Shearing. Si ceci ne vous donne pas déjà envie d’aller voir en ligne, d’écouter les morceaux vocaux ou instrumentaux, tant pis (pour vous), et comme disait Belmondo chez Godard, en regard caméra, pas si essoufflé : « Allez vous faire foutre ». Ensuite, Stern s’intéresse au public, à ses réactions, à sa composition apposée face aux compositions sur scène. Des Blancs, des Noirs, des gens de tout âge, un patchwork de visages, une complicité tacite, ludique, estivale et conviviale – voici sans doute, au-delà de sa valeur musicale et mémorielle, la vraie valeur, disons la plus émouvante, de Jazz on a Summer’s Day, diamant désarmant et méconnu concocté presque à contretemps.


Le documentaire prend des allures idéales, idylliques, explicites, implicites, il démontre, preuve visuelle et notes à l’appui, que l’Amérique savait, sut, se réconcilier autour d’une similaire passion elle-même métissée. Peu avant la décennie 60, caractérisée en partie par les luttes parfois littérales des mouvements pour les droits estampillés civiques, les USA apparaissent, en tout cas à l’Est, sur la côte sudiste, au sein d’un État tolérant, tel un territoire pacifié, émancipé, enfin « terre des opportunités » hélas souvent réduites à des discriminations de fait (gardons-nous de l’arrogance, nous affichons les nôtres). Enfin, la ville se dévoile avec discrétion, débarrassée de touristique ostentation, possédant un je ne sais quoi de la Bodega Bay des Oiseaux. Encore une fois, point d’eschatologie au programme, plutôt quatre-vingt-cinq minutes de détente, de plaisance, de plaisir, de concorde. Bien sûr, Bert Stern n’agissait pas seul et le film doit sa part respective au directeur musical George Avakian, au monteur homonyme prénommé Bill (Miracle en Alabama), petit frère du premier, tandis que le générique mentionne le scénariste Arnold Perl, auteur de Un violon sur le toit pour Norman Jewison et Malcolm X pour Spike Lee. Dans cet éden autarcique, les artistes prennent des allures de divinités bienfaisantes et bienveillantes filmées en contre-plongée ou de profil, l’auditoire s’autorise à lire (Camille, en écho à Greta Garbo ?), à se nourrir, à sourire, à applaudir, à ne pas se sentir gêné par les objectifs guère intrusifs, même si le plan sur une jolie rousse en veste rouge – Patricia Bosworth, éphémère actrice apparue dans  Au risque de se perdre – trahit un intérêt prolongé, amusé, entiché.


Le photographe ne prend pas la pose, ne cherche pas le joli cadrage, il filme des préparatifs, des entrées au port, un orchestre de Dixieland à bord d’une bagnole, des voiliers plaqués sur le piano de Monk, lui-même immortalisé par un type en surplomb, des maisons ancestrales et des draps en train de sécher, des escarpins immaculés et un orchestre de chambre dénudé répétant du Bach, une fête foraine, des fumeurs et un coucher de soleil. Cela ne relève pas de l’anecdotique mais bel et bien de la mosaïque, cela ne pratique pas la diversion mais la globalisation, cela n’oublie pas les musiciens mais les inscrit au creux d’un contexte serein, jamais mesquin. À la fin, la voiture précitée continue de rouler, afin d’aller charmer d’autres amateurs, au son d’un Mon beau sapin surréaliste, a fortiori exécuté sur un route ensoleillée, poussiéreuse. Pas une seconde poussiéreux, cependant sorti en 1959, Jazz on a Summer’s Day s’apprécie à sa juste mesure de vibrant divertissement de saison et de remède stimulant, euphorisant, à l’absurdité, à la stupidité, de l’actualité étasunienne, en plein trumpisme piteux. Et il démontre, si besoin, que le cinéma américain ne se résume pas à la médiocrité hollywoodienne, présente ou passée, pourtant matrice de réussites et de singularités que je me fais une jouissance de célébrer, qu’il existe d’autres formes de ciné, de musiques, de cinéma musical. En (re)créant un espace-temps qui n’appartient qu’à lui, au film doté de sa propre musicalité, Bert Stern parvient par conséquent à capturer le parfum d’une époque et à portraiturer le génie d’un lieu béni. La modestie et l’élégance de sa manière ne rendent que plus attachant et précieux ce moment assez merveilleux, passé parmi une Amérique très sympathique et transfrontière, finalement fraternelle.


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