La isla mínima : Matador


Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre d’Alberto Rodríguez.


Tueur en série d’Andalousie : au programme plutôt prenant, assez balisé, à succès, un policier exilé, un flic franquiste, un beau gosse dégueulasse, un capitaliste (peut-être) amateur de mineures, un coupable à autocollant, croix, contrat, des braconniers, des contrebandiers, des journaliers grévistes et bien sûr des femmes trompées, instrumentalisées, frappées, violées, torturées, assassinées, jetées dans un canal. On peut penser à Memories of Murder pour la chronologie, la géographie, le sort funeste réservé au « deuxième sexe » et l’ombre de Seven assombrit à son tour cet opus solaire, pluvieux, politique et mélancolique. Ici, pourtant, point de tête décapitée en coda, ni de Bach plaqué sur l’enquête. Au contraire, le réalisateur sauve sa Marina in extremis, affiche un classicisme aussi solide que le scénario et manie une ironie pragmatique. La démocratie débutante, balbutiante, ne saurait effacer les crimes du passé, les noyer dans l’eau rougie d’un toponyme d’intitulé. En septembre 1980, les fantômes familiers du régime de Franco resurgissent in fine en photo, même déchirée, même silencieuse. Et le manichéisme ne paraît pas de mise, car Juan, professionnel, compatissant, dessinateur, séducteur, pisseur de sang « attendu par les morts », l’avertit la vraie-fausse voyante sur son bac à la Charon, s’avère par conséquent, preuve à l’appui en noir et blanc, surnom macabre à la Clouzot inclus, un ex-exécuteur zélé du cauchemar matérialisé par le caudillisme. Son co-équipier Pedro, proche papa, acquiert les clichés via un journaliste provincial et cynique, auquel il finit par donner, en échange d’informations de saison, ceux des cadavres d’autopsie liminaires, tant pis pour la mère (molestée), le père (endetté), la déontologie dédoublée, malmenée, nos amitiés aux mânes de Romy Schneider, jadis placée dans une situation insupportable similaire.



Auparavant, il faillit étrangler une gérante de pavillon de chasse à la James Ellroy, enfer féministe aux murs trop immaculés, à l’obscurité sue de tous, surtout de ceux qui nient, ne savaient pas, ne voulaient pas savoir. Le mal contamine tout le monde, y compris ses adversaires, gâche hélas leur victoire douce-amère. Avec un tel argument et une telle moralité, avec son générique d’ouverture entre l’univers à la verticale de Yann Arthus-Bertrand et le labyrinthe métaphorique de Kubrick à l’Overlook, Alberto Rodríguez pouvait viser vers le poème funèbre, le requiem métaphysique, la plainte un peu complaisante – quid des endurantes, des résistantes, des résilientes, des femmes fortes, lucides, en vie, qui ne se laissent pas faire, à Madrid ou ailleurs ? – à propos des atrocités masculines, de la culpabilité unisexe. Jamais il ne situe à ce niveau-là et le Carlos Saura du davantage éprouvant, pareillement campagnard, Anna et les Loups, item sorti en 1973, c’est-à-dire deux ans avant le décès du facho falot, peut dormir tranquille, pour ainsi dire. Demeure une distribution irréprochable, dominée par l’intense Javier Gutiérrez Álvarez, une direction de la photographie impeccable, due à Alex Catalán et un sérieux soigné généralisé. Assurément sur-récompensé, cependant point déplaisant, La isla mínima associe donc psychopathologie sexuelle et dimension mémorielle, le franquisme, on le sait, devenu depuis déjà longtemps, pas seulement à travers l’imagerie fantastique ou à vocation heuristique, un lieu commun, sinon un fonds de commerce paresseux, rassis, de la cinématographie ibérique. Rajoutons, pour information, puisque l’on en visionna récemment la bande-annonce sur un site de streaming, que le sieur Rodríguez sembla ensuite verser dans le thriller historique, économique, à filigrane terroriste, indépendantiste, avec L’Homme aux mille visages.



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