Le Silencieux : Souvenirs sur film(s) de Lino Ventura
Car les acteurs de valeur, les actrices complices, ne meurent pas,
s’éclipsent.
En dépit du succès d’Isabelle Adjani,
puis du retentissement de Indigènes (Rachid Bouchareb, 2006),
le cinéma français n’aime pas les Arabes, pensait Maurice Pialat, cité par son
biographe Pascal Mérigeau. Il sut cependant, durant les années 60 et 70, accueillir et chérir une Autrichienne et un Italien,
Romy Schneider & Lino Ventura. Transfrontière, leur intense talent
transcenda l’écran et leur carrière, leur vie, se déroulèrent ici, dans ce pays
en partie construit pas l’immigration, culturellement, sinon concrètement, n’en
déplaise aux membres d’un piètre parti politique à la xénophobie décomplexée,
meilleur ennemi de la gauche hexagonale, aux VRP assermentés de la
victimisation, gestionnaires bien-pensants de discriminations à nouveau de
saison, cette fois-ci sur le terrain féministe. Si le parcours de Rosemarie représente
à lui seul une histoire allemande, une Histoire de l’Allemagne, entre
romantisme et nazisme, cf. les fréquentations à la con de sa mère, Magda
Schneider, naguère magnifiée par le Max Ophuls de Liebelei (1933, date
fatidique), celui d’Angiolino, pareillement tributaire d’un cadre chronologique
précis, ave Mussolini, pourtant moins
personnel – pas de repentance par films interposés à propos des crimes
parentaux, pas de destruction consciente et vaillante d’une imagerie de conte
de fées très sucrés, en signe d’amnésie jolie, de révisionnisme géographique,
l’Autriche de Sissi substituée à celle d’Adolf
–, certes, fait le pont entre deux nations, possède une dimension
politique et sociale. Romy redéfinit la femme filmée de la fin des sixties, du début des seventies, d’abord naïade mature, sculpturale, de La
Piscine (Jacques Deray, 1969), à faire fléchir toutes les
vraies-fausses MILF du X contemporain, ensuite épave de blue movie, crève-cœur de malheur selon L’important c’est d’aimer
(d'Andrzej Żuławski, 1975) ; Lino matérialise une masculinité (déjà) en
crise, acheminée de l’humour familial des Tontons flingueurs (Georges Lautner,
1963), confrontation de générations, vers la mélancolie paranoïaque de Un
papillon sur l’épaule (Deray,
1978), où il finit descendu à distance dans la rue, effet de snuff movie garanti, indifférence
sidérante des passants incluse.
L’exil volontaire, le père
démissionnaire, le racisme parisien/enfantin, le travail tôt, voire trop, la lutte accolée au catch, sa
rencontre avec Odette Lecomte, sa désertion transalpine, sa blessure
accidentelle, sa « découverte » par Jacques Becker, l’amitié avec
Jean Gabin, le succès du Gorille vous salue bien (Bernard
Borderie, 1958), les collaborations avec José Giovanni, Claude Sautet,
Jean-Pierre Melville, Robert Enrico, Claude Lelouch, Claude Pinoteau ou Claude
Miller (le funèbre Garde à vue, 1981), quelques refus (Le Vieux Fusil, Enrico,
1975, avec Romy, ou Le Convoi de la peur, William Friedkin, 1977), Perce-Neige, la
pudeur, les spaghetti : je ne veux pas reprendre à présent le CV de
Ventura, bien connu, bien documenté, utilisé à des fins psychologisantes, sinon
psychanalytiques, cf. un récent documentaire. Tout cela, bien sûr, informe et
se reflète d’une façon ou d’une autre dans la filmographie, mais, toujours,
l’œuvre s’évade de la vie, s’affranchit de son récit, excède le contexte, nonobstant,
parfois, son importance particulière, suivant l’exemple de Romy Schneider. Je
voudrais évoquer Ventura à travers sa persona,
assembler le puzzle existentiel d’une
poignée de rôles fictionnels. La vérité d’un artiste réside dans son art, tant
pis pour le truisme, et la vérité d’un homme, d’une femme, n’existe pas, ne se
fige pas, elle se rejoue chaque jour, identité sans cesse en mouvement, de
surcroît au cinéma, curieuse activité funéraire et bienfaisante basée sur la
mimesis, perspective positive, ou le mensonge, perspective négative. Ventura
incarna des policiers, des malfrats, des résistants, des soldats, des amoureux,
des proxénètes, des espions, des aventuriers, des mafieux, des anti-mafia,
des amis, des tueurs (à emmerdeur, pas à emmerder), des pères (gifleur, pas à
gifler), des bourgeois issus du bagne ou bien des généraux criblés de balles.
Il sut servir de sa présence pérenne,
des nuances de son talent, de sa colère taiseuse associée à une tendresse
jamais doucereuse, de nombreux films que je vis, j’énumère, je recommande ainsi
Touchez
pas au grisbi (Becker, 1954), Maigret tend un piège (Jean
Delannoy, 1958, bravo à Annie Girardot), Ascenseur pour l’échafaud (Louis
Malle, idem, ah, Jeanne), Montparnasse
19 (Becker, pareil), Marie-Octobre (Julien Duvivier, 1959,
adorable et dure DD, Danielle Darrieux, malheureux), Classe tous risques
(Sautet, 1960), Un taxi pour Tobrouk (Denys de La Patellière, 1961) + Le
Bateau d'Émile (La Patellière, 61, AG again), Le Diable et les dix commandements (Duvivier, 1962), Cent
mille dollars au soleil (Henri Verneuil, 1964), Les Barbouzes (Lautner,
1964, un salut à Mireille Darc), Les Grandes Gueules (Enrico, 1965), La
Métamorphose des cloportes (Pierre Granier-Deferre, 1965), Ne
nous
fâchons pas (Lautner, 1966), Le Deuxième Souffle (Melville, 66
aussi), Les Aventuriers (Enrico, 1967), Le Rapace (Giovanni,
1968), Le Clan des Siciliens (Verneuil, 1969), L’Armée des ombres
(Melville, 1969), Dernier domicile connu (Giovanni, 1970, mes amitiés à Marlène
Jobert), La Bonne Année (Claude Lelouch, 1973, un clin d’œil à Françoise Fabian), L’Emmerdeur (Édouard Molinaro, encore 73), Cadavres exquis
(Francesco Rosi, 1976), Les Misérables (Robert
Hossein, 1982), Cent jours à Palerme (Giuseppe Ferrara, 1983), Le
Ruffian (Giovanni, id., cara Claudia) et même l’inénarrable La
Rumba (Roger Hanin, 1987). Que nous dit tout ceci, en 2018 ? Qu’en
retenir maintenant, délesté des impuissances de la nostalgie, ce sentiment
d’esclaves propice aux jérémiades ? Que l’on devient une « légende »
avec de la chance, de la persévérance. Qu’une popularité méritée facilite in fine l’intégration, surtout à une
époque méconnaissant ce vocable-concept discutable. Qu’un homme souvent
généreux commit une rare injustice, envers le pauvre Jacques Villeret, vite
écarté du casting de La
Chèvre (Francis Veber, 1981).
Enseignements afférents, la virilité
implique et nécessite une forme de fragilité, les femmes, parce que réglées,
parturientes, savent endurer, mieux et plus longtemps que les hommes, vont de
l’avant, les laissant loin derrière, avec leurs chimères, leurs misères, leurs
interrogations de damnation. Sous ses masques d’après modèle, à travers l’unité
de son corps traversant des déguisements d’occasion, le Parmesan si français,
adopté, décalé, exemplaire, vénère, à la voix en velours, au sourire
renversant, continue à nous parler, à nous faire réfléchir, à savoir nous
émouvoir. Silencieux, Lino Ventura ? Éloquent via ses silences, son absence, star
taciturne de notre histoire tumultueuse, fantôme désormais immortalisé en
ligne, que nous sauvegardons, qui nous survivra, lorsque l’on se taira à notre
tour, anonyme, cinéphile, pas amnésique, pas rempli de regrets, juste muet.
Très émouvant portrait de Lino Ventura, une fraternité de coeur entre l'acteur et le spectateur transparaît au travers de l'écran et s'ébauche à la lecture de vos belles lignes sensibles et justes, miracle d'une ...fraternité cinéphile inoubliable,
RépondreSupprimerà l'instar de...Francesco Rosi racconta Luchino Visconti
https://www.youtube.com/watch?v=33jukQQj-0M
Merci de votre fidélité laudative...
SupprimerD'un Mattei l'autre :
https://www.youtube.com/watch?v=5jz6hMOySCg
La voix (et la voie) de Ventura :
https://www.youtube.com/watch?v=L3wtz1GUZVs&t=180s
L'interview de Lino Ventura est de grande qualité, merci pour la découverte !
SupprimerDe Francesco Rosi et de ses films enquêtes précis et engagés, je me souviens bien, aussi de sa formidable prestation au centre Pompidou de Paris lors d'un cycle d'entretiens cinématographiques consacré à Naples, année 1994 il me semble, fouille de chaque spectateur, sacs et effets laissés au vestiaire, Francesco Rosi encadré de deux gardes du corps a parlé comme "en enfant du néoréalisme " également avec flamme des problèmes récurrents auxquels Naples et sa jeunesse pauvre devait et (malheureusement encore) doit faire face, avec passion, la salle était tendue tant le sujet était grave...le système féodal de la maffia appelant à un grand silence...
Relativement à Enrico Mattei, la parabole du petit chat semble quelque peu prémonitoire, un petit chat qui s'approche de la gamelle des molosses risque de se faire casser l'échine et les Sept Soeurs lui ont jeté un sort, peut-être que certains ont voulu lui faire payer son adhésion au Parti National fasciste même si il a par la suite aidé à l'organisation de la résistance, Silver Star américaine en ferait foi,
non sans risque car ainsi on croit avoir gagné la guerre et...
Enrico Mattei : des partis politiques : « Je les utilise comme j’utiliserais un taxi : je m’assois, je paie pour le trajet, je sors. »
c'est comme à la bourse pour sortir gagnant, vivant, le tout est de savoir sortir à temps, Pasolini qui semblait espérer écrire la fin de l'histoire a payé également le prix fort, l'internationale du pognon étant fort soudée des deux rives de l'océan...
L'estimable Rosi commit aussi un plutôt sympathique mais assez anecdotique Carmen :
Supprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=C-i4IBuXqww
En matière de biopic un brin fantasmatique, son Lucky Luciano, itou porté par Volonté, mérite un coup de chapeau.
Deux clins d’œil "oléagineux" :
https://www.youtube.com/watch?v=USX0fZbO-ps
https://www.youtube.com/watch?v=Zc4pCGcb2Yw
LUCIO BATTISTI CONFUSIONE (1972)
SupprimerTu lo chiami solo
un vecchio sporco imbroglio
ma è uno sbaglio, è petrolio
troppo furbo, per non essere sincero
ma è davvero, oro nero.
https://www.youtube.com/watch?v=H2OKklH0d00
https://www.youtube.com/watch?v=q9rUZ-qH7Vg
Supprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=o1WmH3W7XHU