Trois mille ans à t’attendre : Miller’s Crossing

 

Mad Max chez Delacroix ? Pas un quart on y croit…

Trente-cinq années après Les Sorcières d’Eastwick (1987), Miller retourne au fantastique, toutefois l’angélique évacue le diabolique, la romance se substitue à la satire, Byatt remplace Updike. Co-écrit en compagnie de sa scénariste de fifille, ce vrai-faux film à sketches déjà chapitré, visionnage en DVD ainsi facilité, découvert hier au sein d’une salle spectrale, se met in extremis en abyme, car cahier dessiné, rédigé, refermé. Le titre d’origine souligne la nostalgie du désir, sa millénaire mélancolie, celles en somme d’un démon entre deux mondes, sinon deux flacons, qui aspire à une apaisée conclusion. Hélas pour lui, dirait Godard, il rencontre une « narratologue » à la gomme, peu pressée de fissa formuler les fameux trois vœux, parce qu’en professionnelle du textuel, de l’intertextuel, elle sait parfaitement qu’il faut se méfier de les voir exaucés, que derrière l’assouvissement se dissimulent d’abord l’avertissement, ensuite l’asservissement. Entre le vieux djinn et la vieille fille, le courant passe pourtant, « électromagnétisme » de romantisme, alchimie des esprits. Avant d’accomplir avec elle, à sa demande davantage amusante qu’émouvante, « l’acte d’amour » en prélude aux beaux jours de toujours, révélation de « l’émanation » en suspension, notre Noir conte à sa rousse d’Istanbul des histoires de maboul, à dormir débout, décider de n’aller jusqu’au bout, du jeu, du vœu, rôles renversés, dialogues et monologues en peignoirs blancs immaculés puis naissante complicité débités. Alithea écoute et nous itou le CV accéléré de la célèbre reine de Saba, d’une envoûtante esclave et suicidée mamma, d’une scientifique faustienne et hystérique, gamine marchandée, mariage arrangé, petite épouse jalousée par plus âgées, majeure privée de peur, insupportée d’être prise en levrette pas chouette, par un vieillard plus obsédé que ceux de Suzanne, quoique.

Face à ces facettes funestes d’une condition féminine dotée de déprime, la Britannique à fric presque malheureuse peut s’estimer heureuse, certes sans descendance, aussi sans souffrance. Mais les sentiments, tu comprends, ne pratiquent l’impératif, te demander de m’aimer revient à te réduire en poussière, « être d’étoile » fort et friable. Il faut donc défaire le lien du destin, vitupérer contre des voisines racistes, guère éprises de métissage « ethnique », user d’un salé sucré armistice, un masque écarlate porter, puisque londonienne et mondiale pandémie, frémir à la frontière de l’air et de la terre, niche d’invisible clandestin passée aux rayons X, chiche. Finalement, au terme de trois ans, les amants hors du temps s’appartiennent et se promènent, enlacés, ensoleillés, parmi la pelouse, nothing to lose, comme réveillés d’un rêve moins mauvais que celui de l’ex-soldat trop sympa, à gros trauma, de Brian De Palma (Outrages, 1989). En définitive, Trois mille ans à t’attendre (2022) se voudrait une féministe fable, voire un fantasme interracial, fi du progressisme explicite classé X, une défense et illustration des puissances « respirantes et signifiantes » de la fiction, à l’unisson de la préface apologétique du recueil cercueil Nuit noire, étoiles mortes du lucide Stephen King. En réalité, en dépit du tandem amène, de cadres composés, d’un rythme maîtrisé, il se limite à un exercice de style orientaliste, une série stérile de tableaux triviaux et rococos, aux odalisques adoubées des anti-grossophobie, dont la patine ripolinée, cependant due au DP John Seale, collaborateur régulier de Weir & Minghella, dirlo photo sur Le Survivant d’un monde parallèle (Hemmings, 1981), Hitcher (Harmon, 1986), Rain Man (Levinson, 1988) ou En pleine tempête (Petersen, 2000), le sentimentalisme assumé, s’apparentent au pareillement optimiste et sinistre, selon la perspective, l’expectative, Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain (Jeunet, 2001).

Ceci ne suffit, il s’avère en sus contre-productif, ah, ma bonne dame, de jadis ces Arabes, Ottomans, tu m’en diras tant, tous des sauvages, à comploter, se tromper, se décapiter, sur l’infanticide au carré portés. Plombé de sa superficialité (in)digne d’un bouquin Harlequin, la pseudo-épopée en Scope et en toc, en sourdine préoccupée de notre époque médiocre, storytelling gouvernemental et viral, film-réalité de Bill Burroughs hérité, se vautre en outre via sa dimension méta, pénètre des portes ouvertes, simplettes, oublie que le récit, de Shéhérazade a fortiori, ne se soucie pas tant de divertissement, vérité enjolivée, romanesque moralisé, supposés purger les souverains bien sûr masculins de leurs sanglants excès, réconforter les esseulées lettrées, les femmes de retour en fin de journée au confortable et glacé foyer, que de terreur et de pitié, d’horrible beauté, de valeurs à inverser, poétiques et politiques, de sorcellerie sonore, d’absurde désordre, de mort encore. Jamais en danger d’être égorgé, juste critiqué, à demi malmené, George, point morose, voit la vie en rose, en vaine voix off, carbure au bazar de bazar, génie en CGI, spectacle patraque, à l’universitaire douce-amère, la baudruche chétive et chère, gonflante et (dé)gonflée...             

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