Buster
Deux métrages, deux images : The Haunted Hosue (1921) + Cops (1922)
L’argent ne possède peut-être pas
d’odeur, il peut cependant donner mal au cœur, il peut pourtant coller aux
pattes, rendre patraque, gare à la matraque, démonstration avec ce diptyque
drolatique. La figure hiératique et tragique de Keaton s’y agite de façon assez
frénétique, poursuivie par tous ou presque, quelle allégresse, a fortiori
par d’affirmés faussaires puis des policiers à satiété. Il faut dire que
Buster, renommé Malec en Hexagone, fi de salamalecs à la gomme, fait des
siennes sans en faire des tonnes, caissier à licencier, amoureux malheureux. En
écho de tombeau, les courts où ça court s’achèvent du côté de saint Pierre ou
au cimetière. En résumé, malgré des ascensions d’occasion(s), gloire
provisoire, on finit toujours par dévaler, au propre et au figuré, l’escalier
de la destinée, par être in fine pincé à l’insu de son plein gré. Si
The
Haunted House recycle un motif déjà familier du ciné de ces années, cf.
Haunted
Spooks (Goulding & Roach, 1920), que porte un vrai-faux rival
appelé Harold Lloyd, la satire anti-police de Cops ferait passer The
Kid (Chaplin, 1921) pour un plaidoyer pro-Darmanin, qui ne le vaut bien. Co-écrit et co-réalisé par l’incontournable
Cline, connu aussi via ses
collaborations avec W.C. Fields, le premier opus
débute à Wall Street, au fric fait la nique, réduit et donc dévalué à du
papier, en sus de billet contrefait, quasi
impossible de s’en dépéguer. Flanqué d’une troupe d’entourloupe à fond
faustienne, l’employé provincial représente un obstacle au braquage de la
banque, pendant qu’en parallèle une représentation à démon ne tourne pas rond,
légume à la place d’enclume. Time is
money, en effet, alors l’horloge commande l’ouverture du coffre, le
subterfuge requiert un refuge, l’abri héberge la zélée zizanie. Revenu des
multiples malentendus, Keaton roucoule auprès de sa bien-aimée, progéniture de
président, à proximité d’un foyer infernal ou à fonder. Construit et conduit en
boucle bouclée selon le même tandem,
le second ressemble à une jubilatoire oraison. En dépit d’une maxime
introductive du spécialiste Houdini, « l’amour s’amuse des
serrures », pas sûr, du baiser à clé de Kate Bush, pensez en prime à la
pochette de The Dreaming, des grilles symboliques séparent dès l’orée les
épris désaccordés, frontière carcérale de classe sociale. Le visage impavide,
notre anti-héros averti aussitôt, faites des affaires, très cher, je vous épouserai
après, plus rigolo que saligaud, débarrasse un gras quidam, se fait lui-même dérober une partie de sa monnaie volée,
bonne intention à la con, arroseur arrosé, passe devant la vitrine d’un prêteur
sur gages, acquiert un attelage, s’improvise vite déménageur amateur, cheval de
trait au débotté, se glisse au sein d’un défilé uniformé, allume sa clope à une
bombe d’anarchiste, fichre. La gamine du maire, n’empêche, reste une pimbêche,
les dommages, les outrages, le saccage finissent en naufrage, dommage, une
réplique surréaliste au passage envisage déjà notre modernité démotivée, sinon
terrorisée : « Get some cops to protect our policemen », amen, tandis que la course-poursuite, à
pied, anthologique, paraît une immense partie de rugby en ville, partie en vrille, individuelle et collective,
cruelle et festive. Pourvus de ses complices de générique, de slapstick, Virginia Fox & Joe
Roberts, caméo de Natalie Talmadge, Madame Keaton, inclus, ponctués de gags
impeccables, implacables, voici en définitive des films ni faciles ni
infantiles, plutôt un concentré, un précipité, de l’art de (se) dépenser sans
compter, doté d’une précision d’horloger, une aristocratique singularité…
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