L’Innocent
Un métrage, une image : L’Assassin (1961)
Comédie noire à multiples miroirs, le
premier opus de Petri, par le maestro
Marcello et l’irrésistible Micheline porté en partie, ne se place pas, n’en
déplaise au cinéaste, sous le signe de Kafka, ni celui d’Antonioni, se termine
sur des larmes masculines, à l’instar de La strada (Fellini, 1954),
s’affirme in extremis un mélodrame maternel quasi
à la Camus, surtout si l’on si sait que Mastroianni, flanqué de son monteur de
frère, incarna selon Visconti L’Étranger (1967) a priori
raté. On sourit souvent en découvrant ce film bref, restauré, en français, tout
sauf mal doublé, appréciable essai d’accent sicilien des condés du matin, ce
qui procure en plus le plaisir de savourer la vraie voix de Mademoiselle Presle,
cougar mécène. Elio et ses célèbres
scénaristes – Pasquale Festa Campanile, Massimo Franciosa, Tonino Guerra –
portraiturent sans rature un « égoïste » assorti d’un
« cynique », un « homme fatigué » doublé d’un « brave
garçon ». Chez le catho Federico, la prise de conscience du macho Zampano causait
sa souffrance, produisait une rédemption capable de lui accorder notre pardon.
Plus sceptique et laïc, Petri préfère prendre congé de l’esseulé près d’un
pont, fin ouverte sur l’horizon, une désintéressée bonne action, une
reconnaissance de café à la con. Avant ce dessillement de suspect secoué,
malmené, émancipé, salut à Garde à vue (Miller, 1981), l’antiquaire
velléitaire se remémore avec remords son médiocre CV, c’est-à-dire, marchand de
passé, même mensonger, maquillé, cf. les faux tableaux, camelote pour Amerloques,
l’acheteuse sous le charme fait preuve de lucidité, de magnanimité, revient
vers le sien, muni de mecs instrumentalisés, par exemple l’ex-mari et ex-ami, de
femmes face auxquelles sa franchise flanche, « bonne » dévouée, en
train de l’innocenter, au doigt blessé, de manière salace, assez dégueulasse,
auscultée par un obsédé, mère amère venue visiter le néo-Romain, le fils malsain,
pas même décidé à l’accueillir à domicile, de quoi couper l’appétit, ouste, la
langouste, dehors, Salvador, voilà Mina, vivo Donaggio, carburer à la
mélancolie, sinon à la nostalgie, au creux du car, départ dare-dare. Cette
relation conflictuelle, tendre et cruelle, constitue le cœur et l’essentiel du calvaire
à croix et paranoïa policières, où une séquence subjective, de style reportage télévisé,
énumère les méfaits du falot Alfredo, montage de témoignages comme expression
extériorisée, comique, collective, d’une individuelle et dissimulée
culpabilité, non plus celle, consensuelle, horrifique, du fait divers, du
meurtre commis par un « sentimental non marié » sur un coup de sang,
un moment d’économique égarement, de grand garnement à sa maman, gare à
l’offert collier, CQFD, plutôt celle, existentielle, ontologique, d’une faute de
famille et d’une facticité prophétique du féminicide réflexif du flic machiavélique
de Enquête
sur un citoyen au-dessus de tout soupçon (1970). Passé par le « Centre
expérimental de cinématographie », section « art dramatique »,
mauvais comédien, traître à traites détruites entre ses mains, à « mariage
d’intérêt » mesquin, la « dinde » dénudée, à musée marin, le
vaut bien, le gigolo rigolo se joua autrefois du grand-père à la pêche,
antifasciste à crachat. Petri ne prend son parti, en dépeint l’auto-apitoiement
au moyen d’un item élégant, à la
fluidité des temps et des plans sans cesse séduisante, je pense en particulier au
passage de la chambre à coucher, aux temporalités opposées par des panoramiques
de lieu unique reliées. « De nos jours, les sentiments, ça n’existe plus »
philosophe à propos le manieur de couteau, tandis qu’un suicidaire d’itinéraire ouvre un œil, ferme le
cercueil. L’Assassin situe ainsi l’acte de décès de l’ascension sociale,
payée au prix de l’hypocrisie, de sueurs froides, presque du tribunal, parmi
une capitale italienne humide et dépressive, désertée, gelée, tombeau des
idéaux, des tracts de Rastignac, du
paradisiaque Shangri-la de Capra (Horizons perdus, 1937), désormais
pancarte patraque d’invisible hôtel à « réouverture prochaine »,
symbolique signe funeste…
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