Détour mortel

 

Un métrage, une image : Sur un arbre perché (1971)

« Galéjade gauchiste », comme l’affirme Fernand Sardou déguisé en gendarme presque de Saint-Tropez, tandis que Panisse sirote son anis à Cassis ? Davantage un ouvrage à l’insuccès relatif prévisible, compréhensible, ordonner de ne bouger à un acteur classé comique, a fortiori de Funès, revient à le priver d’une partie de ses possibilités. Le corps corseté, sommé de s’immobiliser, la fuite en fringues fait long feu, plus tard l’arbre prend feu, machiavélisme de l’ex-mari militaire, à cigare, silencieux et patibulaire, se débarrasse aussi de ses besoins, à peine si l’eau pour pare-brise passe pour de la masculine et partagée urine. Commencé à la TV, petit précis d’hypocrisie aussitôt démenti, puis générique pop un peu psychédélique, en écho à L’Homme orchestre (Korber, 1970), l’opus pareillement expérimental de l’auteur des Feux de la Chandeleur (1972) dépeint l’emprise du second écran, sa capacité instantanée à fissa transformer le fait divers en spectacle spectaculaire, l’innocente réalité en culpabilité romancée, chère adultère, relooker la célèbre route des crêtes en barnum à la gomme. Doté d’une souterraine dimension œdipienne, du père + fils dernier tandem, à réplique explicite, « Salaud ! » d’auto-stoppeur adressé à l’irascible conducteur, parricide vampirique en prime, le calvaire laïc et médiatique du promoteur européen et politique moumouté, spécialisé dans l’autoroutier, à l’arriviste pedigree en archives révélatrices retracé, cristallise la stase sociétale, sous la forme d’une fable affable à l’intitulé bien sûr à La Fontaine emprunté. Au creux de l’habitacle patraque, l’homme d’affaires et le jeune homme libertaire, « Il est interdit d’interdire », vive 68, évitent le pire, s’interrogent sur leur mort, croient au cauchemar, mais le mauvais rêve les réveille, énumère les jours sans secours, à suer au soleil, halluciner du désert, survivre en estival enfer. La fine « Géraldine » Chaplin, de casino interdite, ne porte la/une culotte, car caleçon coloré, soutien-gorge immaculé, acceptable promiscuité. Dialoguée par le fidèle Halain, musiquée par le caméléon Goraguer, ponctué de complices appelés Alice Sapritch & Paul Préboist, ça va de soi, cascadée par le non crédité Rémy Julienne, la co-production franco-italienne se souvient en sus du Nosferatu (1922) de Murnau, caméo de Corbeau, paraît une réponse désenchantée à la dolce vita camée, diamantée, du Corniaud (Oury, 1965). Comme chez Sautet (Mado, 1976), la (sortie de) route se réduit à une déroute, le détournement, aux allures d’enlèvement, annonce l’embourbement. De façon satirique et symbolique, un hédoniste entouré d’un nautique gynécée part presto en fumée, un curé alcoolisé, charité charriée, exige d’être vite remonté, le trio de concurrents, Bienveillantes transgenres, Euménides au costume de croque-mort, pratiquent in extremis l’exil, l’autarcie insulaire, tout reste à refaire, en refrain à la fin de Fantômas (Hunebelle, 1964). Item schizophrène d’hélico, de studio, césure sonore, du décor, aux transparences d’antan, Sur un arbre perché ne se soucie de sociologie, pourtant il portraiture un pays à l’arrêt, grève des camionneurs, des douaniers, publicité pour Perrier, invalide l’individualisme, valide « l’imprévisible ». Le plongeon conclusion de Thelma et Louise (Scott, 1991) payait au prix élevé la sexuée liberté ; la chute camusienne de Roubier prophétise en sourdine le doute dépressif de sa décennie…      

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