L’Obsédé
Un métrage, une image : La Petite Voiture (1960)
Chorale chronique tragi-comique, La
Petite Voiture, presque à vive allure, vitesse modeste d’ouvrage bref, paraît
répondre à Umberto D. (De Sica, 1952), autre conte cruel de la vieillesse,
de la détresse. Mais voici, Rafael Azcona remplace Cesare Zavattini,
coscénariste régulier du cinéaste délocalisé, ensuite d’un certain Carlos Saura,
à partir de Peppermint frappé (1967), où retrouver, à peine
plus âgé, l’impeccable José Luis López Vázquez. Donc la satire se substitue au
mélodrame, l’amical à l’animal, le famillicide au suicide. Le troisième film de
Ferreri va être primé par la presse à Venise, pourtant l’ex-colporteur de projecteurs connaîtra quelques soucis avec la
censure hispanique, prié de vite délivrer un épilogue plus conforme à la morale
internationale, a fortiori franquiste. Notre empoisonneur
en pleurs, une goutte pour mes yeux, un bocal à tête de mort pour eux, finit
ainsi, in extremis, entre deux gardes civils, route de déroute, horizon de
prison. Il leur demande quand même, escorté, s’il pourra conserver, écroué,
l’objet point obscur, encore moins secret, de son désir de fuir, de ne plus
« inutile » se sentir, vieillard valide, décidé toutefois à être
intégré tout à fait au groupe rigolo des fréquentés, motorisés
« anormaux ». De l’appartement occupé parmi les enfants, les
petits-enfants, les futurs mariés, les déjà fiancés, smala peu propice au
quant-à-soi, n’évoquons pas le voisinage à volailles, au cimetière solaire, à
l’entrée spectaculaire, aux morveux « irrespectueux », de l’officine
de l’orthopédiste pas si altruiste, au « sacerdoce » de carrosse, à
la clientèle aristocratique roulant en Rolls, (dé)munie de « modèle américain »,
flanquée d’un fils différent, grand enfant à cacher de la réception à
proximité, SVP, à la course quasi
surréaliste de handicapés à tricycles, le spectateur aussitôt séduit, amusé,
suit les (més)aventures d’un vieux de la vieille, d’un assassin guère mesquin,
d’un veuf fissa capable de foutre au clou des « bricoles » bijoux,
promis à la promise, afin de financer les huit mille pesetas de sa maudite
machine, acompte + traites à moitié récupérées par le fils outragé, (dés) « avoué »,
accompagné d’un « étudiant » obligeant, d’un gendre à « complet »
manquant. Chez l’invisible « marquise », on (grande) bouffe de la « langouste » ;
à domicile, à côté d’une croix, cela va de soi, on menace d’un procès, sinon de
« l’interner », le père infantilisé, infortuné, de fortune privé. Don
Anselmo, estimable saligaud, voudrait de surcroît ressouder le juvénile couple
sympa, il y parviendra, ou pas. Après avoir vécu le « plus beau jour de sa
vie » en plein air, lumière, l’attend l’ombre de sa cellule, version pénitentiaire
des mouroirs de maintenant ou naguère. Portraitiste empathique d’une
masculinité tourmentée, d’une plutôt périphérique, affable féminité, de mecs en
marge, en naufrage, le chaleureux, rugueux, colérique, mélancolique Marco
Ferreri parvient à dépeindre sans pathos celui de l’âge, dixit de Gaulle, pris de facto entre l’étau d’une société à la
médiocrité embourgeoisée, d’une utopie de solidarité, ludicité, condamnée à se
délier, à se dissoudre en douloureuses individualités. Rendu à sa solitude, à
sa finitude, l’excellent José Isbert avise sidéré, visage zoomé, l’ambulance au
secours de ses méfaits. En plans-séquences à l’élégance composée, caméra au
creux du couloir portée, fondus noircis, Ferreri filme un acte de rébellion,
d’émancipation, d’incarcération, un drôle, triste, drôle de caprice.
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