Les Feux de la Chandeleur : L’Amour fou

 

Alliance à médisance, couscous à la rescousse…

À ma mère

Si les femmes mettent les hommes au monde, donc les condamnent à mourir, sinon se reproduire, les fils déjà pères, meurtriers involontaires, enterrent leurs mères au soleil d’hiver. Voici en définitive la morale lucide et dépressive d’un opus parfois poignant, clairement à contre-courant, muni d’un conservatisme social et sexué à démanger quelques sensibilités, gauchiste ou féministe en particulier. Le hasard ne saurait exister au ciné, alors en écho aux Neiges du Kilimandjaro (Guédiguian, 2011), encore un conte de couple en déroute, politisé, où l’on parle de la Pavane de Ravel, à défaut cette fois de la faire écouter. Ça commence fort, le remarquable Rochefort se fait foutre dehors, scène de ménage matinale, douce-amère, devant les enfants, le garçon comprend, la fille s’empiffre. Débuté en février 1962, terminé dix ans après, l’item intime, quasi en autarcie, semble se soucier d’usine, de grévistes, d’avortement, curé rouge, Bouise dans la mouise, chorale d’Internationale, exilé à Lons-le-Saulnier, de communisme, provincialisme, « libéralisme », last but not least, de guerre d’Algérie, via la perspective du genre, de la gastronomie. Tout ceci, signes du ciné, du temps d’antan, constitue la surface d’un métrage en réalité consacré à la croyance, « l’espérance », une forme de folie in fine (é)preuve de vérité, de prophétie. Décédé à l’orée de l’année, ni Chabrol ni Truffaut, qu’il connaissait, fréquentait, Korber, réalisateur mineur, auteur des sympathiques et anecdotiques Un idiot à Paris (1966), avec Mademoiselle Dany Carrel, L’Homme orchestre (1970) + Sur un arbre perché (1971), de Funès se diversifie, Ta gueule, je t'aime ! (1980), Brigitte Lahaie y apparaît, ne verse vers la satire de la « bourgeoisie », en dépit d’une seconde épouse portée sur le mozartien piano, à la « soirée très comme il faut », qu’incarne l’aristocratique Ilaria Occhini, coproduction merci, engage Claude Jade, spécialiste d’asile entichée d’instituteur aux conquêtes en couleurs, qui ne confond « salariée, libérée », composition de Fresson, à fond épris d’Annie.  

Les Feux de la Chandeleur (1972) évoque davantage l’intense Une femme sous influence (Cassavetes, 1974). Ici aussi, relation ne signifie identification (d’une femme antonienne), Marie-Louise ne sert de modèle à Mabel, le jeu de Girardot n’annonce celui de Rowlands. Toutefois la différence s’affiche, se posent les questions de l’aliénation, « l’émancipation », l’exclusion. Passionaria express, patraque et cardiaque, en sourdine suicidaire, la divorcée (titre italien) désœuvrée du notaire ne cesse de l’aimer, l’érotomanie à domicile l’amène à dériver en direction de l’insanité, tel ce « galurin » écarlate à dessein, de « printemps » absent, matricide au ralenti. Le bambin observait, soutenait sa maman ; l’adulte, sa dame enceinte, narrateur ponctuel, lui ment, électrochoc à la gomme, compréhensible, cependant digne de gifles, ne reste à Le Coq qu’à courir, pleurer, être relevé, réconforté, tendre baiser de Gabriella Boccardo sa moitié. Coadapté d’un bouquin oublié en compagnie de Pierre Uytterhoeven, partenaire régulier de Lelouch, musiqué de manière lyrique par Michel Legrand, délicatesse du thème, des arrangements, Les Feux de la Chandeleur, au sous-texte conservateur, une femme doit faire de son mari le bonheur, point de la politique, symptôme « d’ennui », de famille désunie, ses sentiments « à ses idées ne sacrifier », en plus de procréer, rejoint ainsi le discours à rebours de l’antipsychiatrie, la foi folle de Dostoïevski & Żuławski (L'Amour braque, 1985), en une bonté réduite à l’idiotie, une conviction classée psychopathologie. Tandis que l’actrice principale, admirable, d’une beauté à tomber (amoureux), même coiffée d’un casque occasionnel à la Mathieu Mireille, interprète irréprochable d’une tardive version vocale, à nouveau (me) bouleverse, magnifie le mélodrame sentimental, ce dernier s’appréhende en sus en acte de décès du séisme modéré, mythifié, de Mai 68, les (dés)illusions de l’héroïne à l’unisson, en rime. La France de la décennie suivante va vite s’avérer en crise, comme ils disent, désenchantée, dotée d’une douloureuse solidarité, de crépusculaires excès, d’une radicalisation de la contestation, d’une instrumentalisation de la discutable libération, sexuelle ou non, en témoigne par exemple le cinéma daté de Melville & Sautet, aux groupes de grisailles, reflets de funérailles.

Face à la glace (du calcul égoïste de Marx), la pornographie hexagonale, ni affreuse ni fabuleuse, désormais fantasmée, en âge doré transformée, nostalgie logique d’une époque, la nôtre, policée, soumise à la police capitaliste des corps, des pensées, put représenter, en sus de se faire du fric (pas si) facile, une façon de se réchauffer, le défié Korber en confectionnera, le scandale essuiera, essaiera (L’Essayeuse, 1976), un cas d’école deviendra.

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