Le Roi des rois : Cecil B. Demented
Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Cecil
B. DeMille
Rabâcher la Bible revient à jouer du jazz : thème et variations,
structure et improvisations, standard
et expérimentations. Il s’agit aussi de le relever le défi de la figuration, de
donner à voir l’invisible, de faire du cinéma avec la foi. La littérature
évangélique prophétise Rashōmon : une même histoire,
quatre points de vue différents, à la fois complémentaires et divergents. Pour
toutes ces raisons, outre sa valeur cultuelle et culturelle, ce récit ne cesse
de hanter le ciné occidental, milieu pollué par des épiciers à faire passer les
fameux « marchands du Temple » pour d’innocentes brebis égarées, inconscientes
de ce qu’elles font, de la façon dont elles défont un art mécanique et magique,
organique et métaphysique, trivial et létal. Laissons les bonnes âmes laïques
ou non leur pardonner leur péché pas véniel, laissons les petits comptables
d’hier et d’aujourd’hui se gargariser avec les chiffres du box-office et ceux de cette superproduction silencieuse plutôt que
sentencieuse, éloquente au lieu d’être barbante. Accompagné de la scénariste Jeanie
MacPherson, sa partenaire professionnelle apparemment rapprochée en privé, tant
pis pour les prières psalmodiées sur le set,
DeMille délivre une version qui séduit par sa modestie et ses trouvailles. Ici,
les dialogues prennent la forme de citations canoniques et laconiques. Ici, les
épisodes ne s’enlisent jamais dans le glucose et le spectaculaire de
tremblement de terre ne survient qu’en acmé expédiée, réponse climatique à
une triple crucifixion traitée avec discrétion, au début perçue à travers le
regard de Judas sur le point de se pendre, surcadrage de la scène obscène mise
à distance depuis une sorte de grotte, d’anfractuosité mettant en abîme
l’écran.
Auparavant, la flagellation rituelle,
un salut au traditionnel SM du cinéaste, filez vers Forfaiture, se déroulait idem, derrière un rideau de théâtre vite
retombé, n’en déplaise au déploiement de sang chez l’estimable Mel Gibson –
comme son confrère, malgré une mère nommée Samuel, Cecil écopa d’accusations à
la con d’antisémitisme, puisque le politiquement correct sévissait déjà là-bas
à la fin des années 20, se fendit donc d’un carton de contextualisation, admettons.
Ici, le charpentier avise une croix sinistre et le Christ répare une poupée
cassée. Tandis que Marie Madeleine devient un avatar de Cléopâtre pré-Claudette Colbert en couleurs égaré dans un Quo vadis zoophile, party
girl sous peu purifiée de ses sept fléaux capitaux via des surimpressions de saison, des centurions bidons pêchent au
trésor, on s’en marre encore. Si Les Dix Commandements parlant
arborait un hiératisme au bord de l’académisme, Le Roi des rois respire
et Dieu merci demeure à taille humaine. Sa frontalité disons iconique sait
conjurer l’immobilité, renforce l’impact d’un travelling arrière découvrant le trône de Pilate surplombé par un
aigle géant, d’un travelling latéral
sur un lourd bout de bois traîné durant le chemin de croix, lié par un fondu
enchaîné à Jésus en souffrance. Avec une habileté réflexive, un prosélytisme de
cinéma, DeMille immortalise une épiphanie de gamine guérie de sa cécité,
première apparition du supposé sauveur alors auréolé, rajeunit Marc, futur
scribe christique, bonne idée d’en faire un gosse hémiplégique. Jésus
ressuscite Lazare, momie à la Boris Karloff, Jésus congédie Satan, adversaire
moins troublant que celui de La Passion du Christ, Jésus protège
une adultère de la lapidation en réunion et trace dans le sable les crimes des
coupables, notez itou l’inscription trilingue au sommet de la torture dressée
droit, en compagnie de comparses sarcastique ou croyant.
Puis Jésus crève en contre-plongée,
condamné à mort par un Caïphe au poitrail en tablette de chocolat. Au spectacle
lamentable, admirable, une matrone réjouie grignote du pop-corn. Le voile du Saint des saints à Jérusalem se déchire à la
verticale, la pierre imposante du tombeau surveillé cède sous la lumière :
Jésus, Passe-muraille point canaille, reprend littéralement des couleurs et
retrouve les deux Marie de son cœur, rassure/enrôle ses apôtres, avant de
surplomber dans son aura magnanime
une grande ville moderne. Porté par un H. B. Warner inspiré, plus tard acoquiné
à cet optimiste sans missel de Frank Capra, renvoyons vers Horizons perdus,
Monsieur
Smith au Sénat ou La vie est belle, ensuite au
générique de Boulevard du crépuscule + The Ten Commandements cité supra, élaboré avec les fidèles et
fréquentables Anne Bauchens au montage, Mitchell Leisen à la direction
artistique, J. Peverell Marley à celle de la photographie, Hugo Riesenfeld à la
musique, Le Roi des rois ne déçoit pas, ne s’apparente pas à un pièce
montée à démonter en bon ou mauvais athée, à un pensum
pour s’astiquer en sacristie suspecte. Onze ans après son politique Jeanne d’Arc, dix après son patriotique La Petite Américaine, vingt-deux
avant son érotique Samson et Dalila, d’ailleurs reprise d’une relation de
domination-soumission, notre réalisateur signe un film sincère, guère austère,
une réussite remarquablement restaurée, de pascale actualité. Que les exégètes
comparent son acte de foi au cinéma avec les essais de Guy (La Vie du Christ, 1906), Griffith (Intolérance,
1916), Duvivier (Golgotha, 1935), Koster (La Tunique, 1953), Wyler (Ben-Hur,
1959), Fleischer (Barrabas, pareil), Pasolini (L’Évangile selon saint Matthieu,
1964), Jewison (Jesus Christ Superstar, 1973, lisez-moi ou
pas), Zeffirelli (Jésus de Nazareth, 1977), Jones (Monty Python
: La Vie de Brian, 1979), Scorsese (La Dernière Tentation du Christ, 1988), Moati (Jésus, 1999) ou Ameur-Zaïmeche (Histoire
de Judas, 2015, présenté par mes soins), liste totalement subjective,
en vérité je vous le dis.
Le Roi des rois s’apprécie en soi, ne démérite pas,
vaut bien deux heures trente rapides et sans ennui au sein d’une soirée de
cinéphilie aux flambeaux pas falots. Vous ne me croyez pas, bande de mécréants ? Allumez maintenant
votre PC, cellulaire ou tablette et vous y croirez – à l’éternité dérisoire et précieuse des
films, à un destin peu serein et suffisamment émouvant, voire révolutionnaire, pour valoir un ouvrage
de son âge et désormais du nôtre, amen.
http://forum.plan-sequence.com/roi-des-rois-cecil-demille-1927-t14337.html
RépondreSupprimerhttps://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2017/02/histoire-de-judas-cantique-de-la.html
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