Electric Dreams : Short Circuit
Parler à une machine = s’adresser à soi, tester son humanité, amoureuse
ou non.
J’aimais bien Electric Dreams en 1984
et je continue à bien l’aimer en 2018. Je n’appartiens pas à ces (pauvres) gens
qui renient leur adolescence, qui « grandissent », qui vieillissent,
qui en viennent à mépriser la jeunesse et la leur perdue et alors ? Je ne donne
de leçon à personne, je n’en reçois de quiconque, quarantaine atteinte ou non.
J’aime la candeur de ce film, son absence rafraîchissante de cynisme, sa
sentimentalité assumée. Notre époque, peut-être plus qu’un autre, même si non
martiale, même si terrorisée, mérite un peu de légèreté, de sincérité, et cela
je le (re)trouve dans le métrage humble et amusant de Steve Barron, clipeur de
valeur ensuite amateur de tortues dispensables et d’un Pinocchio assez falot,
tant pis pour nous et pour lui. J’aime bien le scénario astucieux de Rusty
Lemorande, co-producteur et accessoirement auteur d’une version du Tour
d’écrou à la bande-annonce refroidissante avec pourtant la chère
Stéphane Audran bien vivante. Ce Rusty-ci, pas celui de Coppola, voilà, voilà,
relit Rostand et paie son tribut à Kubrick autant qu’à Hitch : Madeline,
Frisco, un triangle et un suicide… J’aime bien la photo d’Alex Thomson, soignée,
aérée, sorti de La Forteresse noire et bientôt dans le Labyrinthe. J’aime bien
la musique de Giorgio Moroder, avec ou sans menuet de Bach-Petzold, matez son
caméo radio express, alors en pleine
résurrection plutôt que profanation de Metropolis et les chansons de ses
compagnons, notamment les deux titres portés par la voix émouvante de George
Alan O’Dowd, membre renommé du Culture Club, my dear (Karma Chameleon passe en accéléré à
la boutique et au supermarché, preuve de la sympathique autodérision
britannique).
J’aime bien le joli couple de cinéma
formé par Virginia Madsen & Lenny Von Dohlen, la première mémorable dans Candyman,
le second remarqué dans Twin Peaks, le feuilleton + le
film. Valent-ils Bergman & Bogart matés au drive-in ? Bien sûr que non, là ne réside pas la question. Ils
démontrent une alchimie attachante, de surface pas dégueulasse et ce « conte
de fées pour computer », je traduis
à moitié la définition du générique dialectique, vaut bien les immondes
comédies sentimentales et autres feel
good movies d’aujourd’hui, ne me taxez pas de nostalgie puisque je
n’idéalise jamais le passé. J’aime bien Electric Dreams dans l’ensemble et
dans le détail. J’apprécie sa manière de (re)lier informatique et domotique,
réseau et goutte d’eau, pardon, de champagne, de larmes, cet ondinisme de
démiurge improvisé en présage de la sueur en apesanteur de Tom Cruise dans Mission
impossible. Sans jouer aux prophètes bébêtes, aux moralisateurs de
malheur, Barron & Lemorande nous donnent à voir de l’autarcique et de la
connectique, nous donnent à entendre de la musique, classique ou électronique,
afin de nous socialiser, de nous aider à sortir d’une solitude « branchée »,
à débrancher. L’architecte en retard, obsédé par sa brique antisismique,
expérimente un tsunami dans sa petite vie, tombe amoureux de sa voisine du
dessus – ah, Virginia – et tombe le masque (voire les lunettes) de sa vie proprette,
quand il conduit et court comme un dingue, contre la montre, quand il sait
trouver des mots à propos d’un violoncelle étêté, non pas pour consoler, mieux,
pour conforter l’instrumentiste dans toute la beauté de sa personnalité
transmise au simple « bout de bois » acquis à la puberté (pain béni
pour les psys).
Le PC se prénomme Edgar, on
l’apprendra sur le tard, mais point de Poe, davantage la renaissance d’un type
quittant son anachronique « adulescence ». Mole(s), c’est-à-dire, dans
la langue de Shakespeare, la taupe, faute de frappe « bestiale » à la
Brazil,
se transforme en Miles, un salut aux Innocents, devient lui-même, mes
amitiés à Nietzsche, au contact de l’écran qui le regarde à la Big Brother (à
l’instar de son boss paternaliste),
de la concertiste peut-être pas totalement opposée à un « plan à trois »,
cf. le vrai-faux rockeur qui l’alpague fissa. Electric Dreams embellit
la réalité, en fait une après-midi ensoleillée, rythmée, une étreinte dénuée de
perversité, de géopolitique (rabattez-vous sur Wargames). Il s’agit d’un
art d’aimer privé d’Ovide, pas de sensibilité, d’humour, de mélodrame mélomane.
Le hackeur par erreur fait disjoncter sa bécane et cela lui rend son âme, en
attribue une seconde à la camelote en plastique abreuvée de TV (un clin d’œil à
Explorers),
qui le taquine avec des aboiements enregistrés de chienchien en vérité bien
réel. L’amour, ici en tout cas, libère, même à Alcatraz, il inspire, il fait
aussi souffrir le pauvre Edgar « amputé » pour l’horreur rigolote d’un
docteur de radio. L’amour ne saurait cependant se bâtir sur un mensonge, même
musical, il risque de crouler comme le décor modélisé du rêve de la machine, du
ghost in the shell pas à chier. Dans Electric
Dreams, on cherche à se joindre (en vain au téléphone), on finit par se
rejoindre pour s’avouer deux ou trois vérités, on voit ses multiples cartes de
paiement découpées sous ses yeux, mon dieu, par une employée zélée téléguidée
au bout du fil selon l’ordi revanchard et surtout jaloux. Que resterait-il de
nous sans ces totems modernes, sans ces amulettes suspectes ?
Il reste une scène presque poignante
d’adieu à deux, Thème de Madeline pour celle qui jouait du Magdalena, n’en déplaise
à Straub & Huillet. Edgar se suicide, explose, cauchemar d’électricité
cosmopolite. Mais Barron qui ne fait pas joujou avec sa caméra de long métrage
payée par Richard Branson pour Virgin – un « film historique », on
vous disait –, qui filme sans tics en mode MTV de vrais personnages et un ramage au lieu
d’un ratage, contrairement au fastidieux Flashdance fracassé par mes soins, parce
qu’il le vaut bien, le ranime in extremis,
le ressuscite sur la bande FM, au soleil, sur la route, en route pour une « déconnexion »
généralisée anticipant son équivalent désormais institué. Nul ne dira que
Philip K. Dick écrivit le script de Electric Dreams, nul ne confondra Giorgio
avec Angelo (Badalamenti), et beaucoup d’entre vous se marreront à l’épilogue
documentaire ou publicitaire (style OTSI) de l’épilogue. « Me ne frego »,
comme disait le pas caro Benito : Electric Dreams, avec ses limites et
son émotion, avec ses madeleines proustiennes ou pas, avec sa modestie amie,
invite à bouger, à aimer, à éteindre l’électricité (ou à la faire sauter), à
partir en tandem, en bord de mer,
dans l’espace-temps d’un « éternel été » à la Camus. Qui sait si au
prochain tournant nous n’allons pas recroiser la Madeleine/Judy de Sueurs
froides, lui proposer de monter avec nous, de sortir enfin du champ de
l’écran et de commencer à vivre, pour de bon, sans sermons, pas sans
horizon ? Oui, décidément, j’aimais bien autrefois Electric Dreams et je
continuerai à bien l’aimer, au moins jusqu’à demain, jusqu’à l’arrêt de mon
portable fiable et infatigable – néanmoins pas aussi miroir que l’aimable et redoutable
Edgar.
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