Fire and Ice : La Reine des neiges
Tourment d’éléments, embrasement de sentiments ? Fantaisie héroïque
pas cynique.
You’re frozen
When your heart’s not open
Madonna
Some say the world will end in fire,
Some say in ice.
Robert Frost
Ce feu et cette glace très tempérés,
assez oubliés, ressemblent à un ersatz. Les scénaristes de BD Gerry Conway
& Roy Thomas commirent ensuite le script
de Conan
le Destructeur, lui-même relecture radoucie, puérile, du magistral opus de John Milius. Et la généalogie
des Fleischer relie Fire and Ice au Destroyer, puisque les ancêtres
directs du réalisateur Richard mirent au point le procédé de la rotoscopie,
joujou favori de Ralph Bakshi, cf. son Cool Word avec Kim Basinger transformée
en aérodynamique Holli Would. Filmé en noir et blanc puis disons décalqué,
dessiné, animé, le corps des performers
devient un pur matériau filmique infidèle, Cynthia Leake moins opulente et
callipyge que l’héroïne, Randy Norton moins blond et baraqué que le héros, elle
et lui d’ailleurs doublés vocalement. La modélisation du mouvement vivant, de
la pellicule vers le celluloïd, présage la motion
capture contemporaine, notamment
celle des singes planétaires ressuscités, où la silhouette d’Andy Serkis
persiste à apparaître sous les pixels
de parvenus peu inspirés, voilà ma franchise à propos de la franchise. Le clonage au bord du ratage
se poursuit via Frank Frazetta, l’univers
érotique et mythique de l’illustrateur talentueux – souvenez-vous de ses
affiches du Bal des vampires et de L’Épreuve de force, de sa couverture
en poche pour Danse macabre de Stephen King – réduit à des rondeurs presque
sans saveur et à des backgrounds un
peu trop soignés, léchés, éclairés, un brin empreints du psychédélisme sous LSD
d’un Corben. Quant à Teegra, rebaptisée en français Tygra, la tigresse cultive
la tendresse et semble bien innocente, protégée, face aux perversités eschatologiques
et sodomites de la Drunna chérie de Serpieri.
Par charité mélomane, on évitera itou
de comparer la partition sympathique et williamsesque du symphonique William Kraft au chef-d’œuvre épique et mélancolique de Basil Poledouris sublimant les mémorables
aventures de Sandahl Bergman & Arnold Schwarzenegger, Barbare cardiaque
d’actualité. Produit par le tandem
Frankie/Ralphie, distribué par la Fox conservatrice, Fire and Ice rentra dans ses
frais grâce aux recettes à l’étranger, présence sur les cimes « spécialisées »
d’Avoriaz incluse, avant de sombrer au creux des replis de l’amnésie, maladie
auto-immune du ciné, crayonné ou non. Pourtant, peu importe tout ce qui
précède, le film s’avéra suffisamment plaisant durant ses courtes et rapides
quatre-vingt minutes au cinéphile anglophone et en ligne, votre serviteur au
sang refroidi, au regard brûlé. Cependant, malgré son manichéisme scolaire
assumé, cartographié, le métrage si sage recèle une part de mystère(s) et
d’obscurité rétive à la simplicité, à l’insipidité. Néanmoins, en dépit de son
argument assez navrant, à défaut de trésors renversants, le dépaysement sut
abriter deux ou trois surprises intéressantes. Doté d’un féminisme en bikini
humide, Fire and Ice délaisse la masculinité, transparente ou démente,
au profit d’un portrait démultiplié de la féminité. La lutte des royaumes
relève en réalité de la « guerre des sexes » et l’homme à l’âme glacée,
aux cheveux blanchis, dans la bouche duquel un woman objectif devient une insulte, refuse illico le cadeau de mariage, de lignage, de sa maman mauvaise,
menacée par ses soins, qualifiant la diplomate Teegra de slut et de garbage,
bigre. Lorsqu’il attaque en télépathe le village guère gaulois, sa souffrance
physique ne fait aucun doute et la banquise surréaliste, aux pics phalliques,
peut-être en kryptonite, révisez Superman, lancée à la conquête des
pâturages pacifiés, explose en figuration d’éjaculation.
En osmose « inconsciente » avec
la méthodologie hitchcockienne, le film doit par conséquent une part de sa
réussite à son « méchant ». Teegra, cachée le long d’un tronc d’arbre
mort molto freudien – remarquez la pieuvre carnivore et rectale, aveuglée en
mode Cyclope, le premier de Homère, pas le second de Stan Lee –, voyeuse
gracieuse, affronte des ravisseurs peu évolués, aussitôt assommés par un
breuvage improvisé, vite semés au moyen d’un lac létal. Elle râlait à propos de
gloriole virile, la voici à occire l’assaillant de son prince charmant rescapé
d’un massacre à l’instar de Grace Kelly sauvant in extremis Gary Cooper dans Le train sifflera trois fois. La
narratrice liminaire, la reine vénère, une survivante sur le point d’être
violée, la préceptrice docile, exécutée, la compagne possiblement cannibale ou
lesbienne du géant bedonnant, bon enfant, sorcière cramée, squelette indigné, complètent
la galerie jolie pour épris(e)s de gender
theory, tandis qu’une sorte de Batman à cheval, de Surmoi paternel, vaincra
Nekron, déjà perdant dès son évocateur prénom. En découvrant Fire
and Ice à domicile, à bonne température, on pense parfois à Rahan,
à Edgar Rice Burroughs, à King Kong, à Klimt le temps d’un
divan lascif. Bakshi raffole des fesses de Teegra mais il démontre ses audaces
modestes et sa « délicieuse » délicatesse de cinéaste durant une
scène d’enlèvement au ralenti, une autre de séduction ludique parmi des ruines
mayas agrémentée de fruits rouges. Tout finira bien pour notre princesse en
sous-vêtements, moins stellaire que la Barbarella de Forest & Vadim, moins
candide que la Candy de Southern & Marquand. Celle qui craignait la nuit et
le froid se réchauffera entre les bras de son Aryen serein, tant pis pour son
frère terrassé d’un poignard, à l’unisson du flot de lave écarlate enfin
déclenché par son chauve papa châtelain.
Dans Fire and Ice, la violence
et le désir, la violence du désir, le désir de violence, restent en retrait,
histoire de ne pas effaroucher les enfants, petits ou grands. Ceci, bien sûr,
limite l’entreprise et la consigne au sein d’un divertissement charmant,
inoffensif, daté, pas à redouter. Au lieu de regretter jusqu’à la nausée ce que
le film pouvait développer, offrir, pour le meilleur et pour le pire, sachons
apprécier à sa juste mesure sa surface, sa sincérité, ses éclats de trouble et
de beauté. Ni abysses ni sommet, Tygra, la glace et le feu mérite
mieux que les jérémiades ou l’Alzheimer et séduit en mineur par sa douceur, ses
valeurs, sa rafraîchissante chaleur.
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