Le Petit Nicolas : Lettre ouverte à Nicolas Cage


Message de bouteille virtuelle, en rime aux signaux des Amérindiens de mélo martial.


Dear Nic,

Je ne pense pas que vous lirez cette épître guère biblique, tant pis pour la francophonie, cependant j’éprouve le désir de l’écrire et l’envie d’évoquer votre grandeur passée, alexandrin en supplément. Je viens de subir, pardon, de visionner en streaming et en VF votre dernier méfait, intitulé The Watcher, qui sortira chez moi directement en DVD en juin prochain. Hélas, ce Looking Glass assez dégueulasse ne saurait s’apparenter à celui de l’Alice de Lewis : derrière le verre, que voyez-vous, voyeur invalide, sinon un autre ratage, un outrage aux bonnes mœurs cinéphiles ? Depuis plusieurs années, vous sabotez votre carrière avec une constance de kamikaze qui provoque le respect autant que la stupeur. À cette énigme à la fois vous appartenant et cristallisant la médiocrité généralisée de la cinématographie US actuelle, voire mondiale, répond celle de mon entichement à votre égard. Pourquoi aime-t-on quelqu’un, de surcroît sur un écran ? Ne cherchons pas à museler ce joli mystère, à l’arrimer à des considérations à la con teintées de psychologie générationnelle. Règne l’irrationnel, assorti de deux ou trois raisons d’admiration. Car vous sûtes, autrefois, être talentueux, attachant, vraiment. Je trouve votre travail remarquable dans Sailor et Lula, Leaving Las Vegas, Volte-face, Snake Eyes, 8 millimètres, À tombeau ouvert, Windtalkers : Les Messagers du vent, Lord of War, The Wicker Man, Prédictions, Bad Lieutenant : Escale à La Nouvelle-Orléans, ce dernier produit par vos soins, à l’instar du sympathique et très anecdotique L’Ombre du vampire, ou le falot Joe. Je n’appartiens pas à ceux qui justifient une filmographie par une biographie, réduisent une œuvre à une existence, même si Ghost Rider semble identifier votre transparence au présent et le pacte faustien allant avec, vous le reconnaissez vous-même.

Votre patronyme-pseudonyme, nul n’ignore le lien de parenté partagé avec un certain Francis Ford Coppola, révèle aussi, ainsi, quelque chose de vous. Cette cage dorée, hollywoodienne, vous la verrouillez à double tour à chaque métrage, à chaque naufrage, parce qu’il faut bien flamber, payer ses piaules à L.A., pas vrai, accessoirement en reverser une partie au profit d’Amnesty, avant de se faire rattraper fissa par le fisc de l’Oncle Sam, bam. Je n’espère rien du cinéma américain, je veux continuer à croire un peu en vous, à la manière d’une lame de couteau capable d’être nettoyée, de retrouver son lustre terni, de « revenir », idiome d’Hexagone. Reviendrez-vous bientôt à votre niveau, amical Nicolas ? Tournez moins, sélectionnez mieux, respectez ceux, nombreux, qui vous estiment, ici ou partout, qui ne vous considèrent pas en has-been, plutôt en acteur de valeur égaré dans un ciné qui ne le mérite pas, qui déçoit et se déçoit lui-même au sein de sa lucidité un brin cynique, à la Bob Mitchum. Les années s’enfuient, ne reviennent pas, « sous l’aspect de l’éternité », parlons à la Spinoza, tout cela, ma lettre, votre parcours, ne compte pas, tandis que l’univers s’achève en douceur, insensiblement, que la poussière recouvrira l’ensemble de nos vies, de nos imaginaires, numérisés ou non. So what ? Pas de défaitisme, pas de jérémiades. Il s’avère grand temps de redevenir grand, de démontrer à vos détracteurs et ricaneurs de coiffeur que l’intensité, la tendresse, la nuance, la violence, ne se perdent pas, qu’elles passent à la façon de couleurs à raviver, à ranimer, un salut à l’ambulance rédemptrice de Scorsese. À défaut d’une résurrection de saison, ou du martyre médiatique d’un Mickey Rourke, applaudi-démoli dans The Wrestler, sachez revenir parmi les vivants, abandonner votre défroque de fantôme perdu dans un miroir spectral.

Art funéraire, le cinéma permet du même élan, dans le même plan, d’acquérir une immortalité fragile, d’embaumer une persona et une personnalité, de témoigner d’une lumière intérieure magnifiée par l’habileté d’un DP. Votre éclat, Nicolas, souhaitons le revoir vite, le célébrer plus longuement, en écho à ce que nous écrivions récemment sur la fertile nécessité des acteurs, donc des actrices, y compris dans un pays endoctriné à l’auteurisme. Les films précités vous doivent beaucoup et je vous dois plusieurs fois mon plaisir de spectateur encore doté d’un cœur, d’un cerveau, comme vous, je suppose. Je ne vous fais pas la morale ni ne vous donne de leçon à l’imitation des objecteurs de conscience polluant la Toile. Je vous propose juste de recommencer à nous émouvoir, à nous surprendre, à nous inciter à redécouvrir vos films. Une vie ne se termine pas à la cinquantaine, pas celle d’un comédien doué, en tout cas. Votre sensibilité, votre générosité, votre humour et votre mélancolie, ne les laissez plus en quarantaine, suivez l’exemple de vos camarades, écrivez, réalisez, produisez, donnez-vous les moyens de rendre vos fans enfin sereins. « Demain est un autre jour » affirmait Tara dans le Sud de Selznick ; à Long Beach, les vagues ne connaissent pas le vague à l’âme et vous convient à vous immerger dans un océan intime, à la source de votre charisme. Ne plongez plus, Nicolas Cage, replongez en vous-même puis renaissez pour de vrai, allez !


Commentaires

  1. La vie d'acteur au quotidien est parfois hors de prix, le prix de son existence intime fragmentée en mille et un reflets parfois plus tranchants qu'un éclat de verre...
    https://www.purepeople.com/article/nicolas-cage-pris-pour-un-sdf-vire-d-un-bar-pieds-nus-et-bourre-une-video-affligeante-devoilee_a455329/1

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