Jumanji : Bienvenue dans la jungle : Ready Player One


Entre-temps, Messieurs Macron & Trump s’adonnent au jardinage d’image. 


Shadows grow so long before my eyes
And they’re moving across the page
Suddenly the day turns into night
Far away from the city

Big Mountain, Baby, I love Your Way

Assez divertissant, ce divertissement didactique commence comme… It, imperméable jaune, maison spectrale, ados inadaptés inclus. On espérerait presque une rencontre entre Breakfast Club et eXistenZ. Mais qu’attendre du fils de Lawrence Kasdan, signataire de la bouse vulgaire Bad Teacher, ici flanqué de cinq scénaristes, Seigneur ? Cette parabole laïque tournée en numérique avec une impersonnalité avérée propose une double moralité de solidarité, de mortalité. Contrairement au jeu sis dans sa jungle eugéniste, jamais sensuelle ni sensorielle, encore moins méta, King Kong dort tranquille malgré les tambours à la Buñuel, chacun ne possède qu’une seule vie, aussi ne compte que ce que l’on en fait, de préférence ensemble. Le public planétaire plébiscita l’existentialisme lycéen du proviseur responsabilisateur, colleur, sut apprécier à sa mesure l’humble humour des avatars aux allures de coup de Trafalgar. Tant pis pour vos super-héros, les membres de notre Club des cinq vintage et végétal doivent vaille que vaille s’accepter tels quels, puis réintégrer la réalité de la supposée vraie vie, absorbés avant d’être amendés, CQFD. Tu ne convoiteras pas le joyau du jaguar, arrière Veber, sorte de Cyclope arboricole statufié, tu crieras le toponyme à pleins poumons, tu apprendras au passage le sens du sacrifice, la vie en communauté déconnectée, les possibilités déconcertantes-déconnantes de l’anatomie masculine. Au terme de la partie, te voici revenu au point de départ, tu avises le fiston de Tom Hanks devenu adulte et père, sapin de saison christique compris, prénom de celle qui lui sauva la vie pas virtuelle donné à sa propre fillette. Les temps télescopés s’harmonisent, le quotidien serein, enrichi, se poursuit, la console fofolle finit écrabouillée par une boule de bowling et le clown cyclique de Stephen King peut aller se noyer dans les égouts redoutables de Derry. Game over, mon cœur, bien qu’il nous rendit tous meilleurs.


Cependant, n’en déplaise aux spectateurs naïfs ou atteints de troubles oculaires, voire universitaires, le ciné advient dans la Cité, les films s’affirment en objets politiques, peu importe leur degré de partial engagement, le cinéma social, irréductible à Ken Loach ou aux Dardenne, Dieu merci, s’immisce souvent dans les blockbusters, l’art, spécialement celui des écrans, relève à la fois de la surface et du symbole, renvoyons vers Wilde et la précieuse préface du Portrait de Dorian Gray. Film fondamentalement et affreusement (déplorent ses détracteurs) américain, shooté à Hawaï et en Géorgie, l’État, pas le pays, financé par Sony – BE MOVED ordonne en douceur l’accroche finale du studio asiatique sur le générique –, ce Jumanji-ci, une pensée pour Robin Williams, comique dépressif surprenant dans Photo Obsession + Insomnia, ne se résume pas à l’adaptation d’un titre classé en dite littérature jeunesse, courant un peu trop porté sur la pédagogie. Ouvrage collectif-capitaliste rétif à l’individualisme libéral, à l’hubris rapace menaçant l’écosystème, filigrane écologique à l’attention des mioches de/au cinoche, en partie porté par la personnalité positive du co-producteur exécutif Dwayne Johnson, type sympathique et l'une des raisons de redécouvrir le boursouflé Southland Tales de Richard Kelly, Jumanji : Bienvenue dans la jungle laisse ainsi affleurer des éclats d’actualité, permet d’entrevoir une seconde histoire, moins ludique, plus tragique. On s’y meut dans un décor de rotor d’hélicoptère vietnamien ; on y trouve un « bazar » au look de souk, supermarché terroriste et casbah sucrée où acheter des armes lourdes et un gâteau littéralement mortel ; on y croise des motards pas fêtards à la Mad Max plutôt qu’à la Romero, cf. le méconnu Knightriders ; on y fait la connaissance d’un orphelin apeuré, en liberté surveillée, quadragénaire inconscient du temps perdu, de son père, non crédité Tim Matheson, vieilli-démoli par le chagrin.


Si Jake Kasdan voulait réaliser un film réellement adulte, il s’arrêterait là, il couperait le happy ending rassurant, bon enfant, au marmot de landau portatif, reproductif. Bien sûr, il s’y refuse, n’y songe même pas, respectant le programme cinématographique, informatique, prisonnier volontaire de la narration, de l’identification, de l’édification imaginaire et morale. Quoi de pire, pour des parents, que de perdre un enfant ? Le retrouver après son décès, au creux de la stase de la culpabilité, transformé en mauvais mort-vivant, répond le dérangeant Simetierre, « retour du refoulé » selon l’idiome horrifique, itou retour à King. En sourdine, au sein d’une réalité alternative, subjective, Jumanji : Bienvenue dans la jungle, privilégie l’absence, l’absurdité d’un évanouissement insensé. Il débute par le plan d’une plage à la Camus, « éternel été » de l’adolescence sudiste déjà auréolé de la mélancolie d’une fin de journée. Dans le sable du grand sablier posé à côté de l’océan, le coffret patient comme la mort attend son heure en rime au vaisseau funeste des Tommyknockers, pareillement à moitié enterré, muni d’un halo verdâtre, couleur taboue au théâtre et matérialisation de pourriture au-delà. Le guide mécanique en jeep parle d’une malédiction à conjurer, d’un ordre inique à renverser, mission pas si impossible pourvu que l’on se serre les coudes juvéniles et découvre ses puissances à peine cachées, assemblées par la tendresse de l’amitié, mises au service d’une juste cause et accessoirement d’un premier amour, pas vraiment en mode Tourgueniev, certes. Au jeu sérieux de l’existence, chaque player finit par perdre, parfois même le sens du réel, revoyez le Cronenberg cité supra. Vaincu par le sort, double acception, moulu par ton corps, promis à l’amnésie, à l’oubli, à la poussière du cosmos privé de présence, de transcendance, hélas, heureusement, tout ne tient qu’à toi, ici et maintenant, te voilà, lecteur, rédimé, amusé, consolé par un dépaysement qui te démontre le contraire, contredit vite sa tristesse discrète, suspecte, obsolète.


Au lieu du drame des (deux) décennies enfuies, saluons Cindy Crawford, des retrouvailles au goût de funérailles, des multiples « niveaux » à remporter, à interpréter, il faudra donc se contenter d’un film réchauffé, prévisible, guère imaginatif ou subversif et néanmoins tout sauf poussif, cynique, nostalgique. La bonne humeur de la production déteint sur le produit, sa modestie complice anime un métrage de filmage de paysages et de visages davantage qu’un art poétique exotique, un sommet d’expression et de transfiguration. Cinéma estampillé du samedi soir, sentant le pop-corn, similairement agréable et dispensable ? Oui-da, car Kasdan, a contrario d’un Jon Favreau, aux échos de Vertigo décelables dans son Cow-boys et Envahisseurs, n’imite pas la stratégie footballistique du zoologiste noir raccourci, évite la diversion, suit sagement la voie tracée depuis des lustres (ou des flambeaux) par Hollywood, consensuelle, fraternelle, inoffensive, lucrative. Reparlera-t-on de Jumanji : Bienvenue dans la jungle au cours des siècles à venir, autrement qu’à l’occasion de sa suite fatidique, déterminée par son immense succès, dix fois sa mise, bigre ? Se souviendra-t-on de la tapisserie sonore de Henry Jackman, émule ravélien du médiocre mentor Hans Zimmer, que nul mélomane cinéphile, ou l’inverse, ne confondra avec les inventions évocatrices et pionnières de Max Steiner pour le simiesque tandem Schoedsack & Cooper ? Non et non, mes bons. En l’état, avec ses limites et ses réussites, l’opus parvient à dire trois ou quatre choses sur la différence, le féminisme tendance Lara Croft, la maturité à moustique létal, rhinocéros albinos et serpents loin de Lang, même cadrés en Scope. Il s’impose en sus en parangon pas si con de l’épuisante usine à rêves cosmopolite contemporaine, autant qu’en idéalisation d’une Amérique à la Benetton, rousse et transgenre, empreinte de judéité alcoolisée, in fine familiale, fière et pacifiée.


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Les Compagnons de la nouba : Ma femme s’appelle Maurice

La Fille du Sud : Éclat(s) de Jacqueline Pagnol

L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot : Le Trou noir