Gens de Dublin
Un métrage, une image : La Jeune Folle (1952)
À Jacqueline Waechter, à l’écart de la guerre
En surface, La Jeune folle se soucie
d’Irlande, d’indépendance, de Républicains, de destin. À ce niveau-là, ça ne
fonctionne pas, jamais on y croit, la fameuse suspension of disbelief sur tout ceci glisse. Idem en situation de délocalisation, le Minnelli de Madame Bovary (1949),
autre portrait d’une féminité fiévreuse et très tourmentée, durement dessillée,
convainquait davantage, au-delà du langage, puisque du cinéaste la sensibilité
idéaliste et lucide ressemblait à celle de l’héroïne, faisant du pari
impossible, de l’adaptation a priori
à la con, un modèle de fidélité infidèle, en outre un autoportrait porté par
une actrice assez sublime, souvent intense, Selznick ne me critique, nommée
Jennifer Jones. En subjective vérité, Yves Allégret décrit un second pays, et cela
séduit, réussit : en écho à l’incontournable Corbeau (1943) du guère
collabo Clouzot, La Jeune Folle cartographie en catimini une France rance, en
résistance et en souffrance, comme au temps récent de l’Occupation, de ses
fraternelles et fratricides délations, trahisons de saison, d’occasion. Le
scénario de Sigurd, partenaire régulier du frère Allégret, s’inscrit ainsi dans
le sillage fataliste, Renoir, à la déjà « sale époque », résumé de
cheminot peu porté sur la flotte, du Quai des brumes (Carné, 1938),
disait « défaitiste », des précédents opus du réalisateur de valeur, par exemple Dédée d’Anvers (1948), Une
si jolie petite plage (1949), titre alternatif à La Jeune Folle, le
spectateur sait pourquoi, les balances, d’ailleurs ou d’Irlande, on les
dessoudera, coup de grâce sans grâce sur le sable redoutable, Manèges
(1950), avant le tournant miséricordieux, bienheureux, des Orgueilleux (1953),
l’effet boomerang de La
Fille de Hambourg (1958), réanimation d’un amour. Ici et là, le passé
ne passe pas, on passe son peu de temps vivant à le ressasser, à en trépasser,
à en finir occis ou cinglée. La folie de la frémissante Danièle Delorme
rappelle celle du prince Mychkine de Dostoïevski, eh oui, sa bonté innée,
malmenée, s’assortit de télépathie, d’un cri de scream queen que relooke
l’exquis et cruel Munch. Métrage doublement de son âge, La Jeune Folle carbure à
la « qualité française » bientôt concassée par le critique Truffaut,
cf. les décors de Trauner, la direction de la photo de Hubert, DP quasi attitré de Marc Allégret, Carné ou Duvivier, les cordes mimis de Misraki, à un athéisme d’existentialisme, à un désenchantement
d’antan, persistant au présent, depuis sept ou huit ans, Victoire au goût
dérisoire, roman national bancal, dames tondues mal vues, malvenues, Libération
en réunion et non exorcisme de domestiques démons, persifle le père Simenon. Le
conte en obscur et clair, crépusculaire, qui manque d’air, se déroule donc la « veille
de la Toussaint », les gamins « graines de mouchards » se
déguisent style Halloween, Minnelli bis
(Le
Chant du Missouri, 1944), du pouvoir mouroir se font les
volontaristes complices. Cosette de couvent, Jeanne d’Arc patraque, pléonasme,
Némésis du chef de la police, Catherine refuse de commettre un nocturne
infanticide, à l’instar d’un certain Cubain (Scarface, De Palma,
1983), cependant elle trucide Steve, lui file un kiss of death express, pietà d’asile, rires et larmes d’ironique et tragique mélodrame. Le caméo de Ronet incarne illico une conscience insupportable et
insupportée du crime commis, par conséquent de la culpabilité collective et
partagée, tandis que le liquidateur de Vidal se trouve pris au piège d’un
dilemme moral, réapprend à penser, à « raisonner », à dialoguer,
paiera de sa vie cette humanité retrouvée. Allégret cadre au cordeau le casting choral et Michèle Cordoue sa
dame, cabaretière tendre et amère, trame avec tact une allégorie
d’innocence absente, aux multiples mains sales sartriennes, aux « jeunes
fous qui finiront tous ministres », prophétie du factice remue-ménage de Mai
68. Dans La Jeune Folle, les mecs du rail ne livrent plus bataille en
mode Clément ; alcoolisés, désillusionnés, ils déraillent, ils se font
descendre à proximité d’un pseudo-landau muni de dynamite – de l’intégrité à
l’intégrisme, de la maternité au terrorisme, il convient de se masquer, au
propre et au figuré, il suffit de la fatwa d’une femme fervente, armée,
désarmante, matrice apocryphe des funèbres filles endoctrinées décidées à se
faire sauter, dotées d’une explosive virginité. Moraliste pas misérabiliste,
l’item d’Yves esquisse en définitive une armée Melville.
Grand merci pour le billet agrémenté d'une poétique dédicace,
RépondreSupprimer(à l'écart de ce monde qui tourne à la folie collective, oui dans la mesure du possible).
La lecture de votre billet est comme de coutume toujours enrichissante à bien des points de vue, l'ouverture d'une possibilité de questionnements est bien appréciable également.
Mon côté "littéraire" à l'ancienne si je puis m'exprimer ainsi, m"a fait entrer facilement dans cette histoire quasi fantastique, le côté halluciné m'a quasiment envoûtée, (faisant fi du côté emphatique ou daté source de tant de critiques de contemporains aux regards calibrés à leur mode du temps présent, Hollywood , la Nouvelle Vague étant passés par là et ayant fait leur petit effet Attila à leur manière. )
Il y a quelque chose inspiré de la biographie de Fant Rozec qui transpire dans ce film
(https://fr-academic.com/dic.nsf/frwiki/659021), une ambiance à la Balzac, celui des Chouans
("On peut également lire Les Chouans comme un roman d'espionnage moderne où l'espionne Marie tombe amoureuse de sa cible comme cela se produit dans les romans de Ian Fleming à notre époque.").
Ce qui m'a touchée également au niveau psychologique mais pas que,
c'est ce qui peut se résumer à un mot : la manipulation,
en ce sens, se servir d'un être orphelin et fragile, qu'on maltraite, et par manipulation mentale en faire son meilleur agent pour accomplir une tâche détestable, ce n'est pas sans m'évoquer certaines pratiques connues de certains services secrets bien actuels, encore à l'oeuvre de nos jours...un film tout de noirceur humaine, l'enfer est pavé de bonnes intentions,
même les jeunes enfants ne sont pas vraiment innocents et jouent leurs petits rôles dans cette danse diabolique et infernale...
D'une autofiction à la suivante, donc + un petit côté Électre suspecte...
SupprimerPacifique et joli mercredi, oui.
Électre... le mythe étant si fluctuant, ce dès les auteurs antiques,
SupprimerÉlectre dans la version "Ménagère de la Vérité" façon Giraudoux l'ironique ?
Électre une figure de l'accomplissement d'un destin familial (Atrides), la vengeance façon Tantale et son supplice comme soif inextinguible, c'est le grain de sacrée folie de la "jeune folle" ?
Électre réactualisée en version demoiselle versée dans un complexe d'Oedipe( à sa façon envers son frère et peut-être même son père), ce qui l'amène à devenir une femme virile qui dit non, reine du désordre et de ce fait au mieux condamnée à la folie, morte à la réalité triviale de ce bas-monde ?
Ce film pourrait à sa façon ajouter sa touche à certaine lutte contre les obscurantistes de tous poils et de tous temps
c'est ainsi que je comprend votre commentaire sur ce côté suspect d' Électre,
dites-moi sans hésiter si je m'égare...
Il y a aussi le thème de l'incommunicabilité entre les êtres qui transparaît de manière récurrente tout le long du film...et si certaines réponses pourraient être apportées
elles apparaissent le plus souvent contradictoires...
: « Au mode "mythique" de la fiction caractérisé par la nature divine du héros succèderait le mode "romantique" dominé par la figure du chef.
Viendrait ensuite le mode "ironique" où le personnage central, ramené au niveau de la simple humanité, se rabaisse et se critique lui-même (eirôn)
on se présente comme une victime expiatoire (pharmakos). »
Pierre Brunel, Le Mythe d’Électre
Le dédale doit en effet ses gars ou garces plus ou moins cinglés égarer, cf. le labyrinthe glacé, à domicile, de Shining (Kubrick, 1980).
SupprimerPourtant vous ne vous perdez point du tout, contrairement aux ombres melviliennes et malsaines d’une Irlande bretonnante, où « tout le monde est fou ».
Électre résistante et reloue, donc en mode Giraudoux. La « solution ignoble » de Steve/Vidal, pas autant, cependant, que la funeste « solution finale », somnolent emprisonnement de nonnes en noir et blanc, téléguide le Destin, arme sa main, la redéfinit ainsi en exécutrice complice, pas celle de Brigitte Lahaie, eh ouais, d’un Javert d’Angleterre. Ironie du récit : Catherine subito presto s’éprend de l’assassin de son frangin, avant d’elle-même se salir l’âme et les mains, d’y perdre la raison sans sommation, puisque la pensée s’apparente à la souffrance plutôt qu’à la seconde chance. Une deuxième DD, Danielle Darrieux, de Duvivier vigoureux, repassera en Poirot de Cluedo et d’opprobre dans Marie-Octobre (1959).
Cédons l’obscurantisme aux obscurs de jadis, à présent aux propagandistes, et l’incommunicabilité aux commentateurs délestés de saveur du mimi Antonioni. Parlons plutôt de non-dit, d’homicide au carré accompli, de secret in fine à la face craché, motif d’asile, sinon de masculin suicide.
Sur la même chaîne s’affiche en sus L’Année des méduses (1984), apprécié par votre serviteur tout sauf maître-nageur, autre portrait de jeune femme fragile et fatale ; vous m’en direz ou non des nouvelles, qu’à cela ne tienne :
https://www.youtube.com/watch?v=BBPaELzvFHg
Ma "madeleine" cinéphile m'a laissé revoir sans déplaisir Les assassins de l'ordre 1971
Supprimerpour le grand Jacques face à la sensuelle Catherine Rouvel, le cynique et prenant
Charles Denner en avocat ténor d'un barreau noir de corbeau, Michael Lonsdale ...
https://www.youtube.com/watch?v=1u8qYBjiCkg
et ''Les Jeunes Loups'' 1968 avec Haydée Politoff bluffante de naturel et de vie
https://www.youtube.com/watch?v=FtKtxLC5M20
https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2021/07/drole-de-drame-hotel-du-nord-les.html
Supprimerhttps://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2021/05/un-film-une-ligne.html
https://www.dvdclassik.com/critique/les-jeunes-loups-carne
Relativement au film "Les Jeunes Loups", j'ai le souvenir d'avoir vu dans ma toute prime jeunesse nombre de jeunes-filles qui en minaudant façon B.B se sentaient obligées de "surjouer " pour attirer l'attention, par ailleurs j'ai fréquenté un atelier de dessin préparatoire à l'entrée au concours des Beaux-Arts, situé Place des Vosqes à Paris où le mélange des genres et des origines sociales, les fêtes et les relations ressemblaient beaucoup au thème du film de Marcel Carné, ce vécu me fait sans doute mieux apprécier le métrage ( que nombre de spectateurs contemporains très éloignés de ce milieu très particulier et qui a disparu au tournant des années de rigueur vers 1982. )
SupprimerLe surjeu ou le jeu des faux-semblants, le côté mal ficelé étaient monnaie courante à cette époque et jusque vers la fin des années soixante dix, (beaucoup de cette jeunesse dorée accompagnée de jeunes désargentés déterminés et plein d'espoir de se faire un chemin à tout prix et vivant en copié-collé de la vie mondaine à belles voitures façon madame Sagan) étaient encore légions dans le sillage de mai et de l'après mai 68..
Ceci me fait particulièrement apprécier ce film malgré quelques défauts et le jeu
d'Haydee Politoff, qui trop indépendante et parfaitement consciente du rôle d'ingénue éphémère (étiquette de peu d'avenir) s'est contentée d'être une charmante météore, rebelle au point de ne pas se vouloir plier aux exigences d'un système de plus en plus pauvre en créativité, sauf exceptions bien entendu...
Pour en revenir à l'époque du film "La Jeune Folle"
voir ou revoir avec intérêt ? Le Feu dans la peau 1954 avec (Gisèle Pascal:
Raymond Pellegrin.....! :Philippe Lemaire:Nadine Ba)
https://www.youtube.com/watch?v=x0wwJ3DCDcI
https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2021/05/un-film-une-ligne.html
Supprimerhttps://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2017/11/les-amants-de-demain-nouvelle-vague.html