La Folie des grandeurs

 

Un métrage, une image : L’Argent (1928)

Comme Germinal (Berri, 1993), s’agit-il en définitive, d’après déjà le zélé Zola, défenseur dreyfusard, que certes d’antisémitisme personne ne soupçonne, en dépit du « Salomon » d’introduction/conclusion, d’un cas d’anticapitalisme capitaliste ? Conscient de la contradiction, L’Herbier l’écrivait, au creux de sa tête tournée : « filmer à tout prix, même (quel paradoxe) à grand prix, un fougueux réquisitoire contre l’argent », mais son mélodrame drolatique et moral, coûteux insuccès, à l’instar d’un certain Stavisky (Resnais, 1974), eh voui, descendu, réévalué, s’indispose surtout d’une spéculation de déraison, cède à notre modernité de clivantes « inégalités », de « crise » sélective, ses jérémiades pseudo-humanistes, « moralisation du capital » selon Sarkozy, « ennemie finance » de Hollande, « visage de l’obscénité » de Patrick Pouyanné s’offusque enfin Ruffin. Structurellement et spirituellement bourgeois, les moins indulgents corrigent en petit-bourgeois, le ciné français, autofinancé ou subventionné, privatisé ou étatisé, à la solde des plates-formes, de la TV ou du CNC, livre toujours en résumé une lutte des classes d’occase, à faire ricaner les mânes de Marx, lui-même guère prolétaire. Si la mobilité de sa caméra annonce celle de Wall Street (Stone, 1987), si le conte de construction et de déconstruction anticipe celui de Scarface (De Palma, 1983), apercevez au passage la balafre, l’escalier immaculé, la piscine en prime, si le bordel boursier prophétise celui de L’Éclipse (Antonioni, 1962, auquel ressemble un brin l’Allemand Alfred Abel), L’Argent laisse aussi au Bresson homonyme (L’Argent, 1983) son démoniaque didactisme, ne succombe au manichéisme, ne portraiture un « prédateur », Napoléon d’opérette ou Weinstein sans branlette. L’estimable cinéaste de L’Homme du large (1920), El Dorado (1921), L’Inhumaine (1924), Forfaiture (1937), La Nuit fantastique (1942) se produit en partie, flanqué de la UFA, pourquoi pas, firme fréquentable jusqu’en 1939, rien de neuf, qui lui refile fissa la langienne Brigitte Helm. L’apparition enfumée du pas si salaud Saccard évoque de facto l’infernal Mabuse, tandis que les grosses colonnes du plan d’incipit en contre-plongée paraissent désireuses de rivaliser en sourdine avec le gigantisme antique de Griffith (Intolérance, 1916). Escorté par un trio point falot, la véritable aviatrice Marie Glory, une Brigitte « cupide », cynique et limite orgasmique, le fric humidifie quelques femmes, ne me dément la dérobeuse de Fatale, le roman de Manchette, prenant son pied alitée parmi un tas de billets, le Britannique Henry Victor, ensuite le Hercule trucidé de Freaks (Browning, 1932), ici colonial « petit Blanc » victime du « climat anémiant », in fine aveugle dessillé, des caméos en duo de Berry & Artaud, l’imposant, (im)puissant et poignant Pierre Alcover, de la Comédie-Française pensionnaire, trouve le rôle d’une carrière, vaut à lui seul le visionnage. Boosté par Lobster, presque éclairé par Kruger, le chef-opérateur de Gance (Napoléon, 1927), pas le croque-mitaine de Craven, décoré par Barsacq & Meerson, spécialistes de la question, raccourci d’une demi-heure, vrai-faux malheur, L’Argent demeure amusant, émouvant, vif et vivant. Détesté d’Antoine, adoubé de Burch, frisant l’autobiographie, sur fond de frustration et d’obsession, localisé en sus in situ, jamais formaliste, bénéficiant toutefois d’un making-of du juvénile Jean Dréville (La Ferme du pendu, 1945), il carbure aux banques et aux bandes, à l’improbable pétrole et au duel d’hommes, manie in extremis le sens de l’ironie, de la malice, davantage que de la justice. Courriers de créanciers, fétichisme assumé, vénalité universelle, tel l’établissement homonyme, double record d’accord, fake news de TSF, chute de titres bénéfique et argent « parfois bienfaisant », chantage au lieu d’outrage, soirée de sacrifiée à se faire flinguer, amitié féminine plus pragmatique que saphique : L’Herbier affirme à sa façon la fin des « Années folles », sans prévoir le « Jeudi noir » à dollars, sa fresque preste, centenaire et douce-amère, glamourise la ruine, ne possède une seconde la radicalité ni la crasse des Rapaces (von Stroheim, 1924), tant mieux ou hélas. Chef-d’œuvre amoché ? Aquarium pas à la gomme, aux piranhas pitoyables et sympas, silhouettés et piégés à l’insu de leur plein gré.  

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