Quelques mots d’amour

 

Da ba da ba da ? Dabadie, pardi…

Comme Houellebecq, Poe se pensait poète ; la postérité, on le sait, ne le suivit ici. De Dabadie, décédé voici deux années, demeurent donc des mots, ceux d’un parolier, doté d’un spécialisé pedigree, plutôt que d’un aède, ne lui en déplaise. Romancier contrarié, « à l’abri du succès », dramaturge par intermittence, point trop n’en faut, par exemple pour Annie Girardot, bien sûr scénariste, sinon dialoguiste, citons un paquet de collaborations avec Robert, Sautet, de Broca, Pinoteau ou Jean Becker, jusqu’au récent Les Volets verts (2022), transposition de Simenon, quelques tandems, au côté de Delannoy, Nadine Trintignant, Truffaut, Rouffio, Lautner, Girod ou Lelouch, ce modèle d’élégance, pas seulement vestimentaire, surtout littéraire, de modestie aussi, décoré, récompensé, académicien, rien de moins, commit en sus, alors soldat du mercredi, des sketches de Bedos, deux ou trois autres choses, retracées selon ses soins sereins, d’entretiens croisés à défaut d’être dits de vérité. Le solaire Jean-Loup disposait-il d’une part d’obscurité ? Son apparente transparence se résume-t-elle à celle d’une France d’enfance, depuis longtemps enterrée ? Ses « histoires », chorales et musicales, possèdent-elles une délicate puissance pérenne, démunie de nostalgie ? Tandis que démarre, à l’initiative de Clarika, un spectacle scénique et en musique, en forme d’hommage davantage que d’outrage, les chansons signées Jean-Loup Dabadie persistent à traverser certaines vies, diamants mini et mimis, non versatile verroterie. Le doux mais pas mou Jean-Loup créa ainsi en compagnie de compositeurs, deux compositrices, Verlor Gaby & Dona Alice, de valeur, égrenons les noms de Colombier, Cosma, Goraguer, Legrand, Morricone, Polnareff, Sarde, d’interprètes impeccables, messieurs ou mesdames. La playlist de votre serviteur, biographe express de l’ami Serge Reggiani, vous propose de parcourir un répertoire peu répétitif, au romantisme parfois abrasif, cf. la complainte du surineur Johnny, fi de Brecht & Weill, de leur Mackie, dédiée au film de Robin Davis (J’ai épousé une ombre, 1983), par conséquent à sa chérie Nathalie. Populairement poétique, ponctuellement politique, je pense à L’Assassin assassiné, de l’abolitionniste Badinter sans doute le titre préféré, le corpus d’une pas si surprenante singularité, au sens d’unité, se caractérise par sa tristesse souriante et sa subtilité ciselée. Cependant que La Maison semble la matrice apocryphe de La Chanson d’Hélène, la sagesse d’Annie Cordy revisite vite le bilan de Gabin, parce qu’ils le valaient bien. Dalida porte le deuil en Sicile, Marie Laforêt décide un instant de se balader, Petula Clark connaît un orgasme downtownNicole Croisille ne s’égosille, La Femme et l’Enfant réaffirme la solitude à l’unisson du Petit Garçon, comme celle, « en somme », de Un homme, dû à la mamma Nicoletta. Sylvie Vartan donne dans le tour de force à infinitifs à foison, à progression, Barbara adoube une innocente pédophilie, en réponse ou présage à la bestialité intimiste et incestueuse de L’Aigle noir, aucun hasard. Oui, l’art de Dabadie résiste à l’usure des décennies, excède les seventies, qu’il cristallise à sa manière, jamais austère, en demi-teinte, dépourvue de plainte, moins classé classe moyenne, quoique, que le contemporain Delpech, n’empêche. Sa mélancolie déliée, sa tendresse assumée, font du (haut) couturier de Clerc un Cyrano sans mélo ni trémolo, un type précis, accompli, un bosseur de saveur, quelqu’un de bien, d’humain, ni malsain ni mesquin, à l’instar du personnage entraînant et poignant du classique pas incognito de Kent & Enzo Enzo, ses choses de la vie survivant encore à sa mort.         

       

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