Dawn of the Dead

 

Aube des macchabées ? Jour toujours de retour…

Le mélomane Pialat le premier s’en empara, premier mouvement mis sur le générique de Police (1985), puis le rapide Peter Weir (État second, 1993), au sein du sillage d’un succès de CD, puisque la désormais fameuse symphonie de Górecki sortit chez Nonesuch un an avant. Ces « chants de chagrins », d’autres cinéastes s’en servirent, citons le tandem anecdotique de Schnabel (Basquiat, 1996) & Malick (The Tree of Life, 2011),  plusieurs interprètes les servirent, pour le meilleur et pour le pire : la pionnière Stefania Woytowicz pâtit d’être trop opératique ; Zofia Kilanowicz, chanteuse en chaire, en présence du compositeur impassible, sinon souffrant d’un ennui poli, les dramatise et les glamourise ; Lisa Gerrard, contralto et non soprano, point trop n’en faut, s’égare, les adeptes de Dead Can Dance ne se marrent ; Beth Gibbons, assise, exquise, émancipée de Portishead, dirigée par l’imposant Penderecki Krzysztof en personne, salut à 2001, l’odyssée de l’espace (Kubrick, 1968) et L’Exorciste (Friedkin, 1973), l’emporte donc de trois têtes, mérite d’être doublement applaudie, pour l’intensité de son expression, de son polonais la précision. Tout ceci cependant ne saurait rivaliser avec la version gravée au siècle dernier, qui conserve, trente années après, sa capacité à séduire et à bouleverser. Classique instantané, chef-d’œuvre attachant et opus poignant, l’ouvrage se veut surtout « lento » et « cantabile », par conséquent lent et chantant, manie un minimalisme de mysticisme, voire l’inverse, sans épate, presque en écho à celui d’Arvo Pärt, sa musique océanique met en mouvement immobile et obsédant deux lamentations maternelles, la première de monastère, la seconde d’insurrection silésienne, encadrant une petite prière au carré d’adolescente prisonnière et ensuite sauvée. Le catholique Henryk, aucune critique, vécut une vie de bon bourgeois, étudia, enseigna, se maria, procréa, cumula les doctorats honoris causa, les nationales ou papales décorations plus ou moins à la con, passons, pardonnons. Entre octobre et décembre 1976, il se met à l’aise, crée quasi le malaise, cède le sérialisme à ses intégristes, retrouve la tonalité, ses mélodies et ses modes démultipliés. Górecki se fiche de la fade emphase, il lui préfère le fort folklore, le fait divers essentiel et austère, la simplicité d’une formulation « fascinante » car dépouillée, la mécanique d’un canon jamais d’occasion, dont la répétition et la modulation, guère dégueulasses, peuvent évoquer les mandalas immersifs et a minima de Philip Glass. Les mots de Marie et d’une mère anonyme, de Helena Wanda, se situent d’entrée sous l’aspect de l’éternité, en dépit de sources citées, documentées. Ce matériau historique et tragique, le rugueux Henryk le déleste du moindre élément mélodramatique, son émotion procède de la soustraction, plutôt que de l’abstraction, en cela il rappelle bien sûr le ciné(matographe) de Robert Bresson, sa folle ferveur majeure, affichée via une manière aux moyens mineurs, modérés, CQFD. Peut-on filmer une extermination ? N’en déplaise à Lanzmann, personne ne se priva de mettre en images la catastrophe internationale de la peut-être irreprésentable Shoah, vers cet essai je vous renvoie. Devenu un sous-genre souvent à gerber, davantage à ricaner qu’à révérer, cf. la bande-annonce à donf du récent Simone, le voyage du siècle (Dahan, 2022), commis par un spécialiste du biopic impressionniste et insipide, dorénavant didactique et pédagogique, deux raisons de le fuir, de s’abstenir, le génocide à grande échelle, industriel, ne supporte lui-même l’illustration à la truelle. Górecki prendra d’ailleurs ses distances vis-à-vis d’un disque conçu comme commémoratif, se gardera d’identifier, de limiter l’item à un contexte, une contrée, un conflit, une chronologie. Pourvu d’une visée universelle, le requiem à taille humaine, kaddish de fortiche, à la niche, parvient à déployer la lumière parmi les ténèbres, pas seulement celles de la guerre, à provoquer chez l’auditeur sidéré une paix imprévue et insoupçonnée, catharsis collatérale et primordiale en remède provisoire et musical à trois scandales, une trinité intériorisée, en douceur laïcisée, accessible aux croyants et aux athées. Œcuménique sans être démagogique, la Symphonie numéro 3 reçut autrefois un écrin de choix, celui du London Sinfonietta, alors sous la direction discrète et solide de Zinman David. Escortée d’un semblable orchestre, la versatile Dawn Upshaw ne fait le show, ne suscite la déprime, donne un cœur à la douleur, conduit des acmés extatiques. La réécouter revient à redécouvrir de sa voix la pureté, le caractère terrestre et céleste, d’une trentenaire en enfer, d’une juvénile virtuose évitant l’écueil de la pose, moment immanent, magique et magnifique, à l’apprécier aussi en matrice apocryphe du soundtrack dantesque de La Double Vie de Véronique (Kieślowski, 1991), dû au compatriote et contemporain Preisner, ma chère.

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