La Dernière Chevalerie
Un métrage, une image : Les Chevaliers de la
Table ronde (1953)
Le style statique et impersonnel de
Thorpe subit ici une sorte de transfiguration, à l’unisson de la dimension mystique
de la narration : on s’attendait à un sommet d’académisme hollywoodien,
nous séduit une démonstration de classicisme serein. Certes certains
cinéphiles, cyniques ou lucides, se gausseront de (re)découvrir l’aventurière Ava Gardner
en nonne immaculée déguisée, cette balance maccarthyste de Robert Taylor en étalon
de vraie-fausse trahison, donc adoubé modèle de fidélité. Cependant ceci ne
saurait suffire à réduire à l’égard du film habile la fameuse suspension
d’incrédulité, ni amoindrir ses trop peu remarquées qualités. Premier métrage
de la MGM en Scope et stéréo, in situ tourné, par une grève – de mécontents
figurants, fi des fournisseurs de carburant – à peine dérangé, retardé, Les
Chevaliers de la Table ronde bénéficie ainsi d’une
convergence de gens de talent(s), qu’il s’agisse du compositeur Miklós Rózsa,
alors à l’œuvre entre Ivanhoé
(1952) et La Perle noire (1953), déjà et encore de Thorpe, du costumier Roger
K. Furse (Hamlet, Olivier, 1948 ou Les Amants du Capricorne,
Hitchcock, 1949), du décorateur Alfred Junge, partenaire des chers Archers, du directeur
de la photographie Freddie Young (La Vie passionnée de Vincent van Gogh,
Minnelli, 1956 ou Lawrence d’Arabie, Lean, 1962), du producteur Pandro S. Berman,
pilier de la firme au lion, d’un casting
choral et local impeccable, bravo au beau trio que constituent le bienvenu tandem précité, Mel Ferrer rajouté ;
n’oublions les éphémères mais sincères Anne Crawford & Maureen Swanson. Les
trois scénaristes crédités, Talbot Jennings, Jan Lustig et Noel Langley,
signent aussi un digest jamais
indigeste de la légende arthurienne, dont la construction dose avec une souple
aisance, un équilibre intrépide, dialogues ad
hoc et accumulation d’action,
divertissement bon enfant et tumulte adulte. Poétique et politique, l’opus prend aujourd’hui une résonance
particulière, moins douce qu’amère, cf. l’actuel état de l’Angleterre, bateau
ivre almost à la dérive. Au-delà du
mélodrame sentimental, du conte en couleurs et douleurs, à demi adultérin, à
demi saint, Les Chevaliers de la Table ronde donne à voir indeed la (re)naissance d’une nation,
dispose d’un prologue d’utopie, d’un épilogue de mélancolie, quête experte,
laïque et christique, d’une noble concorde, que contaminent la déprime des rivalités
d’héritiers, les fourberies des félons, le dilemme un brin cornélien de la
couronne et du cœur, du public et du privé, du bonheur simple, incomplet, d’un
mariage à moitié arrangé, des exigences et des souffrances d’une féodalité réformée.
Parmi tous ces types aux épées fraternelles et phalliques, aux serments
d’amitié presque homoérotiques, manifestation post-extermination mondiale d’une masculinité aimable et estimable,
les femmes ne font tapisserie médiévale, fée fatale in extremis par ses
larmes d’amoureuse humanité rédimée, persévérante et pertinente épouse décédée
en couches. Le réalisateur mineur et pourtant polyvalent d’une paire de Tarzan,
du Prisonnier
de Zenda (1952), du Rock du bagne (1957) filme
l’ensemble, démuni d’ironie, moral et non moralisateur, pourvu d’un
affrontement stratégique au travelling
anthologique, de Pictes bleuâtres à la Braveheart (Gibson, 1995), doté d’un
sens du sérieux et merveilleux, du cadre et rythme chez lui insolite, d’où
réussite…
Commentaires
Enregistrer un commentaire