L’Italien

 

Baryton de bon ton, anthologie jolie…

À ma mère

Ce soir-là on sortait d’un cinéma

La Chanson de Paul

En 1922, Reggiani naquit. En 2022, que reste-t-il de lui ? D’abord des rôles, surtout ceux au ciné, qui s’étendent sur une cinquantaine d’années. On vit ainsi Sergio chez Ophuls (La Ronde, 1950), Jacques Becker (Casque d’or, 1952), Le Chanois (Les Misérables, 1958), Duvivier (Marie-Octobre, idem), Comencini (La Grande Pagaille, aka Tutti a casa, 1960), Visconti (Le Guépard, 1961), Melville (Le Doulos, idem + L’Armée des ombres, 1969), Clouzot (L’Enfer, 1964), Enrico (Les Aventuriers, 1965 + Les Caïds, 1972), Sautet (Vincent, François, Paul... et les autres, 1974), Ferreri (Touche pas à la femme blanche, idem), Carax (Mauvais sang, 1986), liste subjective non exhaustive. On l’entendit aussi, puisqu’il se piqua, au mitan de son temps, d’un second type d’interprétation, à l’écart de l’écran choral, au creux de l’écrin vocal. Reggiani chanta Vian & Prévert, mis en musique Rimbaud & Baudelaire, bossa en compagnie de Dabadie & Moustaki, tour à tour Le Forestier & Gainsbourg, Goraguer & Legrand l’escortèrent un instant, Canetti le produisit, Barbara le conseilla, Anne Sylvestre en Ophélie le transforma presque (La Maumariée). Le succès il connut, à l’alcool carbura, se maria, divorça, plusieurs fois procréa, tous suivirent la voie de papa, l’un de ses fils se suicida, en sus il se signala sur la scène sartrienne des Séquestrés d’Altona, qui ne sait tout cela ? Une solide amitié avec Simone Signoret, un penchant pour la peinture, d’accumulés concerts, une crise cardiaque octogénaire, Racine & Shakespeare, Camus & Cocteau, deux autobiographies, une victoire musicale, trois récompenses nationales, des reprises plus ou moins dispensables, signées Berliner & Kacel, Pietri & Boulay : le parcours du petit garçon d’Émilie-Romagne, normand d’adoption, du jeune type formé à l’art dramatique en Belgique, ensuite acclamé au Conservatoire, de l’adulte entre culte et tumulte, représente à sa façon un modèle d’acclimatation, d’intégration sans désintégration, de naturalisé français aux origines transalpines jamais reniées, au contraire assumées. Franco-italien, parce qu’il le valait bien, Reggiani francisa son prénom, se fit un nom et un renom, créa donc de remarquables et remarquées incarnations, parmi une filmographie en reflet, sur une paire de pays opérée. Sa carrière de chanteur, commencée quadragénaire, à la suite du fiasco de L’Enfer, lui permit de se réinventer, son public développer, voire renouveler. Le fameux fumeur se ficha du cancer, ne se soucia un brin de la loi Évin, s’intéressa au temps qui reste longtemps avant l’histrion Ozon. Le mec classé à gauche croisa même le chemin, quel destin, du droitiste Delon (Ne réveillez pas un flic qui dort, Pinheiro, 1988), himself artiste à la fois de France et d’Italie, à pedigree modeste, à beauté à l’inverse. Des films à foison, beaucoup d’albums, une gueule d’enfant grandi, de souriante mélancolie, des volutes et en définitive la traversée d’une vie, « moitié jasmin, moitié souci »  (Serge, Lemesle/Bourtayre) : guère soumis à la nostalgie, Reggiani laisse de lui une silhouette à peine complexe, mélange de tendresse et de rudesse. Il nous cède sa singularité familière et douce-amère, homme d’une époque, d’un passé, dont la talentueuse sincérité, la charmeuse et malheureuse masculinité, persistent à nous séduire et à nous interroger, au milieu de notre assez médiocre modernité, munie de minables misandrie et misogynie. Si Brel maniait le mélodrame, selon l’expression de l’anatomiste Céline « mettait sa peau sur la table », passa de la voix au cinéma, Reggiani refusa d’en faire trop, devant une caméra, derrière un micro, élut la confession intimiste plutôt que la performance physique. Itou authentique et tabagique, Jacques s’emporte de ses paroles, s’épuise à ses spectacles ; Serge ne se déleste d’une sorte d’intense réserve, comédien paradoxal à la Diderot, chanteur sachant utiliser un studio, une sono. Dire que leur tandem nous manque relève de l’évidence. Comment conjurer leur absence ? En les réécoutant, ici et maintenant. À côté de classiques incontournables, mention spéciale au poignant Ma fille (Marnay/Cohen), le cinéphile mélomane découvre des diamants méconnus, des sommets de lyrisme modéré nommés Tes gestes (Moustaki), La Putain (Dabadie/Legrand), La Cinquantaine (Lebel), Dans le miroir (Dréjac/Legrand), T’as l’air d’une chanson (Dabadie/Goraguer), Chanson de Maglia (Hugo/Gainsbourg), La Chanson de Paul (Dabadie/Goraguer), Si tu me payes un verre (Dimey/Carol), La Loire (Lemesle/Dona), La Gare de Bayonne (Dabadie/Bernheim). Parfois amusant, souvent émouvant, Reggiani revit…

Commentaires

  1. Un bien émouvant billet en forme de sensible pluridisciplinaire subtil hommage.
    https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i00003214/serge-reggiani-a-propos-de-la-peinture

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci de ceci et de votre bienveillant avis.
      "Barbouille", bis :
      https://www.youtube.com/watch?v=v4-cqnsAUVI&t=322s

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Les Compagnons de la nouba : Ma femme s’appelle Maurice

La Fille du Sud : Éclat(s) de Jacqueline Pagnol

L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot : Le Trou noir