The Last Man on Earth : La Planète des vampires


Vince versus le virus


Un principe nous guide pour définir nos actions, il nous guide depuis le début pour anticiper cette crise puis pour la gérer depuis plusieurs semaines et il doit continuer de le faire : c’est la confiance dans la science.

Emmanuel Macron

Diamant quasiment méconnu, injustement mésestimé, The Last Man on Earth (Sidney Salkow, 1964) se dote évidemment, désormais, d’une dimension d’actualité : on y (re)trouve, en effet, une vaste et vaine ville vide, vidée, un virus (é)venté, maudit voyageur-convoyeur de « maladie universelle », des contaminations en série, de saison, à la maison, des proches (très) amochés, un « état d’urgence » tardif, décrété par une autorité tendue à la TV, dénoncez les infectés, merci d’avance, des soldats à la rescousse maousse, des lieux de (télé)travail abandonnés, rendus à leur vacuité-vanité. On découvre davantage, cependant, au cours de ce film apocalyptique et politique, pardon du pléonasme, transposant avec esprit, n’en déplaise au principal intéressé, scénariste sous pseudonyme, l’esprit du magistral et camusien roman de Richard Matheson, Je suis une légende lui-même en partie (re)lecture de L’Étranger, ensuite à nouveau illustré par le distrayant Le Survivant (Boris Sagal, 1971) puis le dispensable (je suppose) I Am Legend (Francis Lawrence, 2007). Accusé dans les années 80 de pomper sur son outre-Atlantique voisin, alors que le corpus concerné possède, à qui sait voir, visionner délesté de préjugés, sa propre poésie paupérisée, sa personnalité souvent opératique, voici le cinéma italien des années 60 en train de devancer Charlton Heston & Will Smith, certes en suivant de près le Harry Belafonte du récent Le Monde, la Chair et le Diable (Ranald MacDougall, 1959), (re)lisez-moi, pourquoi pas. Dialoguant à distance avec la coda eschatologique de L’Éclipse (Michelangelo Antonioni, 1962), annonçant les révolutionnaires revenants de La Nuit des morts-vivants (George A. Romero, 1968, d’ailleurs date du récit à peine prophétie), L'ultimo uomo della Terra (apparemment co-réalisé par le local Ubaldo Ragona) se souvient en sus du passé transalpin, européen, puisqu’il affiche une fosse fichtrement nazie (sans doute ardéatine, aussi) et, in extremis, une milice armée molto mussolinienne, fasciste uniforme noir offert, fichtre, quartier connoté de l’EUR reconnu toujours.




De manière discrète, quoique, il retrace en outre et pour ainsi dire en accéléré la voie dépressive, estivale donc désertée, du Fanfaron (Dino Risi, 1962), autre satire sur la société dite de consommation, hédoniste et fumiste, roulant vers sa perdition, se soldant sur une note funeste, funèbre. Le supermarché mis à sac de Robert Morgan, Romero en mode marxiste y reviendra en 1982, à l’occasion de Dawn of the Dead, avec ou sans la dynamo de Dario Argento, ses zombies à lui néanmoins plus affamés, plus motorisés, eh ouais. Pour l’instant, l’impérial, impitoyable, puissant, poignant, in fine empalé à la Siegfried (Les Nibelungen, Fritz Lang, 1924), Vincent (Price, who else?) mène sa (sur)vie d’ex-scientifique incrédule, confiant, fissa dépassé par les express événements, endeuillé par la pandémie planétaire, qui se fout des frontières, qui révèle le revers des sixties supposées si jolies, à part, bien sûr, en Algérie, Jacques Demy le chante et le dit (Les Parapluies de Cherbourg, mon amour, 1964 bis). Sisyphe au bord du précipice, isolé à en devenir cinglé, sinon, vous le vivez comment, votre confinement ?, Bob radote en voix off, se fait des films à domicile, c’est-à-dire se projette, aux limites de l’insomnie, ses nostalgiques saynètes, ses home movies d’auparavant, d’anniversaire/fête d’enfant, de cirque sympa à La strada (Federico Fellini, 1954), réalisateur amateur documentant de bons moments illico inhumés, emportés par le « vent mauvais », au propre, au figuré. Si le « chercheur » Mark Lewis (Le Voyeur, Michael Powell + Leo Marks, 1960), similairement méta, scrutait la peur en profondeur, finissait par se voir, miroir, mon beau miroir, montre-moi comme je meurs, Robert Morgan ne panique pas les prostituées, les mères aveuglées, remarquez le symptôme-symbole de la cécité, il passe son temps du mieux qu’il peut, il taille des pieux, il papote à la radio, en solo, il conduit des bagnoles aux allures de corbillards, il évacue les cadavres, par ses soins accumulés, il change ses gousses d’ail, « vaille que vaille », il se sert du verre, à son tour, afin d’effrayer, d’insupporter ses assaillants incessants, dont son meilleur ennemi, interprété par le papounet de Kim Rossi Stuart, joueur et alerteur Giacomo, deux ans après au générique du réflexif Opération peur (1966) de Mario Bava, voilà, voilà.



Il se souvient de sa vie avec sa veillée Virginia, élégante-émouvante Emma Danieli, prénom poesque de bien-aimée horriblement ressuscitée, salut à Bérénice & Ligeia, au collatéral Corman, oui-da, amitiés décomposées à la Rachel terreuse du Simetierre (1989) de Stephen King & Mary Lambert. On le voit, on le devine, The Last Man on Earth prend son sujet au sérieux, le rend sérieux, caution de la science, de ses défaillances, dès lors du vampirisme la panoplie épuisée, voire épuisante, en dépit des rafraîchissants efforts en Technicolor du sieur Terence Fisher, avatar de Van Helsing à demeure de la Hammer, au passage studio à l’origine par le projet intéressé, approché, cf. Le Cauchemar de Dracula (1958), reprend des couleurs, regagne sa saveur, via ce sauveur/messie assassiné, au sein d’une nocturne église, d’une cathédrale colossale, « élu » malvenu, élection(s) de dérision, et l’ouvrage rivalise de réalisme avec le Martin (1977) de Romero, idem mélodrame familial, à base de sang, de solitude et de sentiments, (re)lis-moi, émule du comte aux dents longues ou pas. Une fois sa fille(tte) et sa femme défuntes, Morgan, a fortiori fossoyeur de toutou relou itou, fait la connaissance bouleversante, stimulante, angoissante, d’une survivante, la convaincante Franca Bettoia, dans la vraie vie sous peu l’épouse d’un certain Ugo Tognazzi, en vérité espionne contaminée, pendue à sa piquouse de provisoire survie, sang innocent, vaccin qui contient, tout va presque bien, tandis que le protagoniste « légendaire », des deux côtés de la barrière, au milieu de sa Rome mortuaire, cimetière à ciel ouvert, doit son immunité, admirez l’ironie, à la morsure d’une chauve-souris, exotique à défaut d’être asiatique ! Porté par un Price au sommet de ses possibilités, rôle mémorable à rapprocher de celui de l’exécuteur sans cœur du majeur Grand Inquisiteur (Michael Reeves, 1968), éclairé avec doigté, en clairs-obscurs éclairants, menaçants, par Franco Delli Colli, cousin de Tonino, The Last Man on Earth séduit par sa modestie, sa persuasion, sa précision un peu impersonnelle, tant pis pour le bicéphale ou schizophrène tandem, pas assez stylisée, pas si grave, allez.




La moralité d’humanité, d’inhumanité, de familière monstruosité, s’achève sur une pietà, culture catholique oblige, exit le suicide « assisté » du littéraire Robert Neville et ses létales pastilles, sur une victoire à la Pyrrhus, la nouvelle Ève, a priori guérie, remercions la masculine, magnanime transfusion, rassure une progéniture alarmée, lui assure un futur apaisé. En 2020, en France, le confinement continue et l’air (sociologique, économique) s’avère délétère. Devin et divin, divertissant et clairvoyant, en Scope et point myope, malgré le flou d’un travelling avant sur le visage de Vincent (l’)invitant à (re)visiter ses denses réminiscences, le cinéma nous sauvera ? Qui dit que nous devons l’être, qui se projette, qui dispose d’un vaccin, oui ou non étasunien ? Questions pour l’instant dépourvues de réponses, dont se marre Robert Morgan, déjà immortalisé-embaumé de son vivant, « légende dorée » en noir et blanc, digne d’être aujourd’hui et demain exhumée, recommandée, surtout en période virussée, masquée, médiatisée, au quotidien, vous le valez bien, vous-même devenu le héros à huis clos d’un film catastrophe qui apostrophe ou rend amorphe.


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