La Longue Nuit de 43 : Vincere


Les « fautes du fascisme » ? Il suffit de s’en affranchir…


Jadis primé, à présent oublié, sic transit la gloria de l’amnésique cinéma, tant pis pour Pier Paolo Pasolini, adaptateur de Giorgio Bassani, accompagné d’Ennio De Concini, La Longue Nuit de 43 (Florestano Vancini, 1960) se déroule à Ferrare, d’où le brouillard. Certes, ce premier métrage estimable, récompensé à Venise, pâtit de son manque de personnalité, mais ne manque pas de lucidité, d’intensité, mention spéciale à la fusillade fameuse, odieuse, d’antifas, filmée comme il faut, froidement, lui conférant son titre historique, ésotérique, explicite. Mise en fiction d’un fait divers, d’un crime de guerre, le récit carbure à l’adultère et à l’amitié, à la désertion et à la prescription, juridique et pharmaceutique. L’épouse épuisée d’un soldat estropié retrouve un amour de jeunesse, fils d’avocat fissa de l’armée enfui, une fois l’armistice établi. Sur cette base rappelant l’argument du Diable au corps de Radiguet, ensuite de Claude Autant-Lara (1947) puis de Marco Bellocchio (1986), s’assortissent d’autres souvenirs, à point se réjouir, ceux unissant le bourreau bonhomme et son témoin moqueur, muet, déplumé, diminué, naguère timide déniaisé au bordel contre son gré, sous la menace alcoolisée d’une arme, dame. Fable affable sur l’héroïsme, la lâcheté, la romance, la destinée, La Longue Nuit de 43 repose sur un quatuor d’actrice et d’acteurs digne de nos honneurs, mentionnons volontiers les noms des valeureux Belinda Lee (Ce corps tant désiré, Luis Saslavsky, 1959), Gabriele Ferzetti (L’avventura, Michelangelo Antonioni, 1960), Enrico Maria Salerno (Le Dernier Train de la nuit, Aldo Lado, 1975) et, last but not least, Gino Cervi (Le Petit Monde de don Camillo, Julien Duvivier, 1952), « militant farouche », éminence grise au sein de la grisaille et de la mitraille, accessoirement amant de femme mariée anonyme, désormais décédée, alors occupée, terme connoté, juste à côté de son chéri endormi, se souvient-il, fanfaronne-t-il, attablé parmi ses amis.



Dix-sept ans plus tard, revoici le lascar, au même endroit retrouvé, à peine changé, en train de mater/critiquer à la TV un match de foot entre l’Allemagne et l’Italie, eh oui. Passé par la Suisse, le friqué fugitif fait un saut à Ferrare, en échauffé chemin vers Rome, papote un peu avec l’affreux, notable qui le reconnaît, le complimente, mes hommages, Madame, quel beau marmot, Monsieur. En repartant, après un passage devant le muret ensanglanté, du château recyclé, aujourd’hui décoré d’une plaque commémorative, où figure en dernier, ordre alphabétique oblige, un patronyme familier, le sien, celui de son papounet ; après s’être enquis, auprès du nouveau propriétaire de la pharmacie, de la précédente, depuis longtemps partie, évanouie, le type aux cheveux blanchis informe sa famille qu’en ce temps-là, on surnommait le sieur rieur d’un incompréhensible « Dracula », tu ne connais pas ça, désignation de vampire, de personnage du cinéma d’autrefois, voilà, voilà (en VO, « sciagura » signifie, de manière pragmatique, métaphorique, peu cinéphilique, « malheur », « catastrophe »). Cet item tragique s’achève par conséquent sur une note très ironique, pas de révélation à l’horizon, moins encore une remise en question, un examen serein des responsabilités, des atrocités, plutôt la poursuite du lendemain, une poignée de main entre le descendant et l’assassin. Auparavant, La Longue Nuit de 43, ouvrage appliqué, précis, mélodrame lourdement musiqué, dommage, par il maestro Carlo Rustichelli, esquisse avec soin, sans dédain, une chronique provinciale létale, décrit un microcosme de connaissances, d’accointances, de survivance délestée de la moindre repentance.



Ici, panoramique de panorama du premier plan, se situe de jour, de nuit, une sinistre comédie, fracassée, quel désespoir, par une belle bande de soudards, venus de Vérone, appelés à la rescousse maousse, because une autorité locale, jugée pas assez autoritaire, vient de se faire dessouder sur la route, stratégie machiavélique évidemment mise sur le dos d’invisibles résistants. L’amico Florestano, himself natif de Ferrare, en écho à Giorgio & Michelangelo (Antonioni), en sus co-scénariste, servit d’assistant sur le vibrant Été violent (Valerio Zurlini, 1959), (re)lisez-moi, signa des documentaires et des transpositions littéraires, délaissa le grand écran pour le petit ; le solde de sa filmographie demeure donc à (re)découvrir. En attendant, on invite à vite visionner cet opus polémique, correctement éclairé par Carlo Di Palma, bientôt régulier collaborateur, terme connoté, bis, d’Antonioni ou d’un certain Woody (Allen). En attendant, durant le couvre-feu, surtout ensuite, un vétéran se couvre les yeux, ne rétorque rien à son Anna adultère, amère, incendiaire, infirmière réfractaire, sorte de « sœur » asphyxiée, enfin, brièvement, émancipée, désirée, aérée, pour le restant de ses années probablement dégoûtée, écœurée par le silence peut-être de protection, assurément de soumission, de démission. Précisons aussitôt que son béguin orphelin, défié par son frangin, vaut bien son départ instantané, loin de toute cette mascarade écarlate, cette impunie insanité, cette immanente, guère combattante, masculinité, allez (tous vous faire foutre, ou pendre, destin du Duce). Dans Fenêtre sur cour (Alfred Hitchcock, 1954), un reporter plâtré en venait à souhaiter, à vivre pour de vrai, un roman policier, de moitié découpée, en espionnant ses voisins colorés.



Dans La Longue Nuit de 43, la séance de ciné s’interrompt, coupure de saison, et la morale, même moralisatrice – tu te casseras ta seconde jambe, Jimmy, pour prix de ton péché de spectateur-mateur –, ne s’immisce, ne termine le film, offensant seulement pour les aveugles volontaires, tous ceux que la vérité sordide effraie, indiffère, en reflet du lettré, trop beau Franco, nanti d’un alibi rassis, je dois penser à ma pauvre maman, je dois surtout foutre le camp, gare aux rafles, fichtre. Pendant le repas, l’héritier parle de « révolution » à venir, de sa volonté générationnelle de « rompre avec le passé », amen. En réalité, à l’orée du « miracle économique » transalpin, de l’hédonisme européen, de la société consommatrice, complice des trous de mémoire – produisez, polluez, respectez le « principe d’obsolescence », enterrez les réminiscences –, La Longue Nuit de 43 prépare la voie au Fanfaron (Dino Risi, 1962) et à son existentialisme à la con, conduisons, klaxonnons, jouissons, le reste aux oubliettes évacuons, jusqu’au Crash (1996), de Cronenberg ou non. Mieux, pire, il présage à son échelle cruelle, à sa mesure impure, la communauté mafieuse, incestueuse, triviale, infernale, italienne, sadienne, de Salò ou les 120 Journées de Sodome (Pier Paolo Pasolini, 1976), boucle bouclée de cercle vicieux et vicié. De la dictature « ducale » au totalitarisme capitaliste, tout de modifié, rien de changé, résumerait Le Guépard (1963) de Lampedusa & Visconti, en plus de PPP, hormis, bien sûr, en 2020, un vilain virus asiatique, clin d’œil de savoureuse réplique, au sujet de sortie interdite : « car rester chez soi, c’est admettre le régime fasciste » et coda d’actualité, d’« images d’actualité », cf. le générique chronologique, didactique, de mon « martial » article.


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