Ruby : Floride
Mère amère, fille indocile, film imparfait, tout sauf futile…
We didn’t
need dialogue. We had faces!
Norma Desmond
She would
never say where she came from
Yesterday don’t
matter if it’s gone
Ruby (Curtis Harrington, 1977) sortit un
an après Carrie (Brian De Palma, 1976) : on y retrouve avec un
plaisir ravi Piper Laurie, aussi diablement séduisante que la
« diabolique » Traci Lords de New Wave Hookers (Gregory Dark, 1985),
davantage dévêtue, autant portée sur le rouge. On reconnaît en outre une
maternité très tourmentée, sise sous le sceau de la culpabilité, le
gangstérisme désormais substitué au puritanisme, le maillet manié idem au gros couteau, et un renversant raccord
axé, non plus sur une carotte en train d’être coupée, mais sur le visage
terrifié de la principale intéressée. Ruby sortit dans le sillage excessif
de L’Exorciste
(William Friedkin, 1973) et cela se sent, s’entend, jusqu’au grenier partagé, même
si sa contorsionniste laïque annonce en sus celle de L’Exorcisme d’Emily Rose
(Scott Derrickson, 2005), justement. Avertissons vite les avides de la vaine vraisemblance
– Ruby
ne s’en soucie, Ruby réussit à créer un climat, un univers en soi, sorte de
triangle des Bermudes cette fois-ci limité à la Floride, tracé entre l’ancienne
boîte de nuit habitée, le marais-mausolée, le drive-in fréquenté. Passé un prologue placé au mitan des années 30,
d’exécution en réunion, d’amants séparés pour l’éternité, d’élue esseulée,
enceinte devinée, nous voici au début de la deuxième décennie suivante, cependant
les spectateurs à moteur matent le féministe L’Attaque de la femme de 50 pieds
(Nathan Juran, 1958), pardonnable anachronisme, tandis que l’esprit du Nicky
occis, vénère et revanchard, s’en vient trucider les tueurs, employés amateurs,
accessoirement posséder en médium, zeste d’inceste, Gainsbourg se bourre, sa
Leslie grandie, mutique, traumatisée. La vengeance s’avale froid, accumule des
assassinats sympas, pendaison de projectionniste poivrot à la pellicule, baston
de branches du serveur-violeur, comparse refroidi dans le distributeur de
boissons fraîches à recracher, copain épinglé en petit papillon de grand écran
blanc par un pieu de haut-parleur + paralytique atteint de cécité sur son
fauteuil déchaîné poignardé, puis tempête suspecte, à éclair recyclé, à
automobile cramée, olé.
Soupirant incompris, parfois accepté,
Vince appelle à la rescousse un spécialiste en parapsychologie, eh oui, jadis
connu en prison, bon. L’hypnose régressive, disons à l’instar de Au-delà
du réel (1980) de Ken Russell, remplace le missel et le rituel de
Merrin, dommage, Max, néanmoins ce mélodrame non dénué de charme, sens
esthétique, étymologique, se termine en moins serein, puisque la promise point
perfide, quoique, au lieu d’embarquer sur la barque de la liberté – dangerosité
du bateau, du duo sur l’eau, au sein du ciné US, je vous renvoie vers Péché
mortel (John M. Stahl, 1945), Une place au soleil (George Stevens,
1951), La Nuit du chasseur (Charles Laughton, 1955) –, se noie entre
les bras de son squelette obsolète, arrêt sur image de romantisme noir, noces
sous-marines d’Éros & Thanatos, la chanteuse délicieuse, odieuse, voyeuse, fossoyeuse,
buveuse, éborgneuse, un brin putain, parce que les types épris de proxénétisme
le valaient bien, hein, bientôt festin pour les crocos du coin, effet boomerang molto moral d’effet spécial
banal. Ainsi résumé, le récit de Ruby semble risible, digne d’être
moqué, pas vrai ? Détrompe-toi, lecteur confiné, ne te méprends pas,
lectrice complice, car Ruby mérite son exhumation, mon
article de recommandation, pas seulement à destination des admirateurs de la
chère Piper, par ailleurs pétillante, brillante, voire bouleversante, chez Kurt
Neumann (Le Fils d’Ali Baba, 1952), Robert Rossen (L’Arnaqueur, 1961), Randa
Haines (Les Enfants du silence, 1986), Michael Winner (Rendez-vous
avec la mort, 1988), Dario Argento (Trauma, 1993), Sean Penn
(Crossing
Guard,
1995) ou, changement d’échelle, dans Les oiseaux se cachent pour mourir
(1983), Twin Peaks (1990), New York, unité spéciale (2001) et Cold
Case
(2005), liste subjective, pas exhaustive.
Indépendant opus à succès co-écrit par les scénaristes-producteurs George
Edwards & Steve Krantz (Fritz le chat, Ralph Bakshi, 1972),
par le peu prolifique Barry Schneider (Mother’s Boys, Yves Simoneau, 1993),
éclairé en soft focus par William Mendenhall, musiqué par le doué Don Ellis (French
Connection, Bill Friedkin bis,
1971 et Police Puissance 7, Philip D’Antoni, 1973), écoutez, s’il vous
plaît, la chanson de Don Dunn, coda mélancolique et sucrée de générique défilé
sur fond ensanglanté, en partie renié en raison de tripatouillages intéressés –
fin modifiée, macabre ajouté, au ciné ; extension de sa brève durée, via des scènes additionnelles, because diffusion adoucie sur CBS en
1979 – par son réalisateur surtout actif à la TV, ceci ne surprend au vu de son
travail soigné, désargenté, impersonnel, fonctionnel, on demande toutefois à découvrir
son Mata
Hari (1985) à lui, une pensée pour Sylvia Kristel, Ruby constitue avec le
recul un écarlate écrin, remarquez la cohérente direction artistique colorée de
l’itou costumier Tom Rasmussen, mention spéciale au mobilier carmin de la
chambre à coucher, à la robe rouge, of
course, judicieusement décolletée, à se damner, en effet, du dernier acte,
un poème paupérisé jamais mesquin, pour le talent et la beauté de l’actrice
immortalisée dans sa rayonnante et rousse maturité. Bien entourée par la
juvénile Janit Baldwin (Humongous, Paul Lynch, 1982),
l’émouvant Stuart Whitman (Guyana, la secte de l’enfer, René
Cardona Jr., 1979) et le solide Roger Davis (un faux air de Nacho Vidal,
diantre), la maman démente de Mademoiselle White, autre héroïne rougie, pour
d’autres motifs, fichtre, similaire danseuse malheureuse, de boule à facettes
tristounette, paraît presque à l’étroit parmi tout ça, en écho-trémolo à sa consœur
Norma Desmond (Boulevard du crépuscule, Billy Wilder, 1950), star essorée, auparavant se lamentant,
en noir et blanc, à propos de la présente petitesse des pictures, mise en parallèle avec sa sienne (folie des) grandeur(s),
quelle douleur.
Ni néo-noir à la fois fétichiste et
révisionniste à la Chinatown (Roman Polanski, 1974), ni biographie d’une figure
féminine hors-la-loi à la Bloody Mama (Roger Corman,
1970), Ruby séduit à sa modeste mesure, fable affable gentiment et
faussement misogyne, cf. l’avertissement du sentimental blessé, adressé au
gringalet entiché de sa séductrice de quartier à chacun refusée, « Elle ne
peut t’attirer que des ennuis, comme toutes les femmes », précis de
sociologie réflexive, je pense aux esquisses des clients croqués à la façon
d’un sketch, sens duel, doublé d’un témoignage
d’une époque appâtée par la peur, « On fait un malheur avec les films
d’horreur […] Ils demandent du sang, ils en réclament. C’est ce qui plaît au
public, maintenant » philosophe la boss.
Ici, le temps plus ne passe, il trépasse, il repasse, il ressasse, en autarcie,
en catimini, stase d’insanité cristallisée au moyen d’un miroir évidemment brisé,
de globes oculaires sarcastiquement conservés, eh ouais. Un rubis joli,
dorénavant ignoré, merci à l’amnésie du ciné ? Un verre de vin valeureux,
même éventé, à savourer en compagnie de l’enivrante Piper Laurie, pour laquelle
veiller jusqu’au bout de la nuit infinie, cosmique, acoustique, alcoolisée, sans oublier de se souvenir qu’il faut enfin
mourir, c’est-à-dire dépasser le désir, le laisser vous engloutir-ensevelir, de
préférence contre son sein d’albâtre submergé, par sa chevelure de feu fiévreux
surplombé, phare baudelairien pour cinéphile marin.
Apollinaire: "Sa compagne, Jacqueline Kolb, a dix ans de moins que lui. Elle porte le surnom de Ruby, lui inspire « La jolie rousse », et dans La Femme assise est représentée par « la jolie Corail, rousse aux yeux noisette, qui donnait dans son ensemble l’aspect d’une goutte de sang sur une épée »
RépondreSupprimerEnceinte, et Apollinaire se mourant de ses blessures du front comme de la grippe espagnole, elle contracta la maladie, en réchappa mais sa grossesse n'arriva pas à terme.https://books.openedition.org/pur/35299
https://www.youtube.com/watch?v=MFL5mLiaZtg
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