Les Chemins de la haute ville : Simone
Suite à sa diffusion par ARTE, retour sur le titre de Jack Clayton.
Savez-vous qu’elle a été ma réaction
à la suite de cette fameuse journée des femmes ? Je me suis dit que
j’allais organiser la journée des hommes. Que pensent toutes ces femmes ?
Que les hommes n’ont pas, eux aussi, des problèmes, des angoisses, pas de peur ?
Pensent-elles qu’ils ne sont pas vulnérables ? […] Moi, j’aime les hommes.
Je ne puis vivre sans eux.
Romy Schneider
Un caméléon, Clayton ? Oui et
non, car son premier long, Les Chemins de la haute ville
(1959), déploie déjà le « réalisme fantastique » des Innocents
(1961) et de La Foire des ténèbres (1983). Ce récit d’ambition, de
confrontation, de désillusion, ressemble en effet à une malédiction, à une
damnation, dont la dimension-démonstration a
posteriori conservatrice – chacun à
sa place, chacun dans sa classe – ne saurait en réalité dissimuler la saveur
satirique et tragique. Sorte de Rastignac « sentimental », de Bel-Ami
démuni, de Christ chevaleresque alcoolisé, bientôt tabassé, Joe Lampton donne
au « débutant » Clayton l’occasion d’une focalisation/illustration
d’une célèbre citation du presque compatriote Oscar Wilde : « Quand
les dieux veulent nous punir, ils exaucent nos prières. » Suivant son
ascension luciférienne, sa réussite de schizophrène, notre vétéran very vénère, Machiavel provincial in extremis
pris au cynisme de son propre piège socio-sexuel, épouse par conséquent la
fille friquée, convoitée, conquise à défaut d’être exquise, adieu à sa
virginité, tout de modifié et toutefois rien de changé, eh ouais, gagne la
mise, la situation, le statut, perd son sourire, son âme, son salut et surtout
la femme qu’il aimait, qui l’aimait, admirable et admirée Simone Signoret. Mais
avant de se faire « une place au sommet », traduction littérale du
titre original, Room at the Top, lui-même localisation géographique
métaphorique, il faut franchir la fange familière du quartier fauché, s’y faire
martyriser en catho puis observer par des minots de prolos guère rigolos, s’y
purifier de son péché, s’y écarter de son insupportable sentiment de
culpabilité, sinon se laver de sa lâcheté, grâce à un groupe dégueulasse de angry young men, yes indeed, scène
pasolinienne en écho explicite à la violence implicite du létal accident de
voiture verbalisé de l’esseulée Alice, sa pauvre poitrine éventrée par le
volant en VF, amoureuse malheureuse, mal mariée fumeuse-buveuse, devenue cadavre
à l’agonie, à l’infini.
On le voit, on le lit, Les
Chemins de la haute ville annonce les contes sociaux et moraux de The
Innocents, Something Wicked This Way Comes et aussi de The
Great Gatsby, transposé en 1974. Comme les gosses de James &
Capote, de Bradbury & Shakespeare, telle la gouvernante peut-être démente
embrassant un enfant, Lampton se retrouve vite au centre de forces le
dépassant, le malmenant, beau mec pas assez malhonnête pour se repaître de son
mariage pseudo-princier, jadis menacé de scandale par l’odieuse et minable
moitié d’Alice, fissa employé impuissant du diplomate papounet puissant,
aussitôt père épuisé sorti de l’église à la robe immaculée dans une liesse
lugubre de corbillard de cimetière, de route austère de désert. Remarquablement
éclairé par Freddie Francis, clerc du clair-obscur, maître des lumières et des
ténèbres, des failles et des fissures, sur lequel je ne reviens point ici, (re)lisez-moi
ou pas, solidement porté par un impeccable Laurence Harvey, Les
Chemins de la haute ville séduit en sus par sa précision, par sa
virtuosité discrète, jamais obsolète, appréciez le sens de la composition de
Clayton à chaque plan, à chaque instant, son usage signifiant de la profondeur
de champ, la pertinence de ses trompeuses et pragmatiques transparences. Le cinéaste
très estimable ne filme pas des archétypes, des pancartes, des idéologies, il
sait esquisser des blesseurs blessés, quand même capables de désir, de
tendresse, de détresse, de sincérité. Film d’amour adulte, c’est-à-dire
unissant l’érotisme au romantisme, la chaude chair au froid despair, la jalousie (masculine) stérile
et le féminisme soft, tout sauf
misandre, puisque Alice/Simone excitante, émouvante, naïve, lucide, sans merci,
magnanime, forte et fragile, « ensorceleuse » égarée au pays des
maudits, merde aux merveilles, ce métrage d’un autre âge parvient à conserver
sa beauté restaurée, son actualité d’équité déséquilibrée, au lit et au-delà.
Outre prouver, à nouveau,
l’importance de la filmographie britannique, n’en déplaise à un certain
François Truffaut molto miro et malgré le pénible psychodrame du Brexit, le persistant et poignant Room
at the Top résonne aujourd’hui avec la discutable « Journée
internationale des droits des femmes », en ce qu’il affiche des personnages
de femmes fréquentables, ou détestables, en tout cas rien moins que fades, ni
bourreaux ni victimes, ni revendicatrices ni soumises, davantage emportées par
leur(s) élan(s), par un torrent, amitiés à Minnelli & Cassavetes,
réalisateurs majeurs, fichtrement féminins, pas uniquement patriarcal et
ploutocratique. Je mentionne ainsi avec plaisir et non par pure courtoisie les
noms de Heather Sears (la vierge courageuse), Ambrosine Phillpotts (la pimbêche
fielleuse), Hermione Baddeley (l’amie démolie), Mary Peach (la petite amie
complice), toutes différemment à la hauteur, cinéphile démocratie de mon cœur,
de la superbe et suprême Simone Signoret. Mieux qu’un amalgame multiprimé de Brève rencontre (David Lean, 1945), Une place au soleil (George Stevens,
1951) et Les Amants (Louis Malle, 1958), Les Chemins de la haute ville
possède sa personnalité stylisée, singulière, douce et en colère, cercle
parfait en forme de (double) triangle adultère, à propos d’un type imparfait
aux larmes amères, salut à la Petra pas de pierre de Rainer Werner Fassbinder,
tragi-comédie en définitive à l’image mise en abyme du théâtre cruel et sensuel
de nos vies, de nos envies, hommes et femmes enfin flagrants, confiants, démasqués,
apaisés, audacieux, généreux, unis et réunis, au moins le temps d’un oui,
facticité face au curé, vérité via
l’intimité.
Eloge sensible pour ce beau film qui m'avait d'autant plus ému que je l'avais vu à l'époque où Simone Signoret endossait le rôle de Madame Rosa dans le film La vie devant soi, son beau visage tout ridé, son corps alourdi par la distillation des tourments intérieurs, vrai que Montand était un beau spécimen de séducteur talentueux danseur de music-hall, ce qui en soi n'est en rien dégradant
RépondreSupprimermais doté d'un tel caractère... imbu de lui-même et elle si...
enfin elle a vécu sa passion jusqu'au bout en avalant bien des couleuvres (Montand et Catherine sa fille...)
Que la chair est triste parfois, souvent peu importe le sexe,
si faire l'amour incline à se faire la guerre...
Pat approuve :
Supprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=IGVZOLV9SPo
http://jacquelinewaechter.blogspot.com/2021/03/les-fenetres-du-coeur-en-forme-darc.html
Supprimerhttps://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2017/03/compartiment-tueurs-ceux-qui-maiment.html
SupprimerEt merci pour le lien entre les blogs, le mien, le vôtre...