Over the Top : Aigle de fer


Routier sympa, pneu à plat…


Pour mes parents

Over the Top (Menahem Golan, 1987) possède une réputation médiocre, euphémisme diplomatique, néanmoins, malgré ses limites manifestes, cet aimable mélodrame maternel-masculin ne mérite point d’être massacré, en tout cas pas par moi, même emmuré à cause du maudit corona. Commencé sur une route en lacet survolée en hélicoptère, sur un sourire de l’esseulé Sylvester, il se termine idem, précédé par une étreinte en public, chic. Entre ces deux instants, plusieurs (me) paraissent intéressants, sur plusieurs plans. Filmé avec un professionnalisme impersonnel par l’estimable Menahem, à/pour l’occasion producteur devenu réalisateur, Over the Top en effet dépeint un portrait pertinent de son principal interprète, ici en sus co-scénariste, esquisse un instantané du ciné US, c’est-à-dire de la psyché étasunienne alors sous mandature reaganienne, dresse en outre une surprenante dystopie sexuée, je vais tout vous expliquer. Père parti, jamais on ne saura réellement pourquoi, mystère amer, de regret avoué, d’erreur à réparer ; père puni, par un grand-père millionnaire – sa villa à la Tony Montana (Scarface, Brian De Palma, 1983) se verra vite vandalisée par le conducteur ulcéré – dépourvu de la moindre pitié, hormis in extremis ; père peu à peu apprivoisé, voire l’inverse, par un fiston-orphelin formé à la mode militaire, au sens littéral de l’expression, Stallone incarne un homme dépassé, un homme du passé, un homme déclassé, regardé de haut par les parents des marmots quand il vient, évidemment « mal habillé », récupérer son propre « cadet », après les présentations silencieuses des personnages disposées en alterné montage.


Outre faire ainsi référence à ses origines prolétaires, sinon les assumer, le timide Sylvester étudie sa schizophrénie non plus économique, d’ancien pauvre transformé grâce à sa sueur, sa candeur et son script de Rocky (John G. Avildsen, 1976), en riche nouveau, en « nouveau riche », en star planétaire, en pardonnable parvenu, mais psychologique. Les explications au sujet de la casquette (re)tournée, petite méthodologie pour se muer en « machine », « faire le vide », « aller au boulot », par conséquent se glisser dans la peau de Rambo, en disent long sur la lucidité de l’artiste, sur son auto-ironie, aussi, car « il n’y a pas que les muscles dans la vie », yes indeed. La tendresse, la tristesse, la faiblesse, la détresse foncières du cher Sylvester, qui (me) le rendent si cher, ne sauraient se manifester, surtout pas au box-office, dans leur désarmante nudité, il faut donc en passer par un tournoi de bras de fer qui ma foi indiffère, compétition concon se déroulant tout là-bas, au Nevada, à Vegas ville-impasse, cf. la Nomi cynique de Showgirls (Paul Verhoeven, 1995). Il faut que la face de « Sly », jadis enfant au faciès différent, moqué, CQFD, se déforme à nouveau, comme il faut, au bord du grotesque à la Francis Bacon, fichtre, que l’excès – motif plastique jusque dans le titre, sommet à surplomber, ligne imaginaire à franchir, victoire sportive à conquérir – de figuration aboutisse à une défiguration, une doloriste abstraction, bien sûr en écho au SM de Rocky Balboa & John Rambo. Pour récupérer son « héritier » – sens duel à la Bourdieu – cultivé, d’abord imbuvable, heureusement fissa fréquentable, supporteur supportable, Stallone se doit de payer, au propre, au figuré, de passer par la case prison, de signer une renonciation d’administration, puisque sa paternité contrariée se caractérise autant par sa naïve générosité que par un tenace sentiment de culpabilité.


« Parlons peu, parlons bien », parlons d’un second « étalon italien », lui-même persona scindée, tourmentée – dans l’assez éclairant Rocco (Thierry Demaizière & Alban Teurlai, 2016), le sieur Siffredi « accuse le coup » des propos de l’un de ses gosses, adolescent certes au courant de ses discutables activités filmées, cependant très reconnaissant envers son père impeccable. Au bord des pleurs, cadré à l’arrière-plan, le « hardeur », surprise, en devient émouvant, au moins un instant. Cette scène revient en souvenir lorsque l’incarcéré, au « confessionnal », beau boulot vocal du doubleur Alain Dorval, se voit gentiment rejeté par sa progéniture réaliste. À (tous) ceux qui persistent à estimer Stallone délesté du moindre talent, de toute façon je n’écris pas pour eux, tant pis, tant mieux, conseillons de visionner ce passage et celui où le mari apprend l’imprévu décès de sa moitié hospitalisée, malade du cœur, sur le point d’être opérée, tournant décisif musiqué par les synthétiseurs en apesanteur de Giorgio Moroder, également auteur d’un joli thème verbalisé par le velu et lunetté Kenny Loggins. Au téléphone, à distance, la gracieuse Susan Blakely, toujours pragmatique, jamais pathétique, tente de réconcilier les trois masculinités, sorte d’Eurydice à moitié de l’autre côté, épuisée, obstinée. Dans Over the Top, on explore en creux un univers rempli de mélancolie, dont les femmes semblent s’être évanouies, se réduire à de dispensables silhouettes à peine aperçues, par exemple serveuse blasée, infirmière en retrait, sportives costaudes, poseuses de panneaux placées de dos, supposées sexy, ah oui. Machisme transalpin, de gros bourrin, affirment les cinéphiles féministes ; j’y vois davantage la preuve d’une perte irrémédiable, inguérissable, la mort de la Mère amoindrissant tout le reste, le décolorant, rendant le désir sexuel, sentimental, caduc, en tout cas pour le camionneur endeuillé, arrivé trop tard, blessure de hasard infligée par le moutard molto blessé, aussitôt retourné retrouver son pénible grand-papounet, qui le considère d’ailleurs à l’instar de son fils.


De ce manque immense, de cette irréversible absence, l’ombre plane constamment, disons par avance, sur ce road movie quasiment immobile, carrément désenchanté, sur cet insuccès en salle, désavoué par l’intéressé principal, réponse à une décennie de distance à l’encore optimiste Le Convoi (Sam Peckinpah, 1978). Kris Kristofferson croyait à la liberté, à la solidarité, arrivait sans vraiment le vouloir, pas sans le savoir, merci à la CB, à convaincre des confrères, des collègues, à créer un cortège contestataire, ensoleillé, émancipé, tribu de bahut à la lisière de l’utopie, reflet miroité, motorisé, de la communauté melting-potée de Josey Wales hors-la-loi (Clint Eastwood, 1976), similaire et différencié western pleinement politique, assurément sociologique. Dans Over the Top, le collectif évacué, la féminité effacée, il demeure une solitude individuelle, essentielle, existentielle, un combat avec soi, le monde au-delà, un bras de fer entre pères puis adversaires toutefois capables, ouf, de se serrer la main après s’être écrasé le poing. Fable affable sur la force fragile, sur le spectacle risible, sublime, étroitement tissé à l’intime, Over the Top s’en va de manière over the top, justement, car Stallone remporte tout, futur auto-entrepreneur désormais au volant de son « tracteur » flambant neuf, nécessaire, insulaire. L’ouvrage de Golan, co-écrit par Stirling Silliphant (Le Village des damnés, Wolf Rilla, 1960 ou La Guerre de Murphy, Peter Yates, 1971), pose une parabole morose, contredite par l’épilogue consensuel, deviné dès le début. Je le disais supra, le gagnant y perd une part de lui-même, peut-être la meilleure, quand bien même il y regagne son âme, son honneur, son statut de loyal géniteur.


Parfois poignant, servi avec sérieux par un casting compétent – citons le vétéran Robert Loggia et le juvénile David Mendenhall –, Over the Top, mine de rien, vieillit bien, réjouit les nostalgiques, évite de donner envie de vomir ou de s’assoupir, en dépit du placement de produit, de ratés ralentis, d’un troisième acte presque interminable. « Faucon » tout sauf con, défié par l’imposant et depuis trépassé Rick Zumwalt, porté sur la correspondance hélas dissimulée, les leçons de conduite (et de comportement) données, Sylvester Stallone séduit, étonne, klaxonne, cartonne. Un chef-d’œuvre dévalué ? Un récit à réévaluer.


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