La Bataille de Marathon + Esther et le Roi : 300 + Alexandre


Courir, secourir, défendre la démocratie, défaire l’antisémitisme…


Deux cinéastes estimables, estimés, s’essaient à une imagerie hier et aujourd’hui largement mésestimée : au petit jeu peu sérieux, un peu oiseux, du qui dit mieux, Jacques le juvénile jubile mais Raoul reste très cool. Bien accompagné par le seul et unique Mario Bava, ici directeur de la photographie, responsable des effets spéciaux, co-director non crédité, notre tandem d’exilés italianisés livre donc des films politiques, pardon du pléonasme, à base d’unité nationale et de judaïsme sentimental. Les historiens peuvent se récrier au sujet des erreurs accumulées, le spectateur contemporain se contrefout de la sacro-sainte exactitude factuelle. Le cinéma, pourquoi pas, possède tous les droits, hors celui d’emmerder, de se croire en train de documenter, amen – un métrage témoigne de son tournage, de son contexte socio-temporel, de ses ambitions, de ses déceptions, « cela et rien de plus », dirait le héros au corbeau de Poe. Un an à peine sépare La Bataille de Marathon (Jacques Tourneur, 1959) de Esther et le Roi (Raoul Walsh, 1960), on y retrouve par conséquent des guerres à répétition, suspectes, entre Perses et Grecs, remarquez l’uniforme parme, fichtre, dame, le duo de locaux Daniela Rocca & Sergio Fantoni, la première louve romaine assez fellinienne, allez, le second affublé d’un faux air de Rocco Siffredi, eh oui, de surcroît des chorégraphies classées érotiques et, last but not least, une femme fréquentable, des hommes aimables, des histoires de pouvoir, de vouloir, des moralités toujours animées, malgré le passage impitoyable des années, à la fois divertissantes et intéressantes. Au cœur de La Bataille de Marathon + Esther et le Roi réside le cœur d’une héroïne intrépide, indépendante, puissante, résistante.





Mylène Demongeot donne vie à Andromède et Joan Collins espère/se désespère en Esther. Si j’esquive de choisir entre les deux actrices à distance complices, je ne le fais pas par pure et cinéphile courtoisie, moins encore par rassie nostalgie, je préfère saluer leur similaire et différenciée beauté, leur talent convaincant, qu’importe les mauvaises notes des critiques-cloportes. Certes, chacune affiche son propre style, comme chaque réalisateur filme à sa façon reconnaissable, louable, je renvoie vers ma prose à propos de La Féline (Jacques Tourneur, 1942) et La Piste des géants, O.H.M.S., La Vallée de la peur (Raoul Walsh, 1930, 1937, 1947), néanmoins le diptyque d’items amènes leur doit une partie partagée de son pérenne essentiel et l’on ne veut songer à ce/ceux qu’ils pouvaient être sans elles, sans doute amoindris de leur présence amie. Tout ceci, ces transalpines péripéties, se suit avec plaisir, avec le sourire, résonne avec l’actualité d’alors, discutable concorde hexagonale, disons à quatorze ans d’intervalle, ou pas si lointaine création d’Israël. Plus sioniste que sudiste, Walsh paraphe un ouvrage ouvertement prosélyte, au cours duquel saisir, surprise, vertige de VF, le terme « holocauste », bientôt surconnoté, en tout cas à l’étasunienne TV, cf. le feuilleton homonyme, malmené en médiocre mélo par le pourtant sémite Peter Biskind, dont l’acmé sidérante, sidérée, se situe lorsque, mise en cause par le Iago de service, ah, mon précieux trésor planqué à Persépolis, menacée par un immanent massacre de masse, c’est-à-dire un génocide, maudite redite anachronique, la douce et fière Esther s’écrie « Je suis juive ! », axiome d’affirmation, de saison, à l’unisson du « Je suis Spartacus ! » en série entendu dans le titre de Stanley Kubrick (et Howard Fast & Dalton Trumbo et bien sûr le regretté Kirk Douglas, 1960).





Davantage mythique, voire mythologique, Tourneur, pareillement styliste sincère, déploie du spectaculaire, sur terre, sur/sous la mer, mince. Mylène, « menottée », se mue fissa en sirène guère sereine, en figure de proue dotée d’une robe immaculée, échancrée, qui se démène, elle qui mène idem par les sentiments son sien combat séduisant. Face à ces muses tout sauf soumises, indécises, pénibles potiches supposées titiller le chaland, le client, les valeureux Steve Reeves & Richard Egan ne déméritent pas, loin de là, s’avèrent des mecs délestés d’abject, des sportifs point passifs, des monarques démunis de morgue, leur virilité viable apprivoisée, développée, par la tendresse et la sagesse de déesses terrestres, de femmes fidèles, affables, auprès desquelles déposer les armes, en écho, in extremis. Co-écrits par l’incontournable Ennio De Concini, en sus signataire du sympathique Ulysse (Mario Camerini, 1954), Kirk, bis, des classiques Le Cri (Michelangelo Antonioni, 1957), Le Masque du démon (revoilà Mario Bava, 1960) et Salon Kitty (Tinto Brass, 1977), La Bataille de Marathon + Esther et le Roi devraient en outre parler à notre épuisante, épuisée, modernité, puisque dans le premier, l’hypocrite Théocrite philosophe de la sorte : « Nous sommes en guerre et la route est longue », pas vrai, Monsieur Macron, tandis que le second discrètement étudie un système machiste, législatif, reproductif, quand même rédimé par la double destinée, placée sous le signe de Yahvé, olé, de l’amour rencontré, de l’égalité actée (copain de Pyrrhus, le roi persan perd contre Alexandre, (re)gagne la chère Esther), où l’épouse adultère, couronnée, se répudie, traitée en prostituée, où elle danse, vengeance, en public, topless, où elle se fait ensuite étouffer sur son lit, affreux « féminicide » aussitôt dupliqué par l’exécuteur gaffeur sur la personne d’une courtisane piquée d’une parure dorée piquée, n’oublions pas le harem aux demoiselles dégourdies, à la capillarité very sixties, constitué d’enlevées victimes provinciales, d’avatars rétrospectifs de nos polémiques Miss (France), priées de poursuivre la masculine lignée.




Dans La Bataille de Marathon + Esther et le Roi, la question du mariage devient centrale, stratégique, gentiment ou non machiavélique, ruse ou malentendu, avant que les élus, tous les obstacles guerriers, intérieurs, extérieurs, in fine renversés, surmontés, ne puissent ensemble, suprême récompense, roucouler, OK. Opus olympique et biblique, drolatique et tragique, complétés de complots félons, de coups de foudre pas à la con, de rochers en carton, de royale filiation (Darius & Assuérus), de bastons et de célébrations, ces péplums à succès méritent en conclusion leur exhumation, leur résurrection, à destination des curieux à domicile, confinés ou non.


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