The Parts You Lose : Après la tempête


 « Syndrome de Stockholm » ? Communication laconique.


Le cinéma contemporain, pas seulement américain, ne vaudrait rien ? Révisez vite votre jugement injuste en visionnant le valeureux The Parts You Lose (Christopher Cantwell, 2019), parties perdues qui ne vous feront pas perdre votre temps, même probablement affranchis de votre activité/profession, estimée non nécessaire à la Nation, par le contradictoire confinement. Ce premier opus prometteur, filmé de manière millimétrée, (dé)cadré idem, manifestation angoissante de l’isolement, du champ apaisant des possibles, appréciez l’art de la composition des plans en widescreen, tourné chez Guy Maddin, c’est-à-dire, précisons, à Winnipeg, dans le Manitoba, doublure délocalisée de nordiste Dakota, OK, s’inscrit au sein d’un sillage muni d’hommages, rempli d’outrages, je vous renvoie fissa vers Les Contrebandiers de Moonfleet (Fritz Lang, 1955), La Nuit du chasseur (Charles Laughton, itou) et Comme un chien enragé (James Foley, 1986), beau trio de paternité très tourmentée, par procuration ou non, d’éducation à la dure, à l’usure, à l’imposture, de découverte du mal, majuscule optionnelle, par des enfants ou des adolescents de toute façon, d’une façon ou d’une autre, jamais vraiment innocents, mythe amnésique, rassurant, réduit en miettes par Les Innocents (1961), justement, ceux de Jack Clayton & Truman Capote adaptant of course Le Tour d’écrou troublant et subjectif de Henry James. Réflexion en action(s) sur la masculinité, son impuissance, sa violence, sa tristesse, sa tendresse, due à la plume surprenante de Darren Lemke, auparavant auteur des a priori dispensables Shrek 4 : Il était une fin (Mike Mitchell, 2010), Jack le chasseur de géants (Bryan Singer, 2013), Shazam! (David F. Sandberg, 2019) ou Gemini Man (Ang Lee, bis), mince, The Parts You Lose nous fait prendre l’air, nous distrait via son bestiaire, tigre, cheval ou puma de paraboles prodiguées par trois figures effrayantes, attachantes, d’hommes adultes, en proie au tumulte, eux-mêmes miroités par le regard d’un garçonnet sourd et muet, sérieux et taiseux, éloquent et désarmant, au sens fort du mot.


Placé par le sort et l’histoire au centre d’un triangle dangereux, audacieux, le héros minot observe ses divers modèles, improbables et pourtant probables présages par-delà son jeune âge. Qui, sur sa conscience morale en train de se (trans)former, l’emportera, imprimera sa marque déterminante, décisive, le géniteur guère farceur, plutôt frappeur, le fugitif blessé, captif in fine exécuté, le flic en costume, à lunettes, némésis maline ? Le réalisateur, passé par USC, par la BD, par la TV, ne répond pas à notre place, pas plus qu’il ne condamne en petit juge manichéen, mesquin, ses mecs amoindris, merci la vie, ni salauds ni saints, parce que nous le valons bien. Il se contente de nous quitter, de prendre congé avec le gosse assis sur son lit, pris de profil, sphinx à contre-jour venant de ranger son jeu de dames enneigé, oublié, au sein duquel sommeille une liasse de billets, cadeau d’outre-tombe, gentil et sali, pour couple au coin de la déroute, romantique, économique, amour à tendre, maison à vendre. La bague au rouge rubis ne tient pas à son doigt, bijou maléfique, horrifique, tragique, langue de prédateur langien, animal du Bengale, arrachée, métamorphosée, certes moins ironique, quoique, que la pierre précieuse de la rousse Serena bétonnée durant la coda (re)bâtisseuse de casino du Snake Eyes de Brian De Palma (1998), indice peut-être positif, assorti, précédemment, d’une réconciliation express, papounet à béquilles de l’hôpital libéré, sa commotion soignée, je vais t’apprendre, vénère convoyeur, esseulé pisseur, à punir ton fils de tes ratages en série après avoir maltraité ton téléviseur usé, avoir raconté comment ton papa à toi réparait à coup de pied sa chaudière réfractaire, amitiés au dénouement réchauffant de Shining, le roman de Stephen King, pas le film infidèle de Stanley Kubrick, récit supplémentaire d’un père au bord de la crise de nerfs.


Au milieu de ces mâles menaçants, malheureux, submergés d’amertume, de colère, encore capables de s’en vouloir le lendemain, dégrisé, au déjeuner, de rêver à voix haute, abri biblique de la grange étrange, le criminel, lui-même daron d’une gamine invisible, inaccessible, décrit, ensommeillé, son utopie jolie, à l’unisson du ciné, dit-il, au mutique « hôtelier » secret, transmission sur le seuil de la filiation, se meuvent/émeuvent deux femmes fréquentables, la sœur mimi, la mère amie. Si Danny Murphy, réellement malentendant ; si Scoot McNary, Texan tout-terrain ; si Aaron Paul, co-producteur pareil, méritent d’être remerciés pour leur apport important, leur engagement constant, dans des registres opposés, complémentaires, apprends-moi la langue des signes US, je te donnerai une méthode radicale pour fracasser ton harceleur régulier, moment immanent, souffrance défaite en douceur, devant plusieurs, on se doit volontiers de saluer la gracieuse Charlee Park et surtout de féliciter la talentueuse Mary Elizabeth Winstead, unique motif de se farcir les médiocres Boulevard de la mort (Quentin Tarantino, 2007) et The Thing (Matthijs van Heijningen Jr., 2011), qui compose ici une mère remarquable, lectrice d’horoscope comme on surnage au-dessus de la flotte. Parfois poignant, je pense aux étreintes de Wesley et sa maman, de Wesley et du type anonyme, je ne peux pas t’emmener, tu le sais, je parlais, je me projetais, pardonne-moi, casse-toi, laisse-moi partir, la fusillade subir, toujours stimulant, parce que troussé par un vrai cinéaste, présent du premier – panoramique perché, venté, quasiment à 360 degrés, sur un paysage de naufrage, de vacuité, de virginité, rotation-description d’une abstraction – au dernier plan – déjà détaillé, donc –, à chaque instant, The Parts You Lose ne perd rien en immobile chemin, perçoit tout, bus scolaire, bonnet rouge, barque blanchie et compagnie, prend son temps, intense lentement, déguisé pour le business par la bande-annonce en thriller passe-partout, relou.


Trop peu distribuée, trop peu relayée, cette évidente réussite, tout sauf démagogique, pathétique, psychologique, psychanalytique, séduit par sa modestie, sa complexe simplicité, sa beauté, beau boulot du directeur de la photo Evans Brown, par le soin accordé aux destins d’êtres étasuniens enfin humains, pas de pantins hollywoodiens, de super-héros super zéro. Christopher Cantwell, on espère sans tarder entendre de ses nouvelles, s’adresse à des spectateurs dotés d’un œil, d’un cerveau, d’un cœur, organes désignés par le titre polysémique, mélancolique, mimétique de ces mille morceaux de soi, pas le choix, cédés dans la douleur pour prix de l’apprentissage, à l’instar de ce doigt supposé croqué par le mammifère rayé. Grandir, on le devine, on s’en souvient, équivaut à mourir, à muer, à muter, à se dépasser, sinon à se renier. Au jeu odieux, précieux, de l’existence délestée de transcendance, on perd tous in extremis l’ultime partie, le regretté Max von Sydow le savait depuis longtemps, depuis une célèbre scène d’échecs immortalisée par le maritime Ingmar Bergman (Le Septième Sceau, 1957). Au terme du conte éducateur, mélange majeur de confiance et de frayeur, d’armes et de larmes, Wesley crie « Non ! » puis se tait, ainsi s’expriment sa neuve maturité, son antique liberté, échos des nôtres, grands enfants auxquels fournir, à proximité du pire, des moralités animées, des raisons de ne pas désespérer, ni du ciné, ni de la réalité, ni de notre ascendance, ni de notre descendance, à la fois perdus d’avance et cependant dignes d’indulgence, d’une « seconde chance », voire d’une rédemption ou disons d’une délivrance.


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