Les SS frappent la nuit : Les Tueurs
Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Robert
Siodmak.
Si vous connaissez La
Nuit des généraux (Anatole Litvak, 1967), Les SS frappent la nuit
(Robert Siodmak, 1957) ne vous surprendra pas, pas totalement, en tout cas. On
y découvre/retrouve, pour ainsi dire par avance, à dix ans de distance,
d’écart, une doublement sinistre histoire, à base d’insanité personnalisée, mondialisée,
de meurtres en série et d’assassinats d’État. Pourtant, pas encore de
prostituées trépassées, ni de furieux Führer à défaire, sens militaire ;
quant au blême tandem de Peter
O’Toole & Omar Sharif, il se voit précédé par un duo point falot, composé
par Claus (Holm) & Mario (Adorf), le commissaire et l’idiot. En dépit de
son titre français excessif, exagéré, à rapprocher du semblable, racoleur Requiem
pour un massacre (Elem Klimov, 1985, au lieu de l’impératif, objectif Va et
vois), malgré son intitulé original (La nuit, quand venait le Diable)
lui-même banal, bancal, au romantisme kolossal, Les SS frappent la nuit
s’avère vite un ouvrage drolatique et in
extremis tragique. De retour chez lui, en Germanie, après un voyage
hollywoodien, parce qu’il le valait bien, Siodmak semble en apparence moins
amer que Julien Duvivier son confrère, au destin similaire, différencié, qui
osa, via Panique (1946),
d’ailleurs adapté du Belge Simenon, dépeindre sa patrie en proie au
machiavélisme et à l’antisémitisme, à l’heure où le roman national gaulliste,
d’unité restaurée à tout prix, au prix du pragmatisme, sinon du révisionnisme,
sévissait, eh ouais. En réalité, son métrage à succès, très soigné, très primé,
lucide et ludique, n’épargne personne et surtout pas la supposée race des
seigneurs, ramassis de bouffeurs, de baiseurs, de buveurs, de fumeurs et, bien
sûr, d’exécuteurs, mention spéciale au quasi
sosie de Goebbels, doté d’un œil immaculé.
Le flic sympathique, séducteur,
vétéran boiteux, enquêteur rigoureux, finira rétrogradé au rang de simple
soldat, emmené, en train de copains, vers une mort imminente, dommage pour sa
charmante assistante, elle-même menacée, fissa exilée, direction Stockholm,
merci à son cousin, aviné brave homme en uniforme. L’innocent accusé, resté à
l’arrière durant la guerre, muni d’une moustache imitative, et l’affable fada,
pas autant entiché d’enfants que le monstre magnifique, magnétique, pathétique,
de l’impressionnant Peter Lorre (M le maudit, Fritz Lang, 1931),
autre cartographie de la folie en reflet, disparaissent aussi sec, discrètement,
mensongèrement, ainsi rend un simulacre sanglant de justice le régime nazi, le
président du tribunal opine. Instrumentalisé, le policier-tapissier ne sut
s’apercevoir du double jeu de l’impitoyable pouvoir, sa volonté de vérité,
d’altruisme mobile et d’honneur majeur, comme si une seule bonne action pouvait servir de rédemption aux collectives
exactions, eh non, en définitive retournée contre lui, puisque
l’identification, frémissez à l’assez superbe scène sensorielle de
reconstitution, aboutit à une légitimation, celle de tristement célèbres
théories raciales, puisque le secret doit perdurer, pas question de saper la
confiance du peuple, de remettre en question l’infaillibilité de la sécurité,
de la Sûreté, de la Criminelle au plafond crevé, danke aux bombardements
alliés. Dramatique et ironique, trivial et jovial, Les SS frappent la nuit dialogue
à distance avec le davantage mélancolique, itou teuton, Ça s’est passé en plein jour
(Ladislao Vajda, 1958), (re)lisez-moi, annonce à sa mesure mesurée la vague du
Krimi à venir, par exemple La Main de l’épouvante (Alfred
Vohrer, 1967), sur lequel j’écrivis, voui, anticipe le contre-la-montre mortel
du journalistique et judiciaire Jugé coupable (Clint Eastwood, 1995),
se souvient, évidemment, de l’expressionnisme allemand, remarquez que le DP
Georg Krause éclaira ensuite Les Sentiers de la gloire (1957)
d’un certain Stanley Kubrick, néanmoins tamisé par un réalisme d’actualité, à
la fois poétique et politique.
L’heuristique, on le sait, fait du
ciné sans le savoir, il s’agit, en s’agitant, de mieux voir, toutefois que
faire, j’en désespère, mes frères, lorsque la propagande empêche la précision, lorsque
la culpabilité décuplée décide de fabriquer de parfaits coupables (le vrai
Bruno, un cas trafiqué à réhabiliter, qui sait ?), lorsque la fin (de
règne, du Reich) justifie les moyens (forcément aryens) ? Prendre la
fuite, cf. le couple supra, ou alors,
de façon protectrice, cynique, jouer à l’amnésique, ultime présence-absence et
défense en partance du réintégré trop zélé. Incarné par un casting choral impeccable, incluant une séquence de suspense sémite et solitaire poignante, cette
moralité amère, à rapprocher de l’oubli volontaire de La Longue Nuit de 43
(Florestano Vancini, 1960), hier envisagé-recommandé par votre cinéphile
serviteur, séduit par sa constance, sa pertinence, délestée d’esprit de
revanche, animée par une adulte et divertissante exigence, de surcroît ponctuée
d’une réplique sarcastique, aujourd’hui prophétique : « Sale
époque ! Mieux vaut se laver les mains », mais vous le savez bien,
hein ?
Intéressant billet qui fait les liens entre divers protagonistes, thèmes, faits et occultations salutaires politiquement parlant, "Quand la France graciait deux SS de haut rang" : https://www.nouvelobs.com/monde/20150805.OBS3750/quand-la-france-graciait-deux-ss-de-haut-rang.html
RépondreSupprimerMerci aussi de ceci.
Supprimerhttps://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2020/03/de-gaulle-loperation-corned-beef.html