Il n’y a pas de rapport sexuel : Distance, obéissance, jouissance
Coronavirus ? Coitus interruptus.
Ne nous laissons pas impressionner, agissons avec force, mais retenons
cela, le jour d’après, quand nous aurons gagné, ce ne sera pas un retour aux
jours d’avant.
Emmanuel
Macron
It’s hard to love there’s so much to hate
Hanging on to hope when there is no hope to speak of
And the wounded skies above say it’s much too late
So maybe we should all be praying for time
Écrivons en économiste : la
pandémie du coronavirus impacte le
cinéma en général et celui classé pornographique en particulier. Auparavant, au
temps d’avant, instant amusant, nostalgie jolie, après une scène sexuelle qui
laissa des traces sur un canapé immaculé, ensuite souillé, peut-être au sperme,
à la cyprine, à la sueur, que sais-je, l’aimable « MILF » Marina
Beaulieu dut se justifier auprès du réalisateur nettoyeur de s’être bien sûr lavé
les mains, nom d’un chien. Hélas, sur un tournage de ce type, tel geste
recommandé, rabâché, en société, ne suffit plus, désormais, à (r)assurer la
sécurité des performeurs, « petits soldats » de la « petite mort »
prodiguée avec effort, rarement avec transport, dommage, ratage, try again,
mon roi, ma reine, placés en première ligne d’une maladie décimant aussi les
« civils », terme martial du milieu emprunté au lexique de
l’articulée Émilie Delaunay, aka la
callipyge Liza Del Sierra, récente héroïne « sur le retour » d’un
court métrage dont j’utilise deux images (Pornstar, Maxime Caperan & Thomas
Finkielkraut, 2019), elle ne m’en voudra pas. Mettons-nous à jour en
journaliste : des sites estampillés spécialisés osent la temporaire gratuité,
les contenus en « solidaire » accessibilité, en réponse à des
demandes d’abonnement en hausse, au confinement imposé, voire l’inverse ; le
mogul Marc Dorcel s’intronise par ses soins opportunistes en partenaire
quadragénaire du télétravail en quarantaine, quelle aubaine ; des saynètes
suspectes, aux masques ad hoc,
apparaissent subito presto et, last but not least, des syndicalistes US proposent une suspension
des productions jusqu’à la fin du mois, aux USA et au Canada, voilà, voilà.
Tout cela ne vous rappelle
rien ? Tout ceci me fait me souvenir de Café Flesh (Francis Delia
& Stephen Sayadian, 1982), (re)lisez-moi, please, dystopie peu priapique à base de MST et de cinéma méta,
surgie à l’orée du tsunami du sida. Certes, plus encore qu’une autre,
l’industrie du « divertissement adulte », ainsi qu’elle se nomme
elle-même outre-Atlantique, euphémisme ludique, méconnaissant la dimension
mélancolique d’une imagerie honnie, néanmoins mondialisée, je me permets de
(vous) renvoyer vers ma prose à propos du porno, « empire de la
tristesse » simple et complexe, superficiel et essentiel, surtout selon
une perspective (de) cinéphile, sait se soucier de sa santé, par la force des
choses moroses, par la nécessité des tests,
par la taille en définitive réduite d’une « communauté » d’activités,
d’intérêts, à la dimension autarcique, sinon incestueuse. Toutefois le
COVID-19, au fond pas si neuf, fléau fameux sous des formes différentes, « pré
carré » apocalyptique depuis longtemps exploré en littérature, en BD, sur
grand écran, à la TV, réussit par conséquent, à présent, là où autrefois, au
siècle dernier, en pleine période de magnétoscopes reaganiens, mitterrandiens,
vive l’onanisme à domicile, le consumérisme d’aérobic, le HIV échoua. Priés de
respecter la doxa tardive de la prophylaxie étatique, voici nos
« professionnels de la profession », davantage préoccupés de
godemichés que des expressions satiriques de Jean-Luc Godard, on leur pardonne,
obligés d’obéir, de se prémunir, de se préserver, s’il vous plaît, cessez fissa
de copuler, d’être enfilé(e), d’être filmé(e), amen.
Rattrapé par l’impitoyable
« principe de réalité » du farceur Freud, le secteur fantasmatique,
épuisant fabricant de conte de fées-fessées pour adultes consentants,
spectateurs passifs, en (bonne) position à la maison, loin du tumulte social,
sentimental, trivial, puisque la pornographie participe à sa manière guère
austère d’un puritanisme implicite, d’un conservatisme confortable – elle
possède quelques qualités, n’en déplaise à ses opposants, elle pourrait,
débarrassée de sa paresse, de sa mollesse, de son obsession du commerce,
parvenir à surprendre, attiser, transcender les immanents mystères de la chair,
au moins leur représentation souvent à la con, cinéma mainstream ou non –, se doit donc de repousser ses siennes avances,
de procrastiner sa jouissance, c’est-à-dire la mienne, la tienne, celle, multipliée,
simulée ou sincère, de ses fragiles « fonctionnaires ». Tandis que la
Terre entière donne l’impression de ses terrer entre quatre murs, reste chez
toi, prends soin de toi, épargne-moi, congédions nos agendas, que les nations
soumises à l’effet domino pénètrent lentement mais sûrement, nice and slow, supplie la partenaire sur
le set aseptisé, pasteurisé, au
propre, au figuré, au sein d’une ère de récession, certains envisagent déjà des
nationalisations, réplique ironique du capitalisme contemporain tenté par le
modèle communiste, stalinien ou point, hein, les populations apeurées peuvent
se palucher, élections et réformes franco-françaises décalées sine die, ouf.
J’écrivis jadis, dans un texte dont
l’intitulé, Derrière la porte rouge, adressant un clin d’œil coloré,
renversé, au mémorable item de la
regrettée Marilyn Chambers (Derrière la porte verte, Artie &
Jim Mitchell, 1972), que le seul fait de disposer d’un corps faisait de vous un
personnage de film dit horrifique. Aujourd’hui, le réel déraille, la panique
patiente, les rues capitales ou provinciales se vident, couvre-feu à prévoir,
et l’on s’attend presque, passant esseulé, de son « attestation de déplacement
dérogatoire » lesté, à croiser des zombies,
des survivants, des résistants. Comment résistera, justement, le « film X »
face à pareille crise ? La question peut paraître anecdotique alors
qu’elle reflète une interrogation tragique : comment (s’)aimer en mars
2020, parmi nos misères sanitaires ? Les « nouvelles solidarités »
prônées par le président transparent, franchement, on s’en méfie, on s’en
fiche, personne n’attendit ni lui ni le corona
pour essayer de se comporter en être droit, défi remporté ou pas. Ce
questionnement crucial, au cœur du sexe enregistré, de la vécue sexualité, pas
la même chose, parallèle et non symbiose, le refroidissant et prophétique Café
Flesh le résolvait à sa sinistre et spectrale et spéculaire façon,
noces funèbres, funestes, du public et du privé, de l’anonymat et de
l’intimité, du spectaculaire et du mortifère, les deux domaines séparés par une
imperceptible paroi en verre, dorénavant le rectangle (le « carré blanc »
d’antan) de ton ordinateur masturbateur. Tu espérais l’extase ? Tu te
coltines ta solitude. Tu croyais pouvoir te mettre à l’abri, entre des bras
amis ? La paranoïa empêche cela, car les bien-aimés se révèlent capables
de te contaminer, eux-mêmes parfois « porteurs sains », tu ne t’étonnes
plus des (dé)tours du destin.
Si l’on dégage l’orgie domestique, pathologique,
sarcastique, frénétique, de Frissons (David Cronenberg, 1975),
que nous reste-t-il, espèce tactile, volubile, volatile ? « Prier
pour du temps » apaisant, purifiant, comme le préconisait un George
Michael clairvoyant, dans l’espérance dépourvue d’indulgence que la laideur, la
stupidité, l’inculture, la cruauté, l’exploitation, l’insanité, nos démons
familiers, périssent les premiers, CQFD.
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