Dream House : L’Invraisemblable Vérité
Investir, réinvestir, se livrer, se délivrer…
Dream House (Jim Sheridan, 2011) débute donc par
une démission : le solide et mélancolique Daniel Craig se casse de sa
maison d’édition à la con, mausolée enneigé pris en contre-plongée. Le voici
vite chez lui, en famille, à nouveau domicile, home sweet home fissa victime de hom(m)e invasion. En vérité, Will n’écrit pas un roman, il le vit à
cent pour cent, et le cinéaste, au côté du scénariste David Loucka, prend bien
soin de semer des indices – gare au miroir d’interrogatoire – à l’attention du
spectateur attentif, une fois de plus prié d’expérimenter la subjectivité du
ciné, sinon la sienne, petit exercice existentiel. À la moitié de sa durée, l’opus par conséquent se renverse, inverse
son point de vue, au lieu d’une révélation confère une confirmation – la dream house s’avère davantage qu’une
maison de rêve, une maison rêvée, en réalité, où la réalité, justement, se
retourne tel un gant. Dessillé à la Œdipe, Peter se confronte enfin à sa
supposée culpabilité, fossoyeur de sa femme et de ses deux enfants, ensuite pensionnaire
d’asile récemment affranchi. Le récit pourrait s’arrêter ainsi, mais il se
poursuit, merci à la voisine avenante, à son mari machiavélique, père-propriétaire
very vénère, à son exécuteur gaffeur doublé
d’un child killer, fichtre. Au final, tout s’enflamme, purification de saison,
purgation des tristes passions, dernier adieu aux disparus précieux. Mallarmé,
on le sait, justifiait le monde par la littérature, « l’être-là »,
dirait Heidegger, en matière médiocre à métamorphoser afin d’« aboutir à un beau
livre », amen. La coda du
mal-aimé Dream House démontre cela, montre le protagoniste esseulé,
cependant apaisé, en train d’aviser la vitrine de son Dream House à succès, démultiplié,
mise en abyme magnanime.
Tout ceci, tourné en Ontario, peut
rappeler Spider (David Cronenberg, 2002), et la régulière Carol Spier
décore encore, et l’Elias Koteas de Crash (David Cronenberg, 1996)
inquiète again en croque-mitaine. On
songe aussi aux fuites psychiques et aux twists
ironiques, tragiques, de Lost Highway + Mulholland Drive (David
Lynch, 1997 + 2001), Naomi Watts en point commun supplémentaire. Néanmoins,
Hollywood oblige, la société de production pèse et spolie, à contrecœur le
réalisateur en colère, classique, précis, épaulé par le doué directeur de la
photographie Caleb Deschanel (Killer Joe, William Friedkin, 2011, bis), va au-delà du suspense identitaire, dépasse le pessimisme, rédime le meurtrier,
le transforme en sauveur, a fortiori se
fiche du fantastique, des fantômes armés, eh ouais. Cette part du métrage, sans
paraître un outrage, plutôt un tripatouillage de remontage, (m’)intéresse assez
peu, avouons-le, car la vraie valeur du modeste et sincère Dream House
se situe ailleurs, dans sa saveur de mélodrame heuristique, heureusement débarrassé
de tics, c’est-à-dire de pénibles jumps
scares et d’une perspective
régressive. Portrait adulte d’un couple d’adultes, Rachel Weisz & Daniel
Craig – (re)lisez-moi, pourquoi pas, à propos de The Deep Blue Sea
(Terence Davies, 2011, ter) et À couteaux tirés (Rian Johnson,
2019) – d’ailleurs en couple derrière l’écran, depuis longtemps, depuis leur
rencontre sur le set, chouette, l’entremetteur
Dream
House émeut en mineur, carbure à la douleur, conte (de fées perforées) d’hiver
soigné, endeuillé, accompagné dans sa quasi
intégralité, punaise, par la partition inspirée, très orchestrale, un brin
chorale, de l’estimable John Debney (La Fin des temps, Peter Hyams, 1999
ou La
Passion du Christ, Mel Gibson, 2004).
Sa grâce, son élégance et son
intensité doivent beaucoup à celles de ses principaux interprètes, beau boulot
d’un beau trio ne méprisant jamais son matériau. Acte de foi dans les
puissances thérapeutiques et résilientes du cinéma, sa capacité à divertir, au
sens étymologique du terme, à faire diversion, à illusionner pour de bonnes
raisons, à (re)donner envie de (sur)vire, s’éclaircir les idées, les
traumatismes dépasser, une ultime fois embrasser d’éternelles bien-aimées, Dream
House séduit à sa mesure, ne méritait pas sa critique déconfiture, de
surcroît doté d’une freudienne architecture, d’un thé isolé, entre gosses
dissimulées, assassinées, à la Lewis Carroll puis d’une poignante pietà rétrospective,
disons en diptyque. À l’heure où le réel, pas seulement en France, ressemble à
un film d’horreur, le film renié du décédé Jim Sheridan (re)vient nous
remémorer de ne pas désespérer, de considérer les images, mentales ou non, en
amies, en baumes, en amitiés embaumées, temporairement immortalisées ; nous
inviter à fréquenter des femmes fréquentables, affables, fortes et fragiles, in fine défuntes ; nous inciter, surtout,
à stimuler notre imagination, à (re)chercher une solution, peut-être bien un
vaccin, un frein. Le salut, en tout cas si l’on doit être sauvé, discutable
dignité, réside en effet ailleurs que dans la panique, la peur, l’appel à une
amnésique « union sacrée », une oublieuse solidarité – l’hôpital hexagonal
fonctionne mal ? Les soignants épuisés s’y blessent, protestent, les
futurs retraités désavantagés, horizon noir, se marrent, Monsieur Macron,
social démolisseur et orateur à prompteur, un peu moins, hein ? – et le
cinéma, il le prouva déjà, survivra à ça, crois-moi.
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