Pacte avec un tueur

 

Un métrage, une image : Le Combat dans l’île (1962)

Il convient de l’avouer : on s’attendait en sourdine à la matrice de L’Insoumis (Cavalier, 1964), mais ici l’Algérie, indépendante depuis, deux mois avant la sortie, n’apparaît que pendant une réplique, l’extrême droite à l’épithète se limite, l’OAS reste en retrait, société secrète de chasseurs menteurs, sinon amateurs. On sent vite que tout ceci, à l’instar de l’auvergnate zone libre, à maréchal infernal, des réfugiés d’Argentine, naturellement allemands, du pedigree colonial de l’instructeur dénonciateur, n’intéresse Cavalier qu’en surface, lui-même mis en abyme, en reflet fugace, sur la glace d’une DS plus funèbre que celle de Fantômas (Hunebelle, 1964). À l’instar de Irréversible (Noé, 2002), au passage (souterrain, utérin) autre triangle d’enfance, de désespérance, Le Combat dans l’île documente d’abord, d’accord, l’évidente, émouvante, complicité d’un couple pas seulement, ensuite, de ciné, Romy Schneider & Jean-Louis Trintignant substitués à Monica Bellucci & Vincent Cassel. La tendresse et la détresse de la première, la douceur et la violence du second, confèrent au sombre conte, commencé en pleine nuit, à Paris, cauchemar de l’histoire, de l’Histoire, à l’onirisme de facto renforcé par la post-synchro, une sorte de réalisme sentimental immédiat. L’Anne d’Allemagne annonce aussi la Nadine Chevalier de Żuławski (L’important c’est d’aimer, 1975), ancienne comédienne qui quitta la scène à cause de sa médiocrité, de son accent accentué, de l’inclément Clément. Auprès de Paul, imprimeur de tracts tout sauf à droite, gentilhomme pas à la gomme, propriétaire convivial d’une chaumière rurale, un chouïa à la Chabrol, la tension musicale du camarade Serge Nigg en rime à celle du Matthieu de Claude, d’un moulin sans malice puis du supplice, salut au quasi homonyme de Ferroni (Le Moulin des supplices, 1960), elle reprend goût à la comédie, à la vie, elle n’avortera pas, dommage pour le voyage genevois. Si ce vaudeville dépressif dialogue à distance avec celui de Une femme mariée (Godard, 1964), il n’en affiche la frivolité, moins encore les décadrages surdéterminés. Dialogué par Rappeneau, scripté par sa sœur Élisabeth, décoré par Bernard Evein, éclairé par Pierre Lhomme, « supervisé » par Malle, que le cinéaste assista, oui-da, notamment sur Les Amants (1958), Le Combat dans l’île séduit aujourd’hui, en raison de sa lucidité acérée, de sa singularité racée. Attentif, aux sujets, aux objets, aux visages, aux paysages, précis, inspiré, audacieux, taiseux, le réalisateur délivre un premier film remarqué, remarquable, dont le classicisme économique procède, en réalité, de l’épure passionnelle, pulsionnelle, foyer glacé affirmant l’infantilisme du terrorisme, la malédiction ou la bénédiction de la trahison. Fils de friqué, jaloux déjà costumé en conformiste fasciste (Il conformista, Bertolucci, 1970), l’électrisant Trintignant ne peut que perdre son duel contre l’excellent Serre, aussitôt, à nouveau, adepte du trio, suivant le sillage du Jules et Jim (1962) de Truffaut. Démuni de manichéisme, de moralisme, l’opus poétique et politique demeure l’un des meilleurs de l’auteur, austère et exemplaire…

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