L’Homme pressé

 

Un métrage, une image : La Race des « seigneurs » (1974)

Delon & Rome en Dior, Moreau en Ungaro, Rich en Smalto. Placement de produit, entre la France et l’Italie, défilé de mode, à la gomme, mannequins malsains, anciens, à rien ? Film funèbre, autofiction de dépression, de compromission, métrage mental, dont la temporalité perturbée, parasitée, annonce celle de Enquête sur une passion (Roeg, 1980). Celui-ci fini, revoilà Theresa, survivante, inclémente, munie d’une cicatrice de trachéotomie, à la Liz Taylor, d’accord. Ici, Sydne d’abord s’endort, ensuite ne se réveille, présente et pourtant partie, à l’infini. Julien, ni serein ni Sorel, se souvient d’elle, (la) pleure à l’extérieur, arrivé encore trop tard, « libéral de gauche » auquel un président de droite fait une offre dédoublée – affaires sociales + industrie, ça vous dit – à ne refuser. Dans sa DS à la Barthes davantage qu’à la Fantômas, au chauffeur qui se fiche des manifs – « CRS SS », Pasolini n’opine – puisque gaulliste, fichtre, il téléphone – il pulvérise les prises – à un fantôme, à une fille d’affiche à foison, de magazine à masturbation, pas facile, pas si « crazy », mais modèle, Américaine, ensommeillée, suicidée. Dirigé par le sobre et sincère Granier-Deferre père, Denys l’assiste, tandem de La Veuve Couderc (1971), du Toubib (1979), l’acteur – « comédien » crache la copine – s’acoquine à un producteur un brin chabrolien, suit le script de Pascal Jardin, issu du bouquin de Félicien (Marceau, Goncourt à gogo), se dégage du jazz de Sarde, Grappelli compris, de trois ans précédant Mort d’un pourri (Lautner, 1977), opus politique a priori aussi. Pragmatisme, romantisme, jeunesse, vieillesse, clique, clinique, amitié, morosité, La Race des « seigneurs » multiplie les opposés, esquisse le fils, une scène réserve à la mère. Le cinéaste ne cède à la morale, manichéenne, voire pompidolienne, il observe un ambitieux amoureux, malheureux, un « arriviste », titre italien évocateur, réducteur, prisonnier, à l’insu de son plein gré, d’un milieu odieux, d’un « métier » dégueulasse, à peine rendu « supportable » grâce à sa « première place ». Construit en boucle bouclée, au passé dé/recomposé, à la lumière mortuaire de Wottiz Walter, La Race des « seigneurs » immortalise la beauté ensoleillée, la distinction enténébrée, le silence de mausolée ouaté, le mouchoir mouillé, à modeste domicile, de femmes fortes et fragiles, tout sauf faire-valoir, peu à peu en proie au désespoir, tandis que Delon, déguisé, dégrisé, se dévoile douloureusement, admirablement, mis en abyme, abîmé au carré, séducteur, destructeur, invivable, émouvant, difficile d’accès, mec honnête, à cœur ouvert, lorsque sa persona se déclare en train de « crever », à cause de sa cassandre Creezy « bouleversé ». Deux années après la superbe noirceur du Professeur (Zurlini, 1972), cet item assez méconnu, désormais bienvenu, simulacre de démocratie, à vomir au meurtrier mois d’avril, où « gouverner c’est savoir se salir, c’est avoir de la merde jusqu’au cou », si l’on en croit Sartre, ses citées Mains sales, constitue comme un requiem, de l’idéologie, collective, de l’utopie, individuelle, au vainqueur vaincu, au cafard de star, d’étoile noire, mirage au miroir.

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