Fahrenheit 451

 

Un métrage, une image : The Bookshop (2017)

La bande-annonce dynamique, sinon nostalgique, donne à envisager une comédie dramatique, scandaleuse en sourdine, moins choc que chic, alors que voici, en définitive, une tragédie feutrée, servie, surprise, par sa forme téléfilmée, son rythme cacochyme, où deux éclats, de voix, à distance, en correspondance, colère amère, émissaire, cimetière, ressemblent à des séismes, baisent en tandem la rance bienséance, incarnent une aristocratique reconnaissance, tant pis pour l’impuissance. Ni reconstitution à la con, ni apologue de Nabokov, ni éloge de la lecture, ni visite de villégiature, l’item s’affirme en film funèbre, à la grisaille de funérailles, en requiem maritime et rural, en « rêve réalisé, arraché », parti, de façon littérale, en fumée. Point de pompiers pyromanes, malgré Ray Bradbury & Julie Christie, pas de Fahrenheit 451 (Truffaut, 1966) en filigrane, toutefois un autodafé final, enfantin, revanche de ruines prise le sur le pénible destin, c’est-à-dire la casse d’une classe, la duplicité d’une pseudo-bonne société, que symbolise une « harpie blessante et répugnante », yes indeed. Auparavant, l’ermite se chauffait avec des pages, pragmatique outrage, reclus un peu misanthrope, au manoir quasi gothique, de Bête à la Cocteau, sa persona démystifiée illico. Jadis Icare de la RAF, Edmund ne se transforme in fine en prince en effet charmant, charmé, victime d’un charme et sauvé via l’amour aveugle à sa supposée bestialité, car il claque d’une crise cardiaque, preuve qu’il possédait un cœur, bienheureux malheur, au contraire de sa salope d’adversaire. Aussi Florence, sans foyer, sans fric, doit fuir, s’enfuir, dos tourné, d’un foulard coiffée, pas autant coloré que celui conservé dans la poche de l’ange gardien, décédé sur le seuil du jardin. Certes, la coda contemporaine, claire, sereine, sourire en sus du dédicataire John Berger, écrivain du coin, scénariste de cinéaste suisse, Alain Tanner, mon cher, remet le récit en perspective, le dépasse, l’apaise. Pourtant s’imposent l’impression de déploration d’un gâchis de vies, la prégnance d’une romance tendre, au goût de cendres, le parfum sec, honnête, d’une défaite, vive la vilaine Violet, capitaliste légaliste. Chez Scorsese (Shutter Island, 2010), les impeccables et (im)pitoyables Emily Mortimer & Patricia Clarkson interprétaient le même personnage, perçu diversement ; ici, elles s’opposent par procuration, combat économique et symbolique, d’une Angleterre aux âmes encore marquées par la guerre, esquissée entre conservatisme et nouveauté, collusion et sincérité, individu et communauté, ensuite (in)soumise au swing(ing) des sixties (London d’accord), à la liberté du ciné (Free Cinema etc.). Flanquée du fidèle dirlo photo et cadreur français Jean-Claude Larrieu (Le Garçu, Pialat, 1995), la réalisatrice espagnole récompensée Isabel Coixet adapte, paraît-il à la virgule près, l’ouvrage a priori un brin darwinien de la Britannique Penelope Fitzgerald, mis en abyme in extremis, magnifie Bill Nighy, affiche en couturière la chère Frances Barber, ressuscite le souvenir de Cyclone à la Jamaïque (Mackendrick, 1965), confère à sa libraire, no tango, la tactilité spatiale de Brando.        

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