Insidious

 

Un métrage, une image : The Block Island Sound (2021)

Personne pour confondre les frères McManus avec Carpenter, surtout celui de Fog (1980) et L’Antre de la folie (1995), car leur troisième effort ressemble fort à un téléfilm au format widescreen, à un petit produit presque insipide, tourné en numérique et destiné au pseudo-ciné en ligne, fix de Netflix, d’ailleurs ancien employeur du tandem amène. Quant au casting, il provient aussi, en majorité, de la TV, cela se sent assez souvent. Cependant tout ceci ne doit faire écran, dispenser d’écrire au sujet de tout ce que leur film peut offrir, à condition d’accepter son rythme languide, son environnement livide. The Block Island Sound se situe donc du côté du Rhode Island, c’est-à-dire délimite l’État malsain d’un certain Lovecraft. Sur place, en dépit de la capitale homonyme, point de Providence, dégagez Resnais, encore moins de monstre marin, d’« innommables » mais dénommés « Grands Anciens », parce ce qu’ils le valaient bien, davantage un mélodrame familial façonné en famille, la grande sœur Michaela en sus du voyage, l’un des principaux personnages. Eux-mêmes du coin, ex-étudiants de campus privé au Massachussetts pas loin, les barbus frangins se fendent d’un opus vraiment indépendant, que d’aucuns estimèrent barbant, sans doute déçus de la visibilité de l’invisible, du suggestif décisif, de la peur opérée un peu à la Tourneur. Doté d’un intitulé topographique et phonique, The Block Island Sound décrit une insularité isolée, désolée, qui carbure à l’alcoolisme et au complotisme. Fi de virus à couronne, voici l’électro-ménager qui (re)déconne, comme dans Le Démon dans l’île (Leroi, 1983), justement, ou le suivant Réveillon sanglant (Warren, 1987), autres items d’îles de périls. Des oiseaux à la Poe, hécatombe à la Hitchcock, des tonnes de poissons sur les plages, quel écologique dommage, un cerf écrasé, par la lumière des phares piégé, des clébards furibards, fissa disparus, complètent le tableau de zoo guère rigolo. Le pire reste à venir, le père solitaire, dépourvu d’épouse, paraît ne plus s’appartenir, automate à bateau en écho à ceux, autant hurlant, de L’Invasion des profanateurs (Kasdan, 1978). Conte pas con d’hérédité endeuillée, de triangle domestique et des Bermudes, de fantastique atmosphérique transformé in extremis, in fine, en SF salvatrice, sinon observatrice, The Block Island Sound cartographie, lesté d’empathie, un tumulte adulte, un cauchemar WASP, où la démence de Amour (Haneke, 2012) se (re)pointerait en camping-car patraque, paranoïaque. Les McManus montrent une Amérique nordiste esquissée en maritime cimetière, remplie de cœurs en hiver, salut à Sautet, d’hommes très tourmentés, orphelins, infantiles, amoureux malheureux, de femmes fortes, lucides, intrépides, tendres et magnanimes. À nous la mélancolie, la folie, la terreur de l’altérité ; à vous la raison, l’horizon, la détermination, la respiration après le plongeon, moralité douce-amère d’un métrage sombre et clair, au ravissement envoûtant, lyrique et ironique, à la pseudo-science (bis) de l’esprit impuissante, d’un requiem de masculinité manipulée, à la féminité avide de (sur)vie…                           

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