L’Homme aux mille visages
Un métrage, une image : Mesrine (1984)
« Il n’y a pas de héros dans la
criminalité » résume Mesrine, cadavre d’automobile, pare-brise percé d’une
pluie de projectiles, Sylvia blessée, sortie, clébard occis. Cinq années après
ce décès controversé, vingt-quatre ans avant le diptyque assez anecdotique,
très longuet, de Richet (Mesrine, 2008), le producteur de La
Gueule ouverte (Pialat, 1974), La Race des « seigneurs »
(Granier-Deferre, idem), Vive
la France (Audiard, idem), Émilienne
(Casaril, 1975), Une vraie jeune fille (Breillat, 1976) ou Mado (Sautet, itou),
surtout de plusieurs Chabrol, reconstitue la cavale d’un cas d’école. Le ciné
ne pouvait pas ne pas s’intéresser à l’intéressé, surnommé à la Lon Chaney,
Jacques transformiste, fataliste, « clown triste » surpris en train de
danser, « cabot » casqué occupé à enregistrer ses mémoires, bien sûr
d’outre-tombe, scène symbolique, concentré de lucide solitude, de désarmant
ridicule. Documenté davantage que documentaire, ni exhaustif ni hagiographique,
le biopic chronologique de Génovès,
qui commit aussi Les Folies d’Élodie (1981), pâtit d’une mauvaise presse, mérite
néanmoins quelques lignes magnanimes. Il ne s’agit, ici, de servir de véhicule
à un acteur, comme dans le cas de Vincent Cassel, puisque voici Nicolas
Silberg, comédien classique, sociétaire de la Comédie-Française, chez Balasko & Vecchiali apparu, peu connu, peu reconnu, pourtant puissant, à chaque
instant et plan, présence physique et sourire sympathique. Éclairé par
Jean-Claude Couty (La Nuit des traquées, Rollin, 1980), adoubez le
beau boulot du dirlo photo durant la séquence de la grotte à « salope »,
c’est-à-dire journaliste de Minute, titre sartrien, disait
Desproges, à vous donner la nausée, à vous laisser les mains sales, menotté,
tabassé, désapé, trois fois flingué, exercice christique, entre moralisme et
sadisme, musiqué par l’éphémère Jean-Pierre Rusconi, remarquez le thème
mélancolique, sa déclinaison à la mandoline, au milieu d’un festin, en mode Le
Parrain
(Coppola, 1972), Mesrine redessine un inguéri d’Algérie, un casseur de casino,
un évadé illico, au commissariat incognito, un adversaire des QHS, salut
à Lavilliers, un ravisseur à civet, un militant jamais marxiste, un amoureux
des femmes, quitte à les gifler, les menacer à main armée, à poignarder, dès
l’orée, un souteneur sidéré, en définitive, un « ennemi public »
molto médiatique, qui réfutait ce « mythe », qui « ne tapait
dans le public », spectateur de Papillon (Schaffner, 1973) et
insaisissable histrion, légende d’antan, consommateur à contre-courant, écrivain
adoubé de Lebovici, collègue de Clyde, admirateur de Moroder. S’il souffre d’une
absence de souffle, de style, de mise en scène, en perspective, Mesrine
ne manque d’humour en sourdine, préfère un impressionnisme précis au romantisme
au ralenti (Bonnie et Clyde, Penn, 1967), le comportementalisme seventies à la psychologie
d’aujourd’hui. Avec son clin d’œil à Mourir d’aimer (Cayatte, 1971), le
cinéaste à plaidoyer aussitôt cité, avec une affiche en écho à celle de Rambo
(Kotcheff, 1982), avec un tueur tué, ceinture attachée, blême béhème, trophée
de flics à la Moby Dick, une incise de trafic de drogue
sudiste façon French Connection (Friedkin, 1971), Mesrine
n’enjolive, ne déprime, carbure à la banalité du mâle, aventurier incroyable, à
la gloire létale.
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